Ce jour là, c'est un grand jour à Wildersbach. On y fête Saint Louis, le saint patron du village. Tu te demandes peut-être, cher lecteur, pourquoi je ne t'ai pas parlé de Saint Louis plus tôt. Si Wildersbach a un saint patron, cela ne doit pas dater d'aujourd'hui. Est-ce que, par hasard, son existence m'aurait échappé ? Hé bien oui, cher lecteur ! elle m'avait totalement échappé ! Et pas qu'à moi ! Elle avait aussi échappé, par exemple, au vénérable Richer, moine à Senones au 13ème siècle, dont la chronique traite en particulier des saints de la région. Mais revenons en au 19ème siècle : les choses sont en train de changer. Le Ban de la Roche devient une région ouvrière, au sens moderne du terme, surtout la vallée de la Rothaine (celle de la Chergoutte reste d'aspect villageois). D'où des brassages de population, et l'arrivée de catholiques, surtout à Rothau mais aussi un peu à Wildersbach et Neuviller. En fait, à la fin du siècle, on aura comme un grand alignement industriel, et on passera sans percevoir de discontinuité de Neuviller à Wildersbach, puis à Rothau, puis à la Broque, puis à Barembach, puis à Schirmeck, comme s'il y avait là toute une grande ville toute en longueur. Donc : nos catholiques, immigrés de la veille, se sont dégoté, à Wildersbach, un saint patron immémorial qu'ils ont pêché je n'sais d'bell où . Aujourd'hui ils fêtent leur neuf vieux patron : musique et fanfare. Voilà le défilé qui arrive devant la moté protestante. Car j'ai oublié de te dire, cher lecteur , qu'il y a, depuis 1875, une église protestante à Wildersbach. C'est un peu comme à Bellefosse. On s'en était toujours passé jusqu'ici mais, tout à coup, on en a ressenti un besoin absolu. Bon. Voilà donc la fanfare de notre neuf saint (catholique) qui passe par les rues du village, et qui arrive à proximité de la neuve église (protestante). Et qui redouble de potin, évidemment, surtout que c'est l'heure de l'office. Le pasteur sort et il demande bien poliment aux musiciens d'aller jouer plus loin. Ils disent oui, les fiers mintoux, mais, deux minutes après, leur mesnie-Hennequin re-dékuikse de plus belle. Alors, le pasteur emploie les grands moyens : il confectionne un orchestre-miniature, il l'enterre dans la cave de la moté, puis il reprend l'office, et, cette fois ci, pas un bruit. L'orchestre catholique a été réduit au silence. Le service divin se termine normalement. Mais depuis, tous les ans, à la Saint Louis, celui qui s'approche à minuit de l'église protestante peut entendre l'orchestre qui joue dans la cave. Puissance de la calomnie ! Même un pasteur se voit accusé de sorcellerie ! Qui donc peut se croire à l'abri ? En plus, tout cela se passe au siècle du progrès : la légende ne peut pas être plus vieille que l'église protestante de Wildersbach, construite en 1875. L'accusation est d'une extrême gravité. Non seulement c'est une accusation de sorcellerie, mais en plus elle se situe au sommet de l'échelle, puisque le pauvre prédicant est supposé - excusez du peu !- avoir fabriqué une dagide, c'est à dire une poupée que l'on maltraite pour mettre à mal la personne qu'elle représente. Pour un peu, on l'accuserait de planter des aiguilles dans sa poupée pour tuer celui dont elle est le portrait ! en tous cas, il en a la capacité technique puisqu'il a su réduire l'orchestre au silence. Entre parenthèses, je signale qu'il n'y a jamais eu, au Ban de la Roche, la moindre allégation que les haxes aient fabriqué des dagides. Cette horreur était jusqu'ici inconnue dans la région, et elle ne lui manquait pas. L'inventeur de l'histoire a donc nourri son imagination parmi là, je ne d'bell d'où, au gré de ses lectures je suppose. Cette histoire a été recueillie par Marc Brignon, qui exprime en ces termes ce qu'il pense de son authenticité : "La seconde histoire, purement fantastique, est censé se dérouler à Wildersbach et m'a été contée par un villageois de Bellefosse qui la tenait lui-même d'un habitant, (aujourd'hui décédé) de Wildersbach." Nous pouvons donc suivre le circuit de la calomnie :
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