la Faïencerie, un siècle de Badonviller

        La faïencerie, ce sont les premiers ouvriers qui vont la construire eux-mêmes, sur un terrain proche des deux gares, en bordure de la Blette.

        L'eau, indispensable en quantité, sera conduite par un canal d'alimentation long de plusieurs centaines de mètres dont le seuil était près de l'hospice. Longeant les jardins et passant sous la voie ferrée, elle aboutissait à un réservoir situé près du moulin.

        Les matières premières seront acheminées par voie ferrée, sans que je puisse savoir où Théophile Fenal s'approvisionnait.


l'usine au début du siècle.


        Ce qui semble assez incroyable pour les années 1900, c'est la mise en place par le patron d'une participation aux bénéfices, d'une caisse de retraite, d'une mutuelle avec indemnité en cas de maladie. Il crée aussi une garantie en cas de décès, couvrant les frais d'enterrement, y compris la rétribution des porteurs, du curé, etc.

Un collectionneur a retrouvé des monnaies utilisées par la coopérative de l'usine, certainement durant ces années 1900-1914.
Vous pouvez les voir ICI

        Cet homme est allé beaucoup plus loin dans le social que la législation du temps, ce qui attira certainement à Badonviller des ouvriers qualifiés d'autres usines. A sa disparition prématurée en 1905, il était député. Son fils Edouard poursuivra avec succès le développement de la fabrication et des œuvres sociales.


        La première guerre mondiale entraîna l'arrêt complet du travail et de très importantes destructions. Il fallut donc reconstruire, mais ceci ne semble pas avoir entamé le capital de la famille Fenal, puisque, dès 1922, ils rachètent les faïenceries de Lunéville et St CLément. Cette opération représente le premier regroupement d'usines opéré par cette famille, mais surtout allie à leur nom la marque connue de Lunéville, Badonviller n'étant jusqu'alors qu'une petite usine marginale.

        Avec le recul, on peut dire que Lunéville n'a vraiment jamais admis s'être fait ainsi acheter par Badonviller, et je n'en veux pour preuve que cet épisode: à l'heure où j'écris ces lignes, ceci est totalement passé sous silence sur le site de la ville. Mieux, Lunéville qui ne fabrique plus rien depuis des lustres le cache soigneusement. Messieurs dames du chef-lieu d'arrondissement, auriez-vous honte d'un tout petit chef-lieu de canton?

        Badonviller ne fabrique certainement pas de renommée, mais la qualité est là, ce qui permettra toujours de financer les investissements. Les objets de toilettes sont très demandés, car si les français connaissent l'adduction d'eau, les salles de bains sont en retard.


        Les événements de 1936 vont être marqués par une grève idiote car les conditions des ouvriers auraient certainement fait envie à beaucoup de travailleurs français. Et Edouard Fenal va réduire ces conditions d'un simple trait de plume, Badonviller devenant, définitivement ce que l'on pourrait appeler une entreprise de smigards. Le seul emploi à la ronde, si tu n'est pas content...

        Pourtant Badonviller fabrique toujours du beau:



        Une expérience n'a pu se réaliser. Après Théophile et Edouard, Bernard Fenal prend la succession, qui sera malheureusement tué en mai 40, dans le nord de la France. Sa grand mère, la femme de Théophile Fenal, avait, sans l'en informer, obtenu du sénateur Mazerand de Cirey sur Vezouze qu'il ait une affectation spéciale à Badonviller. Dans une colère noire, il déclara que si les ouvriers de ses usines partaient à la guerre, il devait y aller lui aussi. Il n'a pas été tué à la tête de sa section mais lors d'une reconnaissanc en compagnie d'un autre lieutenant qui a été le témoin officiel de sa mort : Pierre Pflimlin, dernier président du conseil avant de Gaulle et ancien Maire de Strasbourg.

        Il faudra donc attendre l'après deuxième guerre mondiale pour voir son frère prendre la suite. Qui fera entrer la fabrique dans l'ère moderne et industrielle. Pour son plus grand malheur!

1952, mon père reçoit la médaille pour 25 années de travail.
Le patron daigne encore figurer au centre de la photo.


        Le principe sera de fabriquer un maximum de pièces usuelles et de vendre au plus bas possible des prix. Et pour cela on fait venir des USA un monstre, une machine qui va fabriquer 120 000 assiettes par journée de travail, un homme en tête, deux à la sortie. Cette Miller va changer toute la physionomie de l'usine, chaque service devant évacuer cette énorme fabrication. Et l'automatisation rendra, comme partout, la main d'œuvre de plus en plus inutile.


        Je me souviens que la seule préoccupation du responsable du personnel, à la veille des visites du patron dorénavant parisien, était de se renseigner sur l'effectif, et repartir tout sourire lorsque je lui avais annoncé une dizaine de personnes en moins. Je n'ai été présent que trois années dans ce que les ouvriers appelaient le bureau,mais j'ai vu le nombre d'employés passer de 487 à 386. Ces deux chiffres m'avaient marqués, et j'avais prévu la fin pour 1980. Je ne me suis trompé que de peu.

Mr Michel raconte son aventure australe


       En été, CAPETOWN est l’un des plus jolis sites que je connaisse. Le ciel y est alors presque toujours bleu, sans un nuage, l’air agréable à respirer, sec et embaumant la verdure, car Capetown est une ville verte. On y trouve des pelouses, parcs et arbres. La ville est ancienne dans ses faubourgs, moderne au centre, avec pourtant, ça et là, de vieilles bâtisses et des monuments qui viennent droit du cœur des premiers immigrés. Oui, c’est l’impression que je garderai de cette ville.
       Capetown semblait sortir du cœur de ces premiers immigrants hollandais, avec une touche de modernisme qui ressemblait aux grandes artères de New York. Capetown, étalée en longueur, le long d’un des plus jolis littoraux qu’on puisse voir, qui fait concurrence à notre Côte d’Azur en plus grandiose, en plus sauvage et moins peuplé, de l’Atlantique Sud.
       Visite au Consul de France, dont le bureau se trouve au septième étage d’un building coquet. Mr Cansou est un homme charmant, jeune et de plus élégant. Nous sympathisons au premier contact, et parlons voyages et du pays. La conversation tombe bientôt sur le présent.
       « Ah, vous venez travailler pour la société qui occupe l’étage du dessus, la faïencerie Brackenware Ltd ! ». J’allai voir Mr Pierre CHOLET, directeur, dont m’avait parlé le consul. Ce polytechnicien me reçut avec la plus grande bienveillance et m’exposa ce qu’il attendait de moi.
       « Dans mon entreprise, tout le personnel travaille dur, de ses mains, qu’il s’agisse du responsable ou du dernier aide noir. Ceux-ci venus tout droit de leur campagne, deviennent des aides utiles et efficaces. »Il me rassure et me propose de faire connaissance de mes collègues cadres qui sont pour la plupart français.
       L’usine était située à Blackheath près de Kuilsriver, à quarante miles de Capetown sur l’Océan Atlantique et à équidistance de Somerset West, qui se trouve en bord de mer, mais sur l’Océan Indien. En attendant de trouver un logement, nous sommes restés quelques semaines à l’hôtel à Stellenboch dans les vignobles, endroit très agréable somme toute.
       Mes premiers collègues furent Dubois, qui était chargé du matériel, assisté de Barlé. Celui-ci était électricien. Yougoslave, il avait quitté son pays après la guerre et était venu s’installer en Afrique du Sud, après avoir passé plusieurs années en France. On a donc monté cette entreprise avec le reste des cadres, tous envoyés par l’usine mère de la métropole, triés sur le volet, et qui furent tous de chics copains, pleins de bonne volonté, tous prêts à assimiler le plus rapidement possible notre nouveau métier.
       Au bout de quelques mois, l’usine était achevée et prête à fonctionner. L’usine se mit à tourner à plein régime, la glaise sortait des malaxeurs avec la plasticité voulue, la faïence commençait à être expédiée vers l’Europe.
Claude MICHEL


     Si nous examinons la situation, Gilbert Fenal possède Lunéville, Badonviller et St Clément. Lunéville ne fabrique plus rien, St Clément crée en petite série des modèles plus dans le haut de gamme. Donc tout repose sur Badon, et, c'est avec cette usine, que l'on voudrait nous faire croire non rentable, que le groupe va racheter Sarreguemines qui devait être le plus gros faïencier français. Avant de fermer définitivement les portes et de laisser tout un canton à l'abandon.

     J'adresse donc ces deux dernières images à toutes celles et à tous ceux qui se sont échinés pour un smig mensuel, dans le bruit du moulin, où les galets de Moselle concassaient et broyaient la "terre" autour de l'Auguste Blaise, aux ouvriers de la presse qui se débattaient au plus mauvais endroit de l'usine, aux équipes de la Miller, qui n'avaient pas tous l'accent de Jacky Champion, aux filles qui collaient des milliers d'anses sur des milliers de tasses.

     A tous ceux du façonnage et du coulage qui ont porté beaucoup plus de plâtre que de terre, la tête au chaud des séchoirs et les pieds dans les courants d'airs, aux porteurs de planches d'avant les balancelles, (combien d'assiettes par planche?), aux bâtisseurs de wagons qui parvenait à faire tenir en équilibre de la terre sur la chamotte.

     A toutes celles de la "brosse", des milliers d'assiettes à gauche, une brosse à la main, puis des milliers d'assiettes à droite. A Willy Bacher et ses collègues dans leur petit atelier où l'on parlait d'or, le métal, comme à coté d'eux on parlait des frites. A toutes les équipes de décoration, d'émaillage, avec le mégot au coin des lèvres de Marcel Anstett, pas bien loin du Napoléon qui faisait l'artiste, et en était un, au sur émail, aux trieuses et à l'emballage sous la férule du "petit Simon", aux deux amies du kardex où il faisait bon discuter cinq minutes. Et à tous ceux de la "mécanique, de la menuiserie et du garage. Oui, je sais, j'ai achevé le troisième moteur de la 404 break avec son million de km.

     Et je n'oublierai pas toutes les familles portugaises, qui sont arrivées de leur Montalegre, qui nous faisaient sourire dans leur hâte à acheter la télé couleur, et dont certaines ont fait souche. Beaucoup m'ont été reconnaissantes d'avoir mis fin aux agissements de celui de leur compatriote qui se faisait payer pour leur procurer un contrat de travail... Exploités par un portugais pour venir gagner le minimum, pour certains c'était la fortune.


Vous avez tous fabriqué cela. Vous avez presque tous mis du cœur à l'ouvrage.


Grâce à votre travail, d'autre continuent à produire.
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