ETUDE SUR LES PAROISSES
DU VAL D'ALLARMONT- suite 2

Pierre GENY (de Glacimont)


Chapitre III


       Il est utile de s'arrêter quelque peu au procès-verbal dont il vient d'être question car il apporte de précieux renseignements sur l'état du pays lors de sa rédaction bien qu'il ne s'occupe que des forêts et des forges; et d'autre part, quoiqu'il soit le plus anciens des documents importants consultés, il apparaît comme le plus méthodiquement et le plus soigneusement établi.

       Nous ne reviendrons pas sur les divisions du comté qui ont été indiquées précédemment et pas d'avantage sur la prévôté de Saint Ail, le Val de Senones et le ban de Plaine trop éloignés du Val d'Allarmont. Nous noterons seulement à propos des deux derniers :
  1. que la roche de ma mère Henri, au dessus de Senones, qui a eu les honneurs du communique de la guerre 1914-1918 est en réalité "la pierre du Maire Henri".
  2. que le col du Hantz doit son nom dont l'étymologie a été discutée à ce qu'il donnait accès du Val de Senones au Han ou Hanz des forges de Champenay.
  3. que le nom de la Chatte Pendue, qui est évidemment un calembour pour la Haute (prononcé Hatte) Pierre Pendue, reste respectable car la Chatte apparaît déjà dans le document de 1577.
       Les commissaires arrivent à Framont le 29 mars au soir. "le lendemain, pénultième jour dudict mois, après avoir faict visitation de la forge de Grand Fontaine et l'avoir trouvée forgeant un meslange faict avec les trois quarts de la mine (du minerai) dudict Grand Fontaine et un quart de la mine de Champenay fondus ensemble au fourneau qui fond à Framont et pour cognoistre la bonté dudict fer, a esté éprouvé par le mareschal dudict Grand Fontaine en fers de ....., clous, chaînons soudés et fer ouvragé lequel a esté trouvé partout fort doux, pliant et malléable, de mesme estant en bandes. y a esté faict démonstration de sa bonté par les.... qui se voient de long et non plus de travers comme elles faisaient du passé et c'est la seule cause du meslange. Au moyen duquel le fondeur se trouve beaucoup soulage en abrégeant et faisant plus d'ouvrage d'un quart qu'il ne faisait avec la pure mine dudict Grand Fontaine laquelle à raison dudict meslange fond plus vite et coule mieux. de mesme, les affineurs et martelleurs qui augmentent leurs ouvrages d'un tiers de fer fort bon et du meilleur quoy savoir trouver. Et pour entretenir le fourneau d'un quart de mine de Champenay a esté advisé d'acheter six asnes qu'on pourra trouver à l'environ de Nancy qui coûteront environ cent francs et pour les conduire fauldra trouver aussy un asnier qui les aura en sa charge, lequel tant en sa nourriture qu'en son salaire ne pourra couster plus de cent francs par an ny les asnes pour leur entretènement. Il faudra faire logis aux Quevelles pour l'aise de ce bestail et la facilité plus grand du chemin, estant au milieu des deux forges. A quoy fauldra pouvoir incontinent. Il fauldra enfin avoir un controlle qui sache lire et écrire et soit fidèle et diligent lequel pourra fournir au delfruict desdistes forges et pourra controller le gruyer qui sera commis es marches des bois du Val de Senones, du ban de Plaine et du ban de Salm."

       Ce texte assez savoureux nous apprend qu'au seizième siècle les forges de Framont avaient déjà leur bureau d'études et aussi que le seul élément du prix de revient qui ne coûtât a peu près rien était le travail humain. On imagine mal aujourd'hui un haut fourneau fourni de minerai par des ânes ; le parcours assez accidenté entre Champenay et Framont est d'une vingtaine de kilomètres et les Quevelles se trouvent à peu près au milieu. Notons ici que leur nom, connu de tout temps a été transformé assez malheureusement en les Quelles.

       On peut se demander où les exploitants des forges trouvaient alors leur castine: probablement sur le filon de dolomie utilisé par le chauffour de Raon sur Plaine au pré le Masson et par celui des Minières; ce filon reparaît sur le sentier de Schirmeck au Donon et devait être exploité aux environs de Grandfontaine.

       "Du Dimanche dernier dudict mois de Mars. il a esté dict que la goutte du Marteau faict séparation des bois de l'Evesché de Strasbourg et de ceulx des comtes de Salm laquelle goutte monte droit aux deux Donons et faict séparation desdits Donnons dont l'un est plus grand sur ledict comté et l'autre est plus petit sur ledict évesché. Commencent lesdicts commissaires partant des forges de Framont et passant par le village de Grandfontaine auraient monté en hault par la goutte Ferry laissant le grand chemin allant en allemagne à gauche". Le grand chemin que les commissaires laissent est le vieux chemin conduisant de Raon sur Plaine en Alsace. De Grandfontaine, il remontait le vallon des Minières, passait à l'Etoile, longeait au Nord les près de la Crache, dits alors la feigne de Corbolle et rejoignait au-dessous de l'ardoisière le chemin actuel du Haut Bout par lequel il arrivait à Raon.

       "Par laquelle goutte Ferry (son nom était presque oublié mais la carte au 1/25.000° l'a rétabli) se trouvent deux autres basses, l'une appelée la basse des Allemands à droicte vers lesdicts Donons, l'aultre la basse du bruslé à gauche " Ici, il faut comprendre que les commissaires remontant la goutte Ferry se tournent vers le Donon et y voient deux basses, l'une à droite qui est traversée par la route de Raon à Schrirmeck à la cote 634, l'autre à gauche, donc à l'amont, qui est marquée par un tournant de cette route.

       " Sur ladicte basse de la goutte Ferry y a une montagne tirant à Raon sur Plaine appelée la montagne du Rullieu (le morveux actuel) où il reste encore quelque peu de bois pour la forge ayant été depuis naguère couppé pour l'usage d'icelle. Aux plaines du dessus (qu'on appelle les Ordons) qu'il y ait eu de fort beau bois qui a esté fort longtemps couppé pour l'usage de la forge, n'y est rien resté à cause du labourage qu'on y a faict et du bestail qui y a continuellement pasturé. ce qu'il faut nécessairement deffendre et prendre garde qu'il n'y soit plus entrepris car le fond y apparaît fort bon pour renaistre du bois et est la seule cause de destruction du bois".

       Les Ordons étaient les régions de bois spécialement destinés à la fabrication du charbon nécessaire aux forges. Il y a lieu de penser que le mot Ordons viens de ce que ces bois étaient exploités suivant un certain ordre, ce qui n'était pas le cas pour les autres. L'ordon prenait le nom de l'équipe, ordinairement familiale, qui y travaillait; je pense que le nom de la Tête Mathis vient de l'ordon Mathieu mentionné dans nos documents.

       Nous nous trouvons ici au col du Donon, dans les prés dépendant aujourd'hui des fermes du Donon et du Bas Donon ; ce lieu était, dans d'autres textes, nommé les Pasturaulx.

Val d'Allarmont

       "De là commence le finage de Raon sur Plaine qu'est le premier village du Val d'Allarmont et prend dès le pied du grand Donon descendant vers la coste dudict Raon à gauche et à droite dedans la basse de la Chaulde Roche laquelle basse dès le pied du petit Donon se continue jusques audict Raon et fait le fond de ladicte basse séparation du conté de Salm des bois de l'abbaye de Saint Sauveur."

       La côte de Raon est la ligne de hauteurs limitant les basses de Chauderoche d'une part et celle de la goutte Guyot d'autre part. dès cette époque elle était suivie par "le neuf chemin allant de Ravon en Allemagne". Celui-ci, dit de Haranzey, empruntait depuis Raon les deux racourcis actuels (chemin des corvées), suivait sur une courte distance le tracé actuel de la route, puis par le calvaire le chemin communal en laissant Glacimont à droite, gagnait la maison des basses Abrayes (aujourd'hui les Oberlé) puis le vieille sente Ferry (route de Prayé) qu'elle suivait jusqu'à la plateforme du Donon.

       "le penchant de laquelle (basse de Chauderoche) du coste du comté et spéciallement de la scye dicte de Rozière jusques au petit Donon est for bien peuplée de bois notamment de sappin, le plus hault et le mieux peuplé qui s'en puisse trouver dans tout le dict comté sauve qu'en hault sous le gros Donnon en aulcurs endroits que les passeleurs du ban de Salm ont ruynés."

       La partie de forêt dont il est question était limitée en haut par le chemin du marché des paisseaux (échalas) qui suivait à peu près le tracé de la route actuelle d'Abreschviller. Le nom de ce chemin mérite explication car il n'y avait évidemment, et surtout à cet endroit, de marché spécialisé aux échalas. Je propose la suivante : d'une part cette région, comme on vient de le voir, était exploitée par les passeliers ; et d'autre part ce chemin rejoignait à la cote 789 celui des Botteliers allant à Saint Quirin et à proximité duquel se tenait avant les guerres du XVII° siècle, au lieu dit Sac de pierre (cote 823 au Sud Est de la Malcôte) un marché aux grains et aux bestiaux. L'existence de ce marché a fait l'objet de discussions mais d'après les pièces du procès de Domèvre contre les princes de Craon et de Beauvau il est certain que cette tradition était encore bien vivante au milieu du XVIII° siècle.

       "Tout lequel pendant du moins depuis le scye de Rozière sert de marches à six scyes qui sont au fond de ladicte basse de la Chaulde Roche dont la première s'appelle comme dict la scye de Rozière, la seconde la Haulte Scye, la troisième la scye de la Roche, la quatrième le scye de la Chaulde Roche, la cinquième la scye de la Brocque, la sixième la scye de Chenomprey (plus tard Thémenonprey ; prey = pré)"

       Suit la description des marches de ces scies sur laquelle nous n'insisterons pas mais qui permet de situer les ruisseaux de Rozière, de Hatton et de Sourel. Le premier est celui qui, né au flanc du Grand Donon, traverse le route d'Abreschviller quelques centaines de mètres après la plate-forme et rejoint la Plaine à la cote 577 ; le rux de Hatton prend sa source dans les prés du Donon et atteint la Plaine un peu à l'amont des Chaudes Roches ; le rux de Sourel, dont le nom transformé en Soriet se retrouve à l'ancien cadastre de Raon, vient de la maison forestière de la Tête du Cerf et desservait la carrière exploitée il y a quelques années encore par la famille Benay.

       La scie de la Brocque (de l'allemand Brücke =pont), nom encore très répandu dans le pays, devait se trouver au pont de la Plaine en face de la maison forestière de Saint Pierre. Quant à la scie de Thémenonprey, elle était au village même ; elle fut plus tard transformée en moulin puis redevint scierie sous le nom de scie du Moulin. Outre sa marche dans la basse de Chauderoche, elle exploitait la Poutal (Poutot actuel) et la Hazelle de Raon jusqu'au pré le Kief.

       "Toutes lesquelles marches peuvent encore rendre de bon bois pour lesdicts scyes et alors qu'elles fauldront (en manqueront), le dessus de ladicte contrée de bois pendant sur Chaulde Roche de ladicte scye de Rozière en montant jusques au pied du petit Donon sera suffisant pour distribuer à une chascune une nouvelle marche pendant bien longtemps, estant le bois fort beau et bien peuplé et aussy facile pour le charroy fors qu'il est un petit peu plus éloigné. Cependant lesdictes vielles marches se garderont et se reposeront pour donner loisir aux sapineaux qui poussent en abondance de devenir grands et propres à servir aux scyes et ainsy alternativement de temps en temps, lesquelles scyes seront fournies et ne discontinueront jamais."

       Les commissaires étaient si bien persuadés de cette pérennité que, quelques années après, on édifiait une septième scierie, celle du Cerf, à l'amont de celle de Rozière. Il se trompaient lourdement ; sans doute ont-ils évalué trop largement la superficie disponible à l'amont du rux de Rozière ou ont-ils commis une erreur analogue à celle du gruyer de Nancy qui, visitant en Décembre 1598 le fey des Donons (haut du Blanc Rupt) estimait le cube de bois à "150 à 200 voire 250 cordes par arpent" Le Chiffre de 200 cordes correspond à environ 1000 mètres cubes à l'hectare, ce qui est évidemment exagéré. En fait, une vingtaine d'années après, plusieurs des scies de la basse étaient arrêtées faute de bois et d'autres allaient le chercher au fey des Donons.

       "La teste de la coste dudict Raon sur Plaine pendant sur le village est toute déforestée estant le lieu où les habitants labourent et plus où les charretiers qui reviennent d'Allemagne couppent et chargent du bois pour la retenue de leurs chars en descendant. Ce quoy fauldra donner ordre à ce que les habitants de Ravon n'entrent d'avantage dans les bois pour y labourer plus oultre et que, selon l'ancienneté, les charettiers s'abstiendre de coupper bois mais qu'il garnissent ... pour serrer les roues des chariots comme font les aultres qui descendent semblables montagnes où il n'y a pas de bois. Le semblable faut-il observer à la descente du Grand Fontaine pour le (ragdr) desdicts charretiers spéciallement".

       Cette observation des commissaires est certainement à l'origine du droit de "trainesses" peu après mis aux enchères à la chandelle. L'adjudicataire achetait ainsi le droit de couper du bois mort et de le vendre aux charretiers pour leur servir de frein.

       "De l'aultre part de ladicte coste de Raon vers les channes (chaumes) est une basse dicte la coste Guyot en laquelle sont encore quatre scyes. Dont la première (à l'amont) s'appelle la scye du rux d'Abraye (probablement aux environs du confluent du rux d'Abraye et du rux de la Crache), la deuxième la Vielle scye Guyot, la troisième la Neuf scye Guyot (le Martinet ?) et la quatrième la scye du Grabe (scie du Vautour au Haut Bout de Raon, le nom du Grabe étant encore connu aujourd'hui).

       Nous ne détaillerons pas les limites des marches de ces scies, nous bornant à relever certains noms de lieux : la montagne de La Corbolle (la Corbeille). La Haulte Teste (la plus élevée des Hazelles, cote 832); le prey le Kieffre (d'abord Keiffer, le Kieffre, enfin le Kief), le saut de la Crache, le feigne de Borbolle (le près de la Crache); le briseux le Prestre (col 721-729) entre la basse de la Crache et celle de la Maix et à proximité de la Croix Brignon, la Teste du Foug (du hêtre) cote 809 au dessus de l'ardoisière.

       Ajoutons que, lors de la visite des commissaires, trois de ces scies devaient chercher partie au moins de leur bois dans le haut de la basse de la Maix, leurs marches étant pratiquement épuisées.

       " le dessus des marches de quatre scyes devant déclarées est le commencement des chaves (chaumes) de ce costé là qui est razé et a esté dict qu'en tout le contenu desdictes chaves il n'y a aulcun bois sinon qu'en un seul lieu la Haulte Loge pendant sur le ruisseau qui descend à Moussey, Val de Senones, dedans lequel bois on ne saurait jamais rien prendre ny pour forge ny pour scye." (à cause de son éloignement et de sa situation presque au sommet des Hautes Chaumes)

       Ce texte démontre qu'à l'époque les chaumes de Raon étaient d'un seul tenant avec celles du Val de Senones. J'ai encore connu la Corbeille non plus en chaume mais en bruyères qui s'étendaient jusqu'à la maison forestière de Prayé. Et d'après l'aspect actuel de la forêt on doit supposer que les chaumes, du coté de Raon descendaient à peu près jusqu'au chemin qui conduit du haut des prés de la Crache à la Croix Brignon ; il est probable qu'elles se prolongeaient vers le Haute Tête. C'est sans doute pour cette raison que les chaumes ont été au XVI° et XVII° siècles exploitées par des gens du Val d'Allarmont ; le fait est démontré par le choix des experts consultés lors du partage de 1598 dont il sera question ci-après: c'étaient tous des habitants de Raon sur Plaine et d'Allarmont ; très fréquemment aussi ils ont été adjudicataires des scies des chaumes, les Chavons actuels : il est donc indiqué d'en parler à propos de nos trois villages.

       On croyait alors que les chaumes avaient été primitivement boisées et transformées à une époque ancienne en pâturages propres à nourrir le bétail pendant la belle saison. Cette opinion parait inacceptable pour deux raisons
  1. le pays était connu sous le nom de chaumontais, appellation qui implique l'existence des chaumes à une époque très reculée. Le vocable subsiste aujourd'hui aux anciennes écuries de Chaumont sur la crête rive droite de la Plaine au-dessus d'Allarmont.
  2. On imagine difficilement qu'alors que la région était encore très peu peuplée ses habitants se soient livrés à un travail énorme de défrichement et de mise en valeur cela précisément dans les lieux les moins accessibles.
       Toujours est-il qu'au XVI° siècle les Chaumes occupaient une superficie très importante. Il y avait au Blanc Rupt : celle de Marcairerie dont une maison forestière dans la vallée de la Sarre Rouge rappelle encore le nom, celles de la Large Pierre et de Réquival sur la crête rive gauche. Dans la vallée de la Plaine, les Chaumes s'étendaient de la Corbeille jusqu'au Noir Brocard. Mais les plus importantes et les plus régulièrement exploitées se trouvaient sur le crête qui sépare le Val de Senones des bans de Salm et de Plaine depuis Bipierre jusqu'au sommet dominant directement le col du Hanz : celles-ci ne cessèrent d'être utilisées comme pâturages qu'au XIX° siècle. Elles furent en dernier lieu la propriété de l'Etat vers 1840, elles furent repiquées à partir de cette époque. De même, les chaumes de l'abbaye de Domèvre, notamment celle de la Belle Ligne furent exploitées comme telles au cours du dix huitième siècle.

       "Après la montagne de la Hazelle de Ravon vient la montagne de la Hazelle de Levigny qui est chargée compétamment de bois mais fort peu de sapin cause qu'elle n'est d'aulcune marche de scye mais propre pour faire du bois de bollée comme les autres montagnes qui suyvent. Puis la goutte de Levigny qui finit à la teste de Blompierre."

       Les commissaires descendent alors la vallée en s'éloignant des lieux qui nous intéressent.
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