Le hameau
La Haute-Goutte, c'est un hameau qui n'eut jamais le statut de village à part entière et qui fut, selon les moments et parfois selon l’humeur du rédacteur, rattaché soit à Rothau soit à Neuviller, bien qu'il fût à certaines époques, et notamment lors du recensement de 1534, plus important que l'un et l'autre de ces villages.
Mais la Haute-Goutte, c'est aussi une cense seigneuriale, située sur le territoire du hameau de la Haute Goutte, bien qu'assez isolée. D'où parfois un certain flottement. On n'est pas toujours certain si le protocole que l'on manie parle du hameau ou de la cense. Cela dit, cher lecteur, rassure toi: ils ne sont pas très éloignés l'un de l'autre.
La cense
La cense de la Haute Goutte est située dans la vallée de la Rothaine, en plein dans les bois, entre le Ban de la Roche et Barr, juste après le carrefour dit de la Croix Rouge, où convergent deux chemins, appelés l’un et l’autre Chemin de Barr, et venant, l’un de la vallée de la Rothaine et l’autre de la vallée de la Chergoutte pour n’en faire ensuite plus qu’un et se diregier vers Barr.
Car je vous rappelle que le Ban de la Roche se compose de deux vallées. Au Nord, la vallée de la Rothaine, reliée au monde extérieur par son chemin de Barr. Au Sud, la vallée de la Chergoutte, également reliée au même monde extérieur par son propre chemin de Barr (il y aurait en théorie d'autres moyens d'atteindre le monde extérieur, mais ils passent en terre catholique, donc on oublie; revenons à nos deux chemins de Barr).
Ils convergent à la Croix Rouge, quelques pas après la ferme de la Haute Goutte, qui est donc enserrée par ces deux chemins comme par deux parenthèses.
UN ENDROIT REPUTE HANTE
Les abords de la ferme de la Haute Goutte, futur Sommerhof, étaient réputés hantés. Les histoires effrayantes avaient tendance à se multiplier. Avec peut-être quelques raisons tenant à la géographie.
Rappelons que cet endroit est en plein dans les bois, après le carrefour des deux « chemins de Barr ». Barr faisait un peu figure de métropole pour le Ban de la Roche, mais il en était séparé par le massif du Champ de Feu, si bien que le chemin n'était pas facile et qu'on se trouvait souvent dehors à la nuit en rentrant de Barr. En effet, il était difficle de faire l’aller et retour à pied dans la même journée après avoir fait ses affaires entre temps (seule solution qui entrait dans les moyens financiers de la plupart des Bandelarochois). Il fallait donc soit partir avant le lever du soleil, soit revenir à la nuit tombée. Sans compter les époques où il y avait de la neige, et où tout déplacement devenait aléatoire et dangereux. Dans la campagne, les croix rappellent les endroits où il y a eu malemort. Il ne s’agit pas forcément de meurtres. Les cas de voyageurs morts pour s’être perdus dans la neige suffiraient à peupler le coin de fantômes.
Imaginez vous donc rentrer de Barr à la nuit, à travers bois, par de mauvais chemins de montagne sur lesquels on risque toujours l'accident ou la mauvaise rencontre. Vous n'aimez pas cela, vous épiez les bruits, vous vous sentez suivi, et probablement l'êtes vous, car il y a beaucoup de bêtes.
Vous arrivez au lieudit la Croix Rouge. Sans doute y a-t-il eu là une croix à une certaine époque, mais il n'y en a plus. N'empêche. Rien que le nom suffit à vous rappeler que la malemort fait partie des habitants du lieu.
Comment réagissaient-ils, les pauvres censiers qui devaient vivre là en permanence?
La plupart étaient terrifiés.
Le pasteur Oberlin a noté des histoires de fantômes dont les héros ou les victimes sont ces paroissiens.
Il est à remarquer que, parmi ceux qui se plaignent le plus souvent d’attaques de fantômes, on trouve plusieurs personnes ayant rapport avec la ferme de la Haute Goutte.
Claude Scheppler est attaqué plusieurs fois aux alentours de la Croix Rouge, « à l’endroit où le chemin tourne à Obernah (Obernai) ». Il reçoit comme un poids sur les épaules et ne peut peut avancer qu’avec grande difficulté. Il n'est délivré qu'au moment où il dépasse la cense du Sommerhof.
Catherine Gagnière, servante du pasteur Oberlin, est deux fois témoin du phénomène. Bien que Scheppler demande à ses compagnons de poursuivre leur voyage sans lui, elle reste auprès de lui pour l'assister en cas de besoin.
C’est encore « dans les bois de Barr », c’est à dire dans cette zone indistincte qui n’est plus le Ban de la Roche et qui n’est pas encore Barr, que le même Claude Scheppler fait cette rencontre, relatée par le pasteur Oberlin:
"Claude Scheppler, de Bellefosse, revenant une fois des bois de Barr, avec son père malade, fut obligé de passer la nuit dans quelque baraque de berger, mettant leurs chevaux dans le parc -in die Pferch-. Pour passer le temps ou parce qu'il eut froid, il fit du feu dans un vieux plâne creux, qui avait déjà servi à cet usage aux bergers. Quand la flamme fut forte et jeta de la clarté, il vit un homme s'en approcher avec un petit chapeau rond comme les habitants du Schwarzwald en portent. Cet homme, baissant la tête sur l'épaule, tourne autour de l'arbre en regardant la flamme du bas jusqu'au sommet, ensuite, sautant comme un chevreau, gai et légèrement, il s'enfuit mais se fit entendre longtemps par le craquement des broussailles dans lesquelles il semble sauter. Ce fut vers le matin".
Oberlin pense connaître l'identité du fantôme:
"Le père des Spenlé, d'André, de Georges, de Marguerite, bourgeois de Belmont, natif du Munsterthal, cherchant un jour de l'amadou dans ces contrées, tomba de l'arbre et fut trouvé mort. Il fut mené à Belmont, le susdit Claude Scheppler le vit, avec le même habillement et chapeau que, quelques années après, il observa sur la susdite figure."
C’est encore à la Croix Rouge que se déroule l’épisode suivant, relaté par Oberlin:
"Il y a quatre ans que notre servante et alors conductrice de la jeunesse de Waldersbach, Anne-Catherine Gagnière, fille de Jean-Nicolas Gagnière, ancien de Bellefosse, alla à Barr pour acheter des étoffes pour des habits, dans la compagnie de Jeanne, née Becker, veuve de feu Jean Herzog de Belmont, et de quelques filles.
On part ordinairement de nuit pour être de bonne heure à Barr.
Quand elles vinrent à peu près proches dudit endroit, Catherine Gagnière, par hasard, alla avec une autre fille à quelques pas derrière le cheval sur lequel la veuve Anne Becker était montée.
Tout à coup, elles virent la dite veuve élevée en l'air au dessus de son cheval; elles ne restèrent pas longtemps dans l'incertitude de ce qu'elles devaient croire, car elles entendirent Anne Becker se lamenter; un moment après, elles la virent être tirée en bas du cheval et jetée rudement sur le chemin, et criant: "Mon Dieu, aie pitié de moi, le voilà qui m'a violemment tirée du cheval et jetée là."
Deux mots sur les principaux protagonistes:
Comme au Bas Lachamp, on note que les victimes d’attaques de fantômes sont majoritairement d’origine suisse.
Jeanne Becker a pour grand-parents des immigrés suisses qui meurent à la Haute Goutte et qui, avant cela, y ont vraisemblablement travaillé, comme le montre le tabeau ci-après:
1 Jeanne Becker, o 24 9 1702 à Waldersbach, x Jean Hertzog le 9 5 1724 à Belmont, d’où postérité, + 6 1 1784 Belmont; 2 Becker Oswald, x Marchal Jeanne le 21 1 1679 à Waldersbach, xx 3 le ? ? 1696; 3 Martin Anne; 4 Becker Pierre + 17 12 1699 La Haute Goutte; 5 Eichelberger Véréna + 9 2 1699 « Neuviller » (probablement la Haute Goutte, qui est un sous-ensemble de Neuviller; impossible de remonter davantage la lignée Eichelberger en Suisse, mais le nom est présent en plusieurs lieux stratégiques : Biglen, possible origine de notre ancêtre Anne Ringelsbach; Summiswald, patrie des Sommer et lieu de « martyre » de plusieurs anabaptistes; Erlenbach, patrie de Jacob Amman; Guggisberg, patrie de plusieurs des héros de ce livre)
Claude Scheppler a lui aussi ses parents à La Haute Goutte:
1 Claude Scheppler o 28 10 1722 Belmont, x Madeleine Krieger le 15 5 1753 à Belmont, d’où postérité; + 29 5 1780 Bellefosse; 2 Jean Scheppler, o 30 4 1695 Salm; x 3 le 20 7 1717 à Neuviller; naissances des enfants enregistrées à La Haute Goutte jusqu’en 1719, enregistrées à Belmont à partir de 1722, + 6 2 1676 Belmont; 3 Marguerite Claude; 4 Hans Scheppler + 1 3 1715 La Haute Goutte; 5 Suzanne Le Eyer + 6 1 1720 La Haute Goutte; 6 Claude Claude; 7 Mougeotte Neuviller
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