ETUDE SUR LES PAROISSES DU VAL D'ALLARMONT Pierre GENY (de Glacimont) Chapitre I Le plus ancien document que nous possédions sur le passé de nos villages est l'acte de donation, plus exactement de confirmation de donation, par la comtesse Agnès de Salm à l'abbaye de Saint Sauveur de la partie du village de Raon située sur la rive droite de la Plaine, c'est à dire du Raon-Les-Leau actuel. Le titre, rédigé en latin porte la date du XI Kalandas Apriles MCXXXVIII (1138). L'acte original a disparu mais, dans sa supplique adressée au Duc de Lorraine Léopold le 7 mars 1727, Jean Baptiste Piart, abbé de Domèvre, à l'occasion de son différend avec les officiers du comté de Salm à Badonviller, précise que "son extrait d'un cartulaire ancien de près de trois cents ans (donc datant de 1430 environ) et échappé de quatre incendies qui, dans le cours des trois siècles, ont consumé chaque fois presque entièrement cette abbaye tant en Vosges qu'à Domèvre, n'est pas l'original mais une copie des plus en forme puisqu'elle est attribuée, signée et paraphée en bas et que Joannes Stephani qui l'a écrite et attestée était même, suivant la tradition orale de l'abbaye, pronotaire apostolique, autre que l'ancienneté du titre qui se reconnaît par le caractère de son écriture et de son papier le rend vénérable." Puisque l'abbé Piart a gagné son procès, alors que celui-ci était dirigé contre les officiers du Duc de Lorraine lui-même en sa qualité de Comte de Salm, le titre a été alors reconnu valable; nous pouvons en faire autant. L'acte nous apprend qu'avant 1138 il existait déjà une église, certainement commune aux deux parties du village qui ont constitué dans la suite Raon sur Plaine et Raon-Les-Leau, ce qui suppose l'existence d'une agglomération de quelque importance. Chacun sait, en effet, qu'à l'époque gallo-romaine et très probablement auparavant, le Donon était un lieu de pèlerinage très fréquenté ainsi que l'indique l'ouvrage d'Emile Gerlach intitulé : une montagne sainte dans les Vosges. le fait certain est que l'église de Raon-Les-Leau est, de plusieurs siècles, la plus ancienne du Val d'Allarmont. Le titre précise qu'un fils de la comtesse Agnès, nommé Guillaumes, y était enterré. L'acte de donation nous apprend encore que l'on fabriquait alors à Raon des meules en grès qui étaient exportées au loin, que l'apiculture y était en honneur et que les forêts appartenant au ban de Raon-Les-Leau s'étendaient jusqu'au lieu dit Laudamont. Ce nom a fait l'objet de discussions lors des procès de l'abbaye au XVIII° siècle; l'abbé Piart soutenait qu'il n'était qu'une corruption de "des deux monts (le grand et le petit Donon). Je pense qu'il avait raison et Laudamont désignait alors le col connu aujourd'hui sous le nom l'Entre les deux Donons; ce fut aussi le Tilleul de Bismark des Allemands, dénomination maintenant disparue, avec d'autant plus de raison que le chancelier de Guillaume I n'est jamais venu dans le pays, pas plus que de Moltke n'a connu le tilleul qui portait son nom sur la route du Donon. En fait, la forêt donnée à l'abbaye par la comtesse Agnès n'était autre que la forêt domaniale de Raon-Les-Leau avant le traité de Francfort; elle était même plus grande car, à la suite du procès Domèvre - Beauveau, elle fut amputée d'une bonne centaine d'hectares au profit des baronnies de Turquestein. Enfin, Agnès "donnait" à l'abbaye les hommes, les femmes avec leurs enfants ce qui implique une souveraineté totale. En conséquence, dès 1138, Raon Sur Plaine et Raon-Les-Leau se trouvèrent soumis à deux souverainetés différentes, situation assez paradoxale qui n'en persista pas moins jusqu' en 1799. Qui était donc la comtesse Agnès? De la maison de Montbéliard - Mousson - Bar, elle avait reçu en partage la partie du comté de Salm tel qu'il nous est connu au XVI° siècle qui s'étendait sur la rive droite de la Plaine et les villages de la vallée, Celles y compris. Elle résidait au château de Langstein (La longue Pierre) et c'est à elle que la tradition attribue la construction du donjon et le forage du puits encore visible de nos jours; c'est ce dernier ouvrage, remarquable pour l'époque qui a donné au château son nouveau nom de Pierre Percée (Petre perforata dans l'acte de 1138). Elle épousa, à une date inconnue, Hermann de Salm dont elle eut trois fils: Hermann, Conrad et Henri. La maison de Salm était originaire des Ardennes où son château dominait la rivière du même nom; c'est aujourd'hui Nidersalm, arrondissement de Bastogne, dans le Luxembourg belge. Le père d'Hermann, Hermann lui même, petit-neveu et neveu de Thierry II et d'Adalbéron III, évêque de Metz de 1006 à 1072, s'était fixé très jeune dans cette ville épiscopale. Il fut très probablement l'avoué de l'abbaye de Senones, charge dont hérite son fils, mari de la comtesse Agnès et premier comte de Salm en Vosges. L'abbaye de Senones avait été fondée en 661 par Saint Gondelnart, évêque de Sens, qui s'y était retiré. D'après Dom Calmet " elle était soumise directement au Saint Siège et jouissait des droits épiscopaux dans tout son territoire qui s'étendait en longueur, de l'Orient à l'Occident, depuis la Broque (sur la Bruche) jusqu'au bourg de Senones et en largeur, du Midi au Septentrion, depuis le village de Chatas jusqu'à l'ermitage de la Mer (la Maix). Toutefois, à la fin du VIII° siècle, Charlemagne fit don de l'abbaye à son chancelier Angelrame, évêque de Metz, ce qui explique la dépendance assez étrange de cet évêché en territoire de celui de Toul. L'avoué ou voué d'une abbaye était un laïc chargé de protéger les religieux contre les attaques du dehors et d'assurer l'intégrité de leurs biens moyennant certaines redevances en nature ou en argent. A l'origine, il était nommé par l'autorité ecclésiastique, mais dès la fin du XI° siècle, cette charge très recherchée était devenue en fait héréditaire et s'était transformée en une véritable propriété de famille : ce qui explique que Hermann, premier comte de Salm, en ait hérité de son père. Nous verrons que théoriquement défenseurs de l'abbaye de Senones, les comtes de Salm s'appliquèrent avec une persévérance peu louable et pendant quatre siècles et demi à grignoter par petits bouts ou par gros morceaux les biens de celle-ci. Hermann lui-même ne manqua de mettre la main à ce travail de longue haleine et fut excommunié par l'évêque de Metz pour ses entreprises contre l'abbaye. D'après Digot, il fut tué à la bataille de Frouard en 1127. La comtesse Agnès épousa en deuxième noces Godefroid de Castres, comte de Belcastel (c'est le Gottfried de l'acte de 1138) et en eut un fils Guillaume (le Wilhelmus du même acte). Tous deux moururent peu après. Ici se placent, la donation de Raon-Les-Leau à l'abbaye de Saint Sauveur puis la fondation, en 1140, toujours par la comtesse Agnès, de l'abbaye de Haute Seille, peu à l'aval de Cirey-Sur-Vezouze; en voit aujourd'hui quelques reste à la ferme du même nom. Nous arrivons à la guerre entre le comté de Salm d'une part, Etienne de Bar, évêque de Metz et Renaud, comte de Bar, tous deux frères de la comtesse Agnès, guerre qui a fait l'objet de plusieurs récits plus ou moins romancés. Il est certain que cette guerre a eu lieu, mais la date exacte n'en est pas connue; elle est certainement postérieure à 1140. D'après la tradition le château de Pierre Percée aurait été assiégé par Etienne de Bar et plusieurs fortins auraient été élevés par ses troupes en vue d'empêcher toute communication avec le dehors; c'est au cours de l'attaque de l'un de ces ouvrages par les assiégés, au lieu dit Dame Galle, que la comtesse Agnès aurait été mortellement blessée. On rapporte que son corps fut ramené par ses soldats, par la montagne et avec bien des difficultés, jusqu'à Raon-Les-Leau où il fut inhumé dans l'église par Ysembert, ermite de la Maix. Si cette tradition est véridique les restes de la comtesse Agnès et de son fils reposent encore sous le sol de l'église de Raon-Les-Leau qui fut élevée au XVIII° siècle à la place même de l'ancienne ruinée vers 1636. Notons ici que, d'après le baron Seillère, l'ermitage de la Maix avait été fondé vers la fin du XI° siècle par un religieux de l'abbaye de Senones. La guerre dont il vient d'être question n'empêcha pas Henri de Salm, le plus jeune fils d'Hermann et d'Agnès de succéder à son père comme comte et la maison de Salm ainsi établie plus solidement dans le pays après cette crise, il est utile de préciser quels étaient ses voisins, quel était son domaine et quel était aussi celui de l' abbaye de Senones. Dans la vallée de la Plaine, Raon-Les-Leau et les forêts de la rive droite, en commençant par l'amont, étaient la propriété de l'abbaye de Saint Sauveur jusqu'à la frontière de 1871, domaine lui-même limité à l'Ouest et au Nord par les baronnies de Turquestein. Puis venait le Ban le Moine qui s'étendait jusqu'à la Basse de Haranzey, celle que remonte la route actuelle d'Allarmont à Badonviller ; cette basse la séparait du domaine propre des comtes de Salm, non seulement jusqu'à la ligne de crête, vers la chapelotte, mais, par Allencombe, jusqu'à Bréménil aux environs duquel une partie de forêt a conservé jusqu'à ce jour le nom de Ban le Moine. A noter qu'au XVII° siècle encore le pont qui traverse la Plaine à la scierie de la Turbine portait le nom de Moinepont. On doit conclure que ce domaine forestier de grande étendue appartenait originairement à une abbaye; comme il ne s'agit ni de Senones ni de Haute Seille, on peut supposer que le propriétaire en était l'abbaye d'Offonville dont il ne subsiste que le nom et dont on sait seulement qu'elle s'élevait dans la vallée de Celles Au delà de la basse de Haranzey commençaient les bois du conté de Salm, soit la forêt actuelle des Ellieux, qui comprenaient des bois dits de chambre, propriété exclusive des comtés et des bois communaux où les habitants des villages voisins avaient des droits d'usage (paisson des porcs dans les bois de chênes et de hêtres, bois pour la réparation des maisons et autres bâtiments ruraux et pour l'entretien des clôtures). Cette forêt et le comté étaient limités au Sud par le ruisseau de Voney qui les séparait des bois de l'Evêché, châtellerie de Baccarat, forêt actuelle du Grand Reclos. Sur la rive gauche de la Plaine, en face de la scierie Lajus, les comtes possédaient encore le petit bois communal de Malhay (Mals Haye, c'est à dire Mauvais Bois) sur la limite des bois de Raon-La-Tappe: c'était alors le nom de Raon l'Etape, sans doute parce que les marchandises qui passaient par là devaient payer une taxe: on y était tapé. Enfin le bois de chambre de la basse d'Ougney. Puis commençaient, en remontant la rivière, les bois communaux de Celles qui s'étendaient jusqu'à la fontaine de la Hallière, très voisins de la scierie du ce nom. A cet endroit, la vallée prenait le nom de Val d'Allarmont, district comprenant le village de ce nom, Vexaincourt, Luvigny et Raon Sur Plaine: tout le long du Val d'Allarmont régnaient les Bois Sauvages qui se prolongeaient jusqu'au pied du Petit Donon. Les bois communaux de Celles comme les Bois Sauvages appartenaient à l'abbaye de Senones, de même que tous les villages et forêts dont il va être question ci-après. Le Val d'Allarmont était limité de Val de Senones (vallée du Rabodeau) et du Ban de Salm par la crète de la Montagne (Noir Brocard, Haut du Bon Dieu), la Corbeille, la Vieille Sente Ferry (la route actuelle de Prayé) et enfin par le chemin du Marché des Paisseaux (à peu de chose près la route de Cirey et Abreschviller), laissant en Ban de Salm le Donon qui faisait partie du Han des forges de Framont. Le ban de Salm comprenait les villages de Grandfontaine, Vacquenoux, La Broque, Vipucelle, Fréconrupt et le hameau des Quevelles. Sa limite avec les bois de l'évêché de Strasbourg était d'abord la goutte du Marteau, le Moosbach des Allemands, qui descend d'Entre les deux Donons puis par le cours d'eau formé par la réunion de celui-ci à plusieurs autres :
Vers le sud, le ban de Salm était séparé du ban de Plaine par le ruisseau de Lambermoulin qui descend des environs de la Chatte Pendue pour se jeter dans la Bruche au Pont d'en bas (et non des Bas). Et vers l'ouest, sa limite avec le Val de Senones était constituée par les chaumes depuis la Croix des chaumes jusqu'à la Corbeille. Il comprenait un bois de chambre, la Panbois (la Tête Pelée d'aujourd'hui), des bois communaux et le han des forges de Framont qui fournissait à celles-ci le charbon qui lui était nécessaire. J'ai quelque peu insisté sur ce ban de Salm pour deux raisons: sa proximité de nos trois villages et le fait que dans la suite, beaucoup de leurs habitants furent employés par les forges ou exploitèrent les chaumes. Du ban de Plaine, déjà plus éloigné, nous dirons seulement que les comtés de Salm y possédaient une minière et une forge à Champeney et nous nous bornerons à nommer la prévôté de Saint Ail (le Saint Stail actuel) et le Val de Senones au sud du domaine de l'abbaye. Il est certain que, dans la description qui précède, il a été anticipé sur l'état des choses à l'époque où nous sommes parvenus, c'est à dire au milieu du XII° siècle. Le château de Salm n'était pas encore édifié et il ne pouvait donc être question du ban de Salm. De même, les forges de Framont et de Champenay n'existaient pas. Les divisions du pays, telles qu'elles ont été précisées ne l'ont sans doute été que plus tardivement, peut-être seulement après le coup d'état de 1571: elles sont en tout cas exactes pour l'époque au sujet de laquelle seront apportés des renseignements inédits. Ajoutons enfin, d'après Gerlach, qu'avant 1152 Granfontaine avait une église, l'une des plus ancienne du pays. |