ETUDE SUR LES PAROISSES DU VAL D'ALLARMONT- suite 4 Pierre GENY (de Glacimont) CHAPITRE VI
La peste, la Guerre, la famine
On sait que la politique malheureuse de Charles IV attire sur l'ensemble de la Lorraine les pires calamités. Le comté de Salm fut plus tardivement touché par elles que d'autres parties du pays mais n'y échappa pas et fut complètement ruiné. Par suite de la désorganisation de l'administration, les documents font défaut, comme nous l'avons dit, de 1640 à 1657. Nous devons nous borner à préciser autant que possible la situation avant et après la catastrophe. Il convient de rappeler auparavant quelques dates de l'histoire générale de Lorraine. - 1631. Apparition de la peste à Pont-à-Mousson puis à Nancy, nouvelle épidémie en 1633. - 1633. Siège et prise de Nancy par le roi de France Louis XIII. - 1634. Mariage du cardinal Nicolas François, frère de Charles IV, avec Claude de Lorraine, sa belle soeur, leur fuite romanesque de Nancy à Besançon puis à Florence. Premier siège de Lamothe par les Français. Le 30 septembre, victoire de Charles IV sur l'armée suédoise de Bernard de Saxe Weimar, ceci pour indiquer que Charles IV, piètre souverain, n'était pas mauvais guerrier. - Novembre 1635. Les suédois pillent, massacrent et brûlent à Saint Nicolas de Port. - 1636. Destruction systématique des fortifications et châteaux de Lorrains, notamment à Raon l'Etape et Badonviller, très probablement aussi Pierre Percée. Prise de Blâmont par les Suédois et pendaison de Mathias Klopstein fils du défenseur de la ville en 1587. - 1638-1641. Misère et dépopulation croissante en Lorraine, aide apportée par St Vincent de Paul. - 1642. Famine - 1643. Le marquis de la Ferté Sennectère est nommé gouverneur général de Lorrains ; son administration, quoique très dure et avide, ramène quelque sécurité. - de 1643 à 1651. Hostilités réduites en Lorraine. - de 1653 à 1658. Captivité de Charles IV en Espagne. - 14 avril 1661. Rentrée de Charles IV en Lorraine, la convention de Vincennes du 28 Février lui ayant rendu pour un temps ses états. La situation du comté vers 1632 paraît avoir été favorable et il semble que le premiers tiers du XVII° siècle ait été pour lui une période de progrès. Comme nous l'avons vu, le dernier rôle de la taille qui nous soit parvenu, visant l'année 1619, indiquait 62 foyers pour Raon sur Plaine et partie de Luvigny appartenant au comte ; il est très probable que ce nombre a augmenté au cours des années qui suivirent. Une supplique datée de 1633 du curé Villermain semble le confirmer ; elle précise que dans les trois villages de Vexaincourt, Luvigny et Raon, il y avait plus de cinq cents communiants ; étant donné la brièveté de la vie moyenne à cette époque ce chiffre correspondrait à une population de plus de sept cents âmes. Le curé ajoute que, sur ce nombre, plusieurs ont été récemment convertis à la foi catholique et on peut supposer qu'il restait encore un certain nombre de réformés. Par ailleurs, il a lieu de remarquer que le curé de Luvigny n'avait plus Allarmont sous sa juridiction ; c'est donc entre 1610 et 1630 qu'on peut fixer la date de construction de l'église de ce village. En ce qui concerne les assortages, d'assez nombreux artisans exercent leur métier ; pour 1631, nous relevons à Raon sur Plaine et partie de Luvigny trois maréchaux : Jean et Daniel Cochot, Claudon Ferry ; cinq boulangers : Jean Soudieux le Viel et Jean Soudieux le Jeune, Jean Charbonnier, Pierre Drouat, Thirion Mangenot ; deux charriers : François Arnoux et Dieudonné Charrier ; quatre corriers, Christian Barbier, Jean Phalle, Toussaint et Jean Verdelet. L'exploitation des forêts a repris une certaine activité et plusieurs scieries sont en marche. En 1629, la scie Guyot consomme 200 sapins à 28 gros l'un et en 1631 le même nombre à 23 gros et demi ; la scie de Chaude-Roche exploite également 200 sapins à 23 gros un denier. On remarquera que, depuis le début du siècle, les prix du bois ont triplé. Le bois de bolée est exploité très activement ; c'est ainsi qu'en 1625, 6746 toises soit plus de 20.000 stères, sont façonnées par les ouvriers des scieurs de Mouilly, Henri Masson et Chrestien Ydoux. L'administration de la gruerie a été renforcée. Elle comprend un gruyer aux appointements de 120 francs par an, un contrôleur à 100 francs, un chevaucheur des bois à 50 francs et dix forestiers à 25 francs plus le tiers des amendes, à savoir : Jean Martenotte au plat pays, Claude Masson à Celles, Dieudonné Valentin à Luvigny, loys Gérard à Raon sur Plaine, Didier Aubry au ban de Salm, Colas Simon au ban de Plaine, Claudon Estienne à la prévôté de Saint Aille, Thiriot Parisot au Val de Senones, Colas Claudon et Humbert Colas le maire en la seigneurie d'Augomont. Il existe une grande quantité de gros bétail ; on a vu ce que possédait Pierrot Drouat ; le montant de plusieurs amendes pour pâturage aux lieux défendus démontre que d'autres particuliers élevaient de vingt à trente bêtes. Les admodiations sont très disputées ; nous l'avons noté pour les traînesses et pour les scies ; on trouve même un profit des mouches à miel ; "ont été découvert deux essaims aux Bois Sauvages vendus a qui plus pour six francs." C'est en 1633 que les fléaux de la guerre, de la peste et de la famine qui avaient déjà touché d'autres parties de la Lorraine s'abattirent sur la vallée pour atteindre leur maximum au cours de l'hiver 1635-1636. En ce qui concerne la guerre, il ne faut pas oublier qu'étant donné la composition des armées d'alors, les troupes amies étaient presque aussi redoutables que celles des ennemis. Toutefois les Suédois, protestants farouches, ont laissé en Lorraine une réputation de cruauté que la tradition a conservée jusqu'à nos jours. - 1633. Requête de Jean le Kieffre, admodiateur du passage du Val d'Allarmont. Il expose que "depuis que les Suédois ont occupé les passages allant à Strasbourg et en Allemagne et brûlé le Neufville sous Barainbac dit Schurmeck, ses récoltes sont tombées à rien. il obtient décharge des deux tiers du montant de son admodiation. - 1634. Le 2 novembre, les recettes de la gruerie du comté sont mises sous séquestre par Louis Lefebvre, conseiller du roi de France. Le 17 Novembre le conseil souverain établi à Nancy par le roi y convoque le gruyer pour présenter ses comptes le 24 janvier 1635 : le comté est donc, comme la Lorraine, soumis à l'administration française. - 1635. Supplique d'Elisabeth Naibourg, veuve du comptable (châtelain) Isaac Ves, qui ne peut présenter les comptes de celui-ci, ses papiers ayant été dispersés lors du pillage de Badonviller. "Remonstre le comptable (le gruyer) qu'au mois de Mars 1635,, son controlleur aurait été tué sur le hault chemin des channes ; quelque temps après et dans la suyte des misères tous ses forestiers mors fors le chevaucheur des bois. Une grande partie de ses papiers ont été perdus ou deschirés ; pourquoy il supplie très humblement Messieurs les Présidents, Conseillers et auditeurs des comptes de Lorraine que s'il se trouve manquer quelques pièces justificatives du présent compte, d'en imputer la cause au malheur des temps et de s'en fier à sa mémoire." "Le soussigné, chevaulcheur des bois du comté du comté de Salm certifie à tous qu'il appartiendra qu'en suite de plusieurs et diverses commissions du sieur Raville, gruyer dudict comté, il aurait été le 28 octobre 1635 interpellé les fermiers des scyes et aultres qui devaient le canon de leurs admodiations du terme de St Jean Baptiste de ladite année, lesquels sur ladite interpellation auraient répondu qu'ils n'avaient rien fait pour la plus part, d'autant qu'il avaient été grandement empechés par les soldats qui leur avaient print leur best qui servaient à mener le bois sur les scyes et print tout ce qu'ils avaient trouvé ne leur laissant que leurs maisons et ce qu'il avaient en fond (en terre). Certifie encore que, en suitte desdites commissions, environ deux mois après (donc à la fin de 1633), je me serais derechef acheminé domiciles des dits fermiers lesquels étaient le plus grande partie morts les aultres auraient abandonné leurs maisons et se seraient retirés dedans les bois à l'occasion des courses des soldats et pour la mortalité qui régnait (la peste) ny ayant aulcun moyen de tirer aulcun payement d'iceulx, ce que je certifie estre véritable sous mon seing accoustumé cy mis le de janvier 1636," signé de France. Ce texte fait allusion aux exactions des soldats et à la peste qui régnait alors dans la vallée. Il est évident qu'en conséquence toute culture a cessé et qu'à ces deux maux s'est ajoutée la famine. "Le soubsigné (le gruyer) certifie que Jacob le .... forestier au comté de Salm se serait transporté au lieu de Raon sur Plaine, où estant, il aurait interpellé Jean Parxel, maire audit Raon à payer le prix de la ferme de la scye de la goutte Guyot pour sa moictié à la Saint Jean année 35. Quoy ledit Parxel faict réponse qu'il ne pouvait rien debvoir." Evidemment pour les même raisons que ci-dessus. C'est certainement alors qu'un particulier de Raon sur Plaine du nom de Parmentier se retira sous une roche qui porte encore son nom. Elle se trouve sur la crête Plaine-Blanc Rupt à la cote 700. Cette roche a joué un rôle important, au titre de borne, dans le procès qui opposa au XVIII° siècle deux abbés de Domèvre aux princes de Craon et de Beauveu ; elle a eu l'honneur d'une visite des délégués du parlement de Metz accompagnés des parties et se trouve décrite avec tous les détails désirables dans une des mémoires de l'abbaye. il est fort possible que la roche Pain Sec du blanc-Rupt à l'entrée de la basse Hauzard (précédemment Grosse Basse Simon), doive son nom à un autre ermite forcé de la même époque. L'abbé Chetton, dans son histoire de l'abbaye de Saint Sauveur Domèvre rapporte que le village de Saint sauveur fur alors détruit et qu'il n'y resta que deux habitants qui se retirèrent en forêt. Le choeur de l'église abbatiale subsiste seul et sert d'église au village actuel. Enfin un mémoire de l'abbé de Domèvre datant probablement de 1736 précise qu'au début du XVIII° siècle encore le village de Raon-les-leau était "complètement détruit et abandonné en suite des grandes guerres et pestes sans qu'il y restat aucune maison, ni l'église ni personne." C'est en 1636 que la nef de l'église de Luvigny fut incendiée par une partie de l'armée de ....., Général de l'empire et par conséquent allié de Charles IV, comte de Salm. De 1637 à 1647, il subsiste quelque reste de l'administration du comté ; mention est faite que les murailles de Badonviller sont tombées et ébréchées en plusieurs endroits, que les moulins de Bréménil, Moussey, Luvigny et la Broque ne se peuvent rétablir d'autant qu'il n'y a presque plus d'habitants. Toutefois le moulin de Raon sur Plaine est encore loué et le 17 juin 1639 les scies de la goutte Guyot, de Luvigny et de la goutte de la Maix sont encore adjugées, non plus à des gens de la vallée mais au sieur Jean, capitaine de Blâmont, à raison de 6 gros par pied d'arbres c'est-à-dire à moins du tiers des prix précédemment pratiqués ; "Elles allaient tomber faute d'entretien et il était nécessaire de les admodier à quel prix que ce soit, joinct qu'elle seraient vacantes que les reste des subjects de la montagne n'auraient aucun moyen de pourvoir à les alimenter." Tels sont les derniers renseignements que nous possédions sur cette période de misère ; les comptes généraux et les comptes de la gruerie ne reparaissent qu'en 1657, toujours sous l'administration française. - 1667. Par bail du 20 décembre 1656 les forges de Framont furent louées pour quatre ans, à raison de cent francs par an, prix symbolique, au sieur Basile Mus, administrateur du mont de Piété de Nancy aux conditions suivantes : "Le sieur Mus rétablira à ses frais et despens le haut fourneau de ladite forge avec les hasles à charbon et les autres bastiments nécessaires pour y pouvoir fondre et tirera la mine qu'il pourra et qu'il lui sera loisible faire tirer et prendre avec la callistenne (Kaltestein = castine) et toutes autres pierres et matières requises à l'entreténement de ladite usine à ses frais et despens par tous les endroits dudit comté et de la juridiction de son Altesse qu'il en saura et pourra découvrir, avec le moins de dommages néanmoins que faire se pourra et à charge de dédommager les propriétaires de gré à gré, sinon au taux qui en sera fait par les officiers de son Altesse ; comme aussi une affinerie et la chaufferie, fera les bastiments à la chambre du ....pour y loger et qui soient couverti en thuilles à cause du danger du feu ; pourra agrandir la hasle du charbon qui est près de ladite forge de la moitié ; fera les autres bastiments qu'il trouvera nécessaire pour y loger ; fera faire à la forge à battre tout ce qu'il jugera pareillement nécessaire ou utile par-dessus ce que l'admodiateur précédent est obligé à faire par son bail, le tout pareillement à ses frais et despens saulf qu'il luy sera fourni le bois gratis es lieux plus propres et plus commodes moiennement les frais et droits de marquage qu'il payera aux officiers de gruerie. Lesquels bastiments il entretiendra pendant lesdites quatre années et duquels il sera faict visite si tost après la construction en faicte par expert convenu de part et d'autre. Il sera fourni par année du bois pour faire mille bennes de charbon, la benne portant douze cuvaulx." Nous ne connaissons malheureusement pas les contenances de la benne et du cuveau. Le sieur Mus jouissait par ailleurs du droit de pâturage pour "cent bestes tant chevaux, boeufs que vaches, plus deux vaches par ouvrier des forges et du permis de chasse aux grandes bestes avec deux de ses domestiques avec arquebuses et aultrement." "Estat que présente Jacques Montal, chastelain du comté de Salm pour obéir aux ordres de Monseigneur l'Intendant du dernier Novembre 1657 à luy signifiée par une missive du dernier Décembre suivant de la recepte et despenses dudict comté pour l'année 1657. Et premier récepte. Remonstre que le domaine dudict comté luy a été laissé à bail pour trois ans par Messieurs de la Cour de son Altesse ainsy qu'il en appert par le bail du dernier Avril 1655 cy reproduit du original, ledit bail pour trois années çà commencer du premier Janvier 1656 et finir au dernier décembre 1658 à raison de 1000 francs par an payables de deux termes égaux à Saint Jean Baptiste et Noël." Il est intéressant de comparer ce chiffre de 1000 francs à celui des recettes du comté avant les guerres, plus de 13.000 francs sans compter les recettes en nature. - 1658. "Le président et Conseillers de la Cour Souveraine tenant les chambres des comptes de Lorraine et Barrois à notre cher et bon amiy le sieur Raville, gruyer du comté de Salm, cher et bon amy : ayant reçu plaincte que vous estes refusant de vous acquitter de la gruerie du comté de Salm, nous vous ordonnons d'y satisfaire promptement, à peine d'y estre contraint par emprisonnement de votre personne, de saisie de vos biens pour deniers princiers ; à quoy nous assurant que vous ne ferez pas faute, nous prions Dieu de vous tenir en sa Saincte Garde. fait à Trèves, le quinzième d'Apvril 1658." Par la cour, Bailly. Cette lettre était adressée au sieur Raville par la Cour instituée à Trèves par Charles IV qui, bien que dépossédé en fait de ses états, entendait bien en recevoir les revenus et en recevait effectivement une partie. On peut déplorer la situation difficile du gruyer dans cette alternative mais on doit admirer la façon élégante dont sont dites des choses désagréables. - 1659. Reconstruction de la nef de l'église de Luvigny. "Supplient très humblement les habitants des villages de Luvigny, Raon sur plaine et Vexaincourt scitués dans la terre de Salm disant que depuis très longtemps l'église paroissiale desdicts lieux estant bruslée par le malheur des guerres, il auraient pris la résolution de la réparer afin d'y pouvoir faire célébrer la messe et vacquer avec plus de dévotion au service divin et que la réparation et l'entretien de la nef de ladite église est du temps immémorial à la charge de ladite terre de Salm pour la moictié et en conséque de quoy ayant plusieurs fois porté plaincte à Messieurs les chastellains et haults officiers de ladicte terre de Salm et représentés l'intérêt (le dommage) très notable qu'ils trouveraient si ladite nef n'estait promptement réparée ........" Sans réponse des officiers de Salm, les habitants adressent leur supplique à la Chambre des comptes de Lorraine, qui, après enquête ordonne la dépense de 80 francs. Cette réparation, exécutée sans doute en 1659, a donc coûté en tout 160 francs. - 1659. "Compte que Bazil Mus admodiateur du comté de Salm rend à Monseigneur de Colbert, seigneur de Ste Pouange et de Tillacerf, conseiller du Roy en ses conseils, Intendant de la justice, police et finances en Lorraine tant de la somme principalle à quoy monts le canon de la ferme dudit domaine que de la despense faicte et soutenue sur icelle pendant l'année dernière 1659. Net en comte le comptable la somme de 4.400 frans a quoy monte le canon de la ferme dudit domaine." - Aux dépenses figure la somme de 80 francs accordée pour la réparation de l'église de Luvigny. Le sieur Mus se plaint de l'opposition ou tout du moins de l'inertie qu'il rencontre de la part des officiers du comté. On voit qu'à l'expiration de son bail Jean Mortel, serviteur du duc de Lorraine, a été éliminé au profit de B. Mus, également admodiateur des forges. -1667. "L'ascencement de la Bruslée n'a rendu aulcun proffit depuis les guerres et ne sera prest d'en rendre de longtemps à cause que ledit bois de la Bruslée est en friche et même qu'il y a à Raon sur Plaine des terres beaucoup meilleures que celles dudit ascencement qui demeurent en friche et sont incultes par le peu de subjects qui est audit Raon et aux environs." Il en est de même de l'ascencement de Pierrot Drouat au Donon ; le moulin de Luvigny a été brûlé par les soldats et le battant d'Estienne Cochot est ruiné. "Le pasturage des channes. Ce pasturage n'a été admodié depuis les guerres ; s'il était admodié pour cinq ou six années, on pourrait en tirer proffit de quelques cinquante frans par années d'autant qu'il faut ce temps pour remettre la pasture en estat qui s'est rendue sauvage pendant la longueur et laps de temps." Le rapport indique enfin qu'il n'y a que ruynes an ban de Salm. Les comptes de gruerie ne relèvent aucun assortage au Val d'Allarmont, au ban de Salm et à Celles pour les années 1661 et 1662. Quelques très modestes recettes sont perçues : location de la rivière et des ruisseaux de Chauderoche et de la Maix ; Jean Paticier, maire de Raon sur Plaine paie un franc pour le ruisseau de la goutte Guyot ; Claude Sayer et Jean Parxel versent la même somme pour le droit de porter arquebuse. En 1662, la scie de la goutte Guyot est louée au maire Salmon de Raon la Tappe, celle du Cerf au sieur Jean Mortal, cy devant châtelain du comté, celle de Chauderoche au sieur Aubry, tabellion de la principauté de Salm, celles enfin de Luvigny et de la goutte de la Maix à Jean Benay. - 1663. Le duc Charles IV, de retour dans ses états, se hâte de se débarrasser du sieur Mus : "le domaine de Salm a été laissé à titre de bail et d'admodiation pour trois années suivantes et consécutives qui ont commencé le premier Janvier 1663 à M. Gaspard de Glatigny, tabellion général du duché de Lorraine, résidant à Saint Diez, à charge d'en payer pour chacune des dites trois années une somme de 5.700 francs sous la caution de MM. François Simonaire lieutenant du bailliage de Saint Diez y demeurant et Jean Nicolas, bourgeois dudit lieu." Raon sur plaine paie 17 francs pour la taille et 22 francs pour l'aide Saint Rémy. Voici la répartition de celle-ci : * Jean Paticier franc à cause de sa charge de maire ayant exemption de son Altesse. * Jean Michel, maréchal, taxé à un fran 3 gros. * Jean Mongeon, forestier faisant un quart de charrière, taxé à 4 frans 1 gros, prétend être franc à cause de sa charge. * Pierre Drouat, bocquillon, taxé à un fran 4 gros. * Jean Michel le vieil, faisant un quart de charrière, taxé à 3 frans 4 gros. * Nicolas Chappelier, recouvreur, taxé à un fran 5 gros. * Jean Parxel, faisant un quart de charrière, taxé à 2 frans 11 gros. * Nicolas, de Luvigny, manouvrier, taxé à un fran 3 gros. * Claude Tonnesse, réfugié (il y en avait donc déjà) manouvrier, taxé à un fran. * Jean Colin, manouvrier, taxé à un fran 6 gros. * La veuve Demenge Lecomte, faisant un quart de charrière, taxée à 3 frans 6 gros. "Le soubsigné, Curé de Raon sur plaine, certifie n'y avoir autres paroissiens audit lieu que les nommés au présent roolle, faict à Raon sur Plaine. signé : Ordent." Cette liste appelle les observations suivantes : l'indication d'un habitant de Luvigny paraît indiquer que ce sont là tous les foyers qui subsistaient alors à Raon et dans la partie de Luvigny appartenant au comté et donc que dans celle-ci il ne restait qu'une seule famille ; d'autre part, même en tenant compte du réfugié qui n'apparaît plus dans les états postérieurs, le nombre des foyers était tombé de 85 environ à onze, c'est-à-dire qu'il avait été réduit à un sur 7,7. ceci précise l'étendue de la catastrophe qui avait atteint la vallée et l'ensemble du comté ; on peut s'étonner qu'aucun des historiens de la région n'en ait, à notre connaissance du moins, signalé l'importance. Nous avons vu précédemment qu'il ne restait plus personne à Raon-les-Leau ; voici ce qui est indiqué pour Pierre Percée ; "il n'y a plus qu'un habitan pour son Altesse : encore est ledit habitan très pauvre et duquel on lui a souffert demeurance sans rien payer jusques à ce qu'il soit en moyen de le faire." C'est en 1663 que reparaissent les assortages : celui de Jean Michel le jeune, maréchal à Raon sur Plaine et celui de Chrestien Barbier, tonnelier à Luvigny. Le chauffour de Raon sur Plaine est loué à "certains massons italiens du pays de Tirolle pour trois années à charge de le mettre en bon estat ; ce qu'ils firent du commencement mais à cause de la cherté des vivres, ils abandonnèrent le pays de sorte que les officiers de gruerie l'ont faict recouvrir de planches pour le maintenir en estat en attendant d'en faire proffict." "Le proffict des traînées à faciliter les descentes de Raon sur Plaine et Grandfontaine est admodié à Jean Paticier, maire de Raon, pour quatre frans, personne n'y ayant voulu donner d'avantage." (contre 99 francs en 1633). - 1665. Nous possédons le montant de l'aide Saint Rémy pour cette année et pour les différentes parties du comté. un total de 685 francs est réparti comme il suit : Badonviller : 130 ; Celles : 42 ; Val de Senones : 215 ; Saulxures (ban de Plaine) : 52 ; Raon sur Plaine : 44 ; Bréménil : 12 ; Parux : 35 ; Saint Maurice : 68 ; Ban de Salm : 18. De ces chiffres, on peut raisonnablement conclure que la plaine avait relativement moins souffert que la montagne et que c'était aussi le cas du Val de Senones ; qu'il ne restait presque plus personne au ban de Salm et que Raon sur Plaine (et partie de Luvigny) se trouvait dans la misère : nous avons vu précédemment ce qu'elle était. Les déclarations des habitants de Raon nous sont connues jusqu'à l'année 1668. L'une d'elles précise qu'il n'y a dans la paroisse aucun noble, aucun officier ou autre prétendant franchise, aucun garçon ou fille tenant ménage, aucun mendiant. - 1665. La communauté de Raon sur Plaine se rend adjudicataire du domaine. "Les soubsignés, officiers du domaine du comté de Salm ayant reçu ordre de Nosseigneurs de la Chambre des comtes de Lorraine datte du dix huitième de Septembre dernier d'affermer ledit domaine et d'en faire des fermes particulières en la forme ancienne pour le terme et espace de trois années consécutives et à cet effet lesdits officiers ayant fait faire les publications par, tous les lieux dudit comté et du voisinage en déclarant par icelles spécifiquement tous les revenus dudit domaine, y comprenant toutes les amandes indictées par les ordonnances, moictié des arbitraires et les espaves et confiscations les frais de justice préalablement pris, à la réserve néanmoins de celles desdites espaves et confiscations qui excéderont trois cents francs après les frais de justice préalablement pris, de l'ayde St Rémy et du droit de sceau et tabellionnage dudit comté, jour aurait été pris au trentième Octobre dernier, pour vacquer au lieu de Raon sur Plaine à l'enchère du moine du Val d'Allarmont et lesdits officiers ayant veu que les mises de d'estail faictes par les particuliers de ce lieu n'étaient recevables sur ce que lesdits officiers auraient fait assembler en corps la communaulté et ayant proposé que quiconque particulier d'entre eux voudrait faire une mise recevable dudit domaine dudit lieu au delà de ce qu'il avait rapporté les années dernières, il jouissait des franchises et exemptions ordinaires. N'y ayant en personne qui s'y soit offert ainsi (mais) la communauté en ayant fait mise de deux cent trente frans à charge d'estre quelque peu considérée aux ... et répartitions qui se feront pendant lesdites trois années sur les habitans et communaultés dudict comté, la chandelle ayant été allumée et les encherres édictées à dix frans et n'y ayant eu aulcune n'y de la part de ladite communaulté n'y d'aulcun particulier d'icelle n'y d'aultre lieu, ladite chandelle esteinte, ledit domaine serait demeuré eschu à ladite communaulté laquelle aurait demandé aux dits soubsignés de luy on passer bail pour et moyennant ladite somme de 230 frans, lesdits soubsignés ont recogneu et confessé et recognoissent et confessent par les présentes avoir loué et admodié à titre de bail, ferme et admodiation pour trois années consécutives qui y a commencé à courir au premier jour de l'année présente 1665 et finissant au dernier jour de Décembre 1667 à ladite communaulté acceptante par Pierre Drouat et Demenge Le comte, bourgeois et députés d'icelle pour eulx, leurs successeurs et ayant cause tout le domaine que son Altesse eu au Val d'Allarmont en quoy il puisse consister." Il y a lieu de remarquer qu'alors encore Raon sur Plaine et la partie de Luvigny appartenant au duc de Lorraine ne formaient qu'une seule communauté. Une semblable adjudication eut lieu au ban de Salm où le domaine fut également loué à la communauté mais à raison de cent francs seulement. Il apparaît probable que ces opérations avaient fait l'objet d'une entente préalable entre les officiers du comté et les habitants. Cette adjudication du domaine à la communauté marque une étape importante dans la situation des habitants des deux villages et notamment dans leur degré de liberté. Ceux-ci, il est vrai, avaient depuis longtemps et en tout cas depuis l'époque où les documents originaux nous sont parvenus, c'est-à-dire depuis la seconde moitié du XVI° siècle, un statut qu'on doit considérer comme privilégié si on le compare au régime qui régnait en Allemagne. Il n'y avait plus en effet de trace de servage ; les habitants étaient propriétaires de leurs maisons et de leurs héritages, c'est-à-dire de leurs terres et il possédaient des droits assez étendus sur les forêts communales. au point de vue des charges fiscales, si on excepte les amendes qui paraissent avoir été très lourdes pour des délits sans véritable gravité, il n'est pas douteux que la part prise par les seigneurs sur les revenus de leurs sujets était infiniment moindre que celle que nous versons aujourd'hui à l'état. En revanche, le mode de perception des impôts était aussi vexatoire que possible ; on a vu en effet que la plupart des revenus du domaine étaient adjugés à la chandelle à des habitants du lieu : il est évident que chaque adjudicataire s'efforçait de tirer le plus possible de ses concitoyens ce qui constituait une source de continuelles contestations et inimitiés. La gestion du domaine par la communauté constitue un progrès important. Le bail du domaine du Val d'Allarmont fut renouvelé le 9 Avril 1669. "Par devant le tabellion général du comté de Salm soubsigné et en présence des témoings en bas nommés et comparu le sieur Simon le Clercq faisant et exerçant les fonctions de la charge de receveur dudit comté par commission de son Altesse du 27 janvier dernier, lequel à l'assistance dudit soubsigné en qualité de controlleur dudit domaine, a reconnu avoir laissé et admodié pour le temps et espace de trois années consécutives à la communauté de Raon sur Plaine acceptante par Pierre Drouat maire et Jean Mongeon bourgeois audit lieu pour eux conjointement puis pour leurs hoirs et ayant cause scavoir : le passage du dit Val et des Donnons, le thonneux, la gabelle, le dixmage ..., le moulin, les channes, la taille, l'ascencement de Pierre Drouat, la Bruslée, les amendes basses, la moitié des arbitraires et des confiscations, espaves et deniers casuels, sur ce que lesdits officiers auraient recogneu que les mises en destail n'approchaient pas la mise en gros cy après déclarée." Les documents nous manquant à partir de 1669, nous ne pouvons affirmer qu'après 1671, la communauté est restée adjudicataire du domaine mais étant donné les deux précédents, cela parait bien probable. Les derniers renseignements que nous possédions en provenance des comptes de Salm sont les suivants : en 1667, jean Soudier est adjudicataire des channes ; le comptable fait recette de sept francs qu'il a "tiré" de Nicolas Chappelier pour avoir le droit de refaire les grands chemins de Grandfontaine. Après Jean Soudier, maire ne 1667, personne ne veut plus admodier cette charge (moyennant cinq francs) "pour estre plus nuisible que proffitable." De même, on ne trouve plus personne pour le droit de refaire le grand chemin, par suite de la suppression des salaires en nature (foin et grain) qui étaient attribués au titulaire de ce droit. Et voici enfin le dernier rôle qui nous soit parvenu des habitants de Raon ; "Demenge le Comte laboure environ cinq ou six jours de terre seigle sur son fond ; le reste du temps employé à mener du bois pour fournir les forges et entretient sa mère qui est veuve. Cotisé à 4 francs 9 gros. Jean Michel laboure environ cinq ou six jours de terre seigle en partie sur son fond et les reste par louage ; le reste du temps, s'en va quérir du vin en Allemagne ; 4 francs 9 gros. Jean Mongeon laboure environ six jours de terre seigle en partie sur son fond, le reste par admodiation d'héritage d'autruy et le reste du temps employé à mener du bois pour les forges : 5 francs. Jean Parxay laboure environ 4 jours de terre seigle la plus part par admodiation et le reste du temps va mener du bois pour fournir les forges : trois francs six gros. Des manouvriers ; Pierrot Drouat, maire : un franc dix gros, Nicolas Chappelier qui va à la journée : 20 gros, Jean Colin qui va à la journée : deux francs six gros , Jean Jacquot, sagaire : un franc deux gros, Jean Michel, maréchal : deux francs, Nicolas de la Garde : un franc deux gros ....." Signé par Nicolas Ordent, curé de Luvigny et Raon. |