CLiquer sur les images pour les voir en grand,et merci méja pour la recherche Texte mis aussi à ma disposition par la Société Philomatique Vosgienne de St Dié ![]() UN INCIDENT DE FRONTIERE
L ' AFFAIRE DE VEXAINCOURT (24 septembre 1887) Dans un ouvrage publié l'an dernier sur le célèbre caricaturiste et peintre alsacien Hansi (1), M. Robert Perreau évoque, sans d'ailleurs s'y arrêter, ni donner de précision, l'affaire de Vexaincourt, qui date du 24 septembre 1887, et qui paraît aujourd'hui complètement oubliée. Pourtant, cette affaire rappelle l'affaire Schnaebele, qui se situe au cours de la même année, et qui fit grand bruit. Or, l'incident de frontière dont fut victime le commissaire de police de Pagny-sur-Moselle fut infiniment moins grave que celui de Vexaincourt. Car, à Vexaincourt, il y eut mort d'homme, alors que le commissaire de police Schnaebele n'eut à souffrir que d'une arrestation arbitraire. On se souvient de cet incident qui, largement diffusé, faillit être l'occasion d'un conflit entre l'Allemagne et la France: commissaire de police à Pagny-sur-Moselle, Schnaebelé fut attiré au-delà de la frontière par son confrère allemand Gautsch. Aussitôt arrivé en territoire allemand, Schnaebelé fut accusé de se livrer à l'espionnage et arrêté. Mais le gouvernement français réagit vigoureusement, et établit la preuve que Schnaebelé avait été victime d'un traquenard. Sur ordre de Bismarck, le commissaire de police fut relâché, et rentra en France. A Vexaincourt, le 24 septembre de cette même année 1887, le garde-chasse Brignon ne revint pas. Les journaux et les revues de l'époque relatèrent longuement cette tragédie, et, en lisant notamment " L'Illustration " et " L'Impartial des Vosges " on en apprend tous les détails. Trois coups de feu à 40 mètres. - L'incident eut lieu sur le territoire de la commune de Vexaincourt, un samedi. Une battue avait été organisée par l'instituteur de Vexaincourt. Y participaient: un administrateur du Crédit Nancéien nommé Le Bègue, le sous-lieutenant Henri de Wangen, sur le point d'être nommé au 7e Dragons à Commercy, Jean-Baptiste Valentin, de Luvigny, Désiré Arnous, le garde Brignon, et deux traqueurs. " Un chemin escarpé conduisait au rendez-vous de chasse où devaient déjeuner les chasseurs, au sommet des Bois Sauvages. C'est dans une clairière, d'où la vue était magnifique, d'une part sur le Donon, d'autre part sur la vallée de la Plaine, que le drame eut lieu. Les chasseurs marchaient à la file indienne. M. Le Bègue, propriétaire de la chasse, était en tête, suivi de MM. Valentin, Arnous (qui était un ancien adjudant d'artillerie de Raon-sur-Plaine), de Wangen, Brignon (dont on précise qu'il était, en même temps que garde-chasse, employé de brasserie à Raon- les-Leau) et, enfin les deux traqueurs. Depuis le matin, ils n'avaient trouvé aucun gibier; aucun coup de feu n'avait été tiré. Il était 11 h. 30, et les chasseurs rejoignaient, pour le déjeuner, " Le fond de la Corbeille ". A ce moment, ils avançaient sur un sentier qui se trouvait à trois mètres des bornes-frontière en grès rose, en territoire français, au milieu des fougères et des mousses. Sur ce sentier, ils étaient complètement à découvert du côté de l'Allemagne. La clairière était à peu près complètement traversée, et le groupe des chasseurs allait à nouveau rentrer sous le couvert, "lorsque deux détonations retentirent successivement. On entendit un cri, puis ces mots : " Oh, les c... ils m'ont tué. " C'était ;M. Brignon qui venait d'être frappé d'une balle à l'aîne. Une troisième détonation retentit, suivie d'un cri de M. de Wangen, qui s'affaissait sur la mousse, tandis que les autres chasseurs cherchaient un abri derrière les sapins et que les traqueurs s'enfuyaient. A gauche du sentier, à soixante mètres environ, dans un taillis du territoire allemand, planait un peu de fumée. Les deux blessés imploraient le secours de leurs compagnons: " On va nous achever ", s'écriaient-ils. M. Brignon, qui s'était relevé, puis assis sur un tronc d'arbre au bord du sentier, se traîna ensuite sur l'herbe afin de chercher à son tour l'abri d'un sapin. " Tout aussitôt, M. Le Bègue avait armé son fusil, prêt à tirer. Mais les agresseurs, masqués à 40 mètres, ayant tiré à coup sûr, s'étaient aussitôt enfuis en territoire allemand. " M. Le Bègue donna son mouchoir à M. de Wangen afin qu'il pût bander sa cuisse et arrêter l'hémorragie. Au bout d'un quart d'heure, les chasseurs et les traqueurs revinrent. L'un d'eux prit M. de Wangen sur son dos pendant que les autres fabriquaient une civière pour transporter M. Brignon qui mourut avant d'arriver à Raon-les-Leau, où sa nombreuse famille habite. " Le malheureux avait eu l'artère fémorale coupée, et il succomba à l'hémorragie interne qui suivit. Il avait reçu les derniers sacrements des mains du curé de Luvigny, qui connaissait bien cet homme, père de quatre enfants. Quand, à son tour, M. Simon, maire de Raon-Ies-Leau, et patron de Brignon, apprit le malheur, il s'écria : " J'avais six enfants, j'en aurai dix I " Quant à M. de Wangen, il fut tout d'abord transporté à l'endroit du déjeuner, où ses parents, M. et Mme de Wangen, pleins de douleur, arrivèrent rapidement, avec leur fille, âgée de 16 ans, qui fut empressée à panser les blessés. On ramena ensuite M. de Wangen à Luvigny, dans une maison de paysan appartenant à ses parents, qui l'avaient achetée pour pouvoir chasser dans le voisinage. Cependant, avant d'arriver à Luvigny, le blessé reçut, " à la scierie de La Maix les soins dune sœur de charité, venue à pied de Luvigny, où elle avait appris la catastrophe par un exprès envoyé par M. Le Bègue. " On savait, par la suite, que le meurtrier était un chasseur d'un régiment de Saverne. nommé Richard Kauffmann. Une très grave affaire. Aussitôt connue cette lamentable agression, tout le pays fut en émoi, de Raon-l'Étape à Raon-sur-Plaine. Et l'on entendait dire et répéter : " Quelle affaire! Tout le pays est sens dessus dessous!I Qu'est-ce que nous allons devenir, si les Allemands se mettent à tirer sur nous comme sur des lapins ? " Le Docteur Wendling, de Raon-l'Étape, puis M. de Tissot, procureur à Saint-Dié, se rendirent sur les lieux, ainsi que, peu après, M, Gentil, préfet des Vosges, Nano, sous-préfet de Saint-Dié. L'enquête fut menée par MM. Sadoul, procureur général à Nancy, et Stainville, juge suppléant à Saint-Dié, sans aucun retard; et l'autopsie du malheureux Brignon fut pratiquée par le Dr Rousselot, médecin du Parquet de Saint-Dié. Dès le 27 septembre 1887, le " Journal de la Meurthe et des Vosges " publie tous ces détails. On apprend aussi que " l'enquête judiciaire a donné lieu à une scène émouvante, racontée par le narrateur de " L'Illustration " : M. Sadoul, procureur général à Nancy, avait donné rendez-vous sur le lieu du crime au commissaire allemand de Schirmeck. Ce dernier était venu en uniforme, la poitrine couverte de décorations, et accompagné de quinze de ses gardes forestiers, formidablement armés: le sabre et le revolver au ceinturon, le fusil sur r épaule. Le garde général allemand raccompagnait aussi. M. Sadoul, qui est un homme d'une finesse et d'une distinction rares, dit au commissaire, qui gardait l'immobilité la plus complète à quelques pas de la frontière : " Vous pouvez vous approcher, monsieur, il n'y a pas de danger chez nous. " " Après quelques pourparlers, le garde général allemand ayant prétendu que le chasseur de Saverne s'était conduit comme un soldat à son poste, M. Sadoul mit fin à tout entretien. Il salua le commissaire qui, après avoir répondu militairement à ce salut, fit faire demi-tour à ses gardes, qui s'éloignèrent avec lui dans la vallée. " D'autres précisions suivent la narration de l'agression de Vexaincourt. . Maréchal des logis au 12è dragons, M. de Wangen était en congé régulier dans sa famille, qui habitait à Nancy, et qui villégiaturait à Luvigny. Elève officier à Saumur, il était alors inscrit, ainsi que nous l'avons dit, au tableau d'avancement pour une prochaine nomination de sous-lieutenant. Sa famille était de noblesse alsacienne, et se rattachait aux de Wangen de Géroldseck, à qui appartiennent les ruines des châteaux de ce nom. Il n'est donc pas interdit de penser que le chasseur allemand Richard Kauffmann avait été poussé à tirer précisément sur cet officier français qu'un chef quelconque, plein d'animosité, avait pu lui désigner. Un autre fait était patent: les chasseurs allemands étaient très irrités contre les chasseurs français, qu'ils accusaient de tuer tout le gibier venant d'Alsace. Enfin, on donne encore une autre indication fort plausible : les Allemands faisaient accompagner leurs douaniers et leurs gardes forestiers par des soldats, moins pour prévenir les délits des chasseurs que pour arrêter les déserteurs, dont le nombre atteignait environ trente par mois. Ces déserteurs, on le devine, n'étaient autres que des Alsaciens refusant de servir sous l'uniforme allemand.. Il y avait aussi une version allemande des faits: elle affirmait que toute l'affaire se serait passée sur le territoire allemand. Ce mensonge était tellement flagrant, surtout après la visite des enquêteurs sur place, que les Allemands n'insistèrent pas dans cette voie. Le gouvernement de Berlin reconnaît ses torts. Pendant ce temps, toute la presse française s'emparait du sujet, et criait son indignation. Le " Journal de la Meurthe et des Vosges ", dans tous les numéros qui suivent, consacre une large place à l'attaque des chasseurs français. Il indique qu'une action diplomatique est engagée, et que M. Flourens, ministre des Affaires Etrangères de France, a saisi M. le comte de Munster, ambassadeur d'Allemagne à Paris. De même, " L'Impartial de l'Est " ouvre largement ses colonnes pour relater cette affaire, en publiant des dépêches souvent semblables à celles que l'on retrouve, d'ailleurs, dans la presse belge. A leur tour, le " Daily News ", la " Gazette de l'Allemagne du Nord ", le journal " Die Post " de Strasbourg, la " Gazette de Cologne ", et jusqu'à la presse autrichienne, relatent et commentent l'affaire de Vexaincourt. Le 8 octobre, " L'Illustration " écrit, sous le titre: " Les incidents de la frontière ", que l'affaire est en bonne voie d'apaisement et d'arrangement, malgré les divergences qui existent dans le rapport de M. Sadoul, procureur général à Nancy, et le rapport préliminaire du procureur impérial de Colmar. Et le texte poursuit : " L'avis donné par l'ambassadeur d'Allemagne au ministre des Affaires étrangères que le gouvernement de Berlin admettait, sans attendre le résultat des enquêtes, le principe d'une indemnité à payer à la veuve du malheureux Brignon, doit être considéré comme l'indice du désir de l'Allemagne de nous accorder de justes réparations... On est conduit à conclure que l'Allemagne a le désir d'éviter ce qui pourrait tendre plus fortement les rapports entre les deux pays. " En haut lieu -côté français -on a également annoncé " que des mesures allaient être prises pour rendre la situation moins difficile sur la frontière. C'est le côté le plus important des incidents Qui se produisent trop fréquemment, et c'est dans l'application des mesures annoncées par l'ambassadeur que réside la solution véritable de la question générale dont ces incidents ne sont que la conséquence. " A la même date du samedi 8 octobre, l' " Impartial des Vosges " donne le même son de cloche, et commente sévèrement, en ces termes, l'attitude des autorités allemandes : " L'affaire de Raon-sur-Plaine a reçu une solution pacifique. " Le gouvernement allemand a admis, en faveur des victimes du soldat Kauffmann, le principe d'une réparation. " La famille de l'infortuné M. Brignon recevra une indemnité basée sur les gains annuels du défunt. Il y a donc lieu d'espérer que la veuve et les orphelins de notre malheureux compatriote seront mis à l'abri du besoin. " M. de Wangen, dont l'état est aussi satisfaisant que possible, aurait, dit-on, refusé toute indemnité. Si le fait est exact, nous rendrons certainement hommage à la délicatesse de cet honorable officier; mais nous regretterons qu'il n'eût pas préféré accepter une réparation pécuniaire, sauf à l'attribuer à quelque oeuvre bienfaisante ou patriotique. " Les journaux officieux allemands prétendent que des ordres seront donnés aux fonctionnaires de la frontière, pour qu'ils usent de procédés plus pacifiques et plus courtois vis-à-vis de nous. " Tout cela est très bien, mais l'Allemagne a oublié de suivre les traditions en usage en pareil cas, elle n'a pas fait d'excuses à la France; et si elle a promis de déférer le cas du soldat Kauffmann à la justice militaire, elle n'a point affirmé que le coupable serait puni. " Notez que si les rôles étaient intervertis, M. de Bismarck eût, sans aucun doute, exigé du Cabinet de Paris des excuses formelles, officielles. " Nous ne faisons point cette remarque pour envenimer les choses, mais seulement pour montrer combien nos voisins s'imaginent pouvoir en prendre à leur aise avec nous. " Hélas! ce n'est pas la première preuve qu'ils nous fournissent I " Quelques jours après que le principe d'une réparation du gouvernement allemand eut été admis, la note allemande était publiée et, le 22 octobre, on pouvait lire, dans l' " Illustration ", les précisions suivantes, dans lesquelles les Allemands, tout en reconnaissant leurs torts, ne manquèrent pas d'une certaine audace en accusant presque nos ressortissants. ![]() 50.000 marks pour les victimes, annonce la note allemande. (Le texte de la note remise le 7 octobre par le comte de Munster à M. Flourens a été publié le 15 octobre officiellement. Cette note est ainsi conçue : " Le gouvernement impérial ayant exprimé ses vifs regrets au sujet de l'incident du Donon, et s'étant déclaré prêt à acccorder une indemnité aux personnes immédiatement atteintes... par lès conséquences de cet incident, je prends aujourd'hui la liberté de mettre à votre disposition la somme de 50.000 mark, montant de l'indemnité en question. " L'enquête, qui a été ouverte immédiatement, montrera si les militaires et fonctionnaires qui ont pris part à ce déplorable incident ont eu des torts. " Il est, dans tous les cas, certain dès à présent que d'un côté, ces faits regrettables ne sont pas le résultat du mauvais vouloir de nos fonctionnaires, mais que, d'un autre côté, ils sont une conséquence de nos institutions, dont les citoyens français ont eu à souffrir sans qu'il y eût faute de leur part. " C'est pourquoi nous croyons que l'empire allemand est moralement obligé de fournir une indemnité pour le dommage causé par ses représentants et ses lois aux intérêts des particuliers, et, comme on ne peut pas faire que ce qui a eu lieu ne soit pas arrivé, d'assurer du moins le sort des survivants. " Ainsi fut réglée l'affaire de Vexaincourt, qui fit tant de bruit à l'époque et qui, plus que l'affaire Schnaebelé, fut sans doute plus difficile à résoudre. La fermeté du gouvernement français et des autorités judiciaires, à une époque où le monde de Bismarck ne connaissait encore que le droit du poing, surtout à l'égard de la France, contribuèrent beaucoup au règlement satisfaisant de cette affaire. Aujourd'hui, à Poudenas, dans le Lot-et-Garonne, existe encore le petit-fils de M. Brignon, le garde-chasse : c'est M. Joseph Brignon, né à Lutzelhouse, qui garde précieusement, religieusement, le souvenir de cette douloureuse affaire. Jean-Louis MONGEL. - (1) M. Joseph Brignon, qui a eu 91 ans le 9 mai dernier, se souvient bien de la tragédie du 24 septembre 1887. Et il nous a expliqué que. dans sa famille, qui est originaire de Barembach, tout le monde était convaincu que Jean-Baptiste Brignon avait été abattu parce qu'il avait des idées francophiles. Son père, en effet, avait opté pour la France en 1872. Quoi qu'il en soit, en 1887, les Allemands ne s'embarrassaient pas de prétexte, et le pauvre Jean-Baptiste Brignon laissa quatre orphelins. |