"La fois là, au temps où la terre de Salm ne s'appelait pas encore la terre de Salm, Saint Gondebert vint y fonder l'abbaye de Senones.

       "Le roi Childéric II, roi d'Austrasie, lui accorda de grands privilèges : l'abbaye de Senones ne dépendait d'aucun seigneur et d'aucun évêque ; nul juge laïc ne pouvait y siéger, nul seigneur laïc ne pouvait y prélever d'impôts. L'abbé en était tout à la fois le propriétaire, le titulaire du droit de justice et le seigneur temporel.

       "Ce diplôme d'immunité était rédigé dans un latin parfait, un latin classique qui n'aurait pas fait honte à Cicéron, un latin comme on ne le parlait plus au temps de Chilpéric, et comme on ne l'étudiait pas encore, bien évidemment, puisqu'on ne savait même pas ce que c'était qu'une école.

       "Le territoire sur lequel cette immunité s'exerçait était prémonitoire. Les villages énumérés n'existaient pas encore au temps de Chilpéric, mais dessinaient un territoire correspondant à celui que les abbés devaient revendiquer plusieurs siècles après, en gros le territoire de ce que sera la principauté de Salm.

       "C'est miraculeux, n'est-ce pas ? Ce diplôme est prémonitoire. Il a surgi des papiers de l'abbaye au moment où elle en avait besoin, et Chilpéric y faisait droit par avance à des revendications concernant des villages qui n'existaient pas de son temps, dans une langue qui n'était pas celle de son temps.

       "C'est sur ce diplôme que les abbés de Senones se fondaient pour revendiquer le pouvoir temporel sur le territoire, et pour affirmer que les seigneurs du lieu étaient simplement leurs voués, c'est à dire des officiers chargés de leur protection, sans aucun pouvoir propre.

       "Louis Schaudel estime que ce diplôme est un faux.

       "Quel béotien ! Il n'a aucun sens de la poésie !