ETUDE SUR LES PAROISSES
DU VAL D'ALLARMONT- suite 4

Pierre GENY (de Glacimont)


CHAPITRE V


       La situation de nos trois villages vers la fin du XVI° siècle ayant été précisée par l'étude de la visitation de 1577 et du partage de 1598, nous revenons quelque peu en arrière pour examiner les documents qui nous donneront sur eux des renseignements plus détaillés.

       Les premiers datent de 1564; ils permettent de se faire une idée des pénalités alors appliquées par les seigneurs hauts justiciers, à leur profit naturellement. "Le chastellain (de Badonviller) requiert taxe d'ung plaintif faict par Jehan Saffroy, gruyer du comté de Salm contre Jean de Sainct Dié demeurant Pershomme (Pexonne) se complaignant d'avoir esté grandement et à tort insulté par le dict de Sainct Dié qui, en blessant son honneur, luy aurait haultement dict qu'il rapportasse les vaisselles d'argent qu'il avait prises à Strasbourg en l'appellant en oultre meschant homme et coquin; de quoy ledict de Sainct Dié ne pouvant soutenir de tels propos s'en est repenti en demandant pardon audict Jehan Saffroy plaignant en présence de plusieurs, le tenant en déclarant homme de bien et disant tels propos avoir esté par luy dicts mensongèrement et plus par colère qu'aultrement." Malgré ses excuses, le coupable est taxé au tiers de ses biens au profit de Nos seigneurs.

       "Pareillement d'un plainctif faict par Mangenot de Grand Fontaine contre Hannezo le prévost disant sa femme avoir esté à tort battue et oultragée jusques à sang coulant par ledict Hannezo et sa femme de sorte qu'elle en a esté alittée quelques temps." Hannezo s'excuse et s'en tire avec une amende de soixante sols.

       Il est certain que les amendes tant forestières que criminelles constituent une part non négligeable du revenu des seigneurs.

       - Décembre 1564. "A hault et puissant Monseigneur le comte de Salm, nostre très redoublé Seigneur. Plaise à vostre bénignité, honoré Seigneur, vouloir à l'humble supplication et requeste de vostre plus que très humble et obéissant serviteur et dubisct Anthoine Lhoste, cellérier au chasteau de Pierre Percée, ordonner provision pour couverture de vostre part dudict chasteau qui présentement a grande nécessité à recouvrir ainsy que Monseigneur en a bien la cognoissance pour avoir veu le lieu n'a pas longtemps lors qu'il vous pleut vous y transporter vers la Sainct Jean dernière et qui la laisserait en tel mauvais estat irait plutôt à la ruyne qu'aultrement. Par quoy vous plaira d'y avoir esgard et ledict suppliant, faisant toujours debvoir de fidèle subject et très humble serviteur, priers à Lamaix Dieu pour vostre très noble santé et prospérité."

       Suit acceptation de Claude, comte de Salm. Ce texte nous apprend que, dès 1564, le château de Pierre Percée n'était plus habité normalement. Le comte Jean X et son frère Claude résidaient dans leur maison de Badonviller.

       1566. Le châtelain de Badonviller est, pour une année seulement, Bertrand Louyot, curé du lieu. Son rapport nous donne des précisions sur l'impôt direct de la taille.

       "La taille du Val d'Allarmont qui monte et avalle (diminue) à la volonté de Messeigneurs les comtes a esté par leur permission cette année taxée par les haults officiers à la somme de quatre vingt francs.

       La mairie du ban de Salm : "la droicture appelée la hache. Les habitants du ban de Salm ne doibvent aulcune taille mais tous culn tenant mesnaige en ladicte mairie doibvent annuellement une droicture appellée la hache qui monte pour ung chascun à sept gros quatorze deniers. (le gros était la douzième partie du franc) autant le fort que le faible, lesquels sont ceste année au nombre de cinquante deux dont la justice y prend quatre et du reste 48 appartenant à Nosseigneurs les comtes la moitié contre l'abbé de Senones (qui n'était pas encore dépossédé de sa souveraineté). Revient à mondict seigneur pour ce douze haches qui montent en argent à sept frans dix gros."

       "Les habitants de la mairie du ban de Salm voulaient faire le guet par chascun au chasteau de Salm et pour raison de la ruyne dudict chasteau sont appoinctés pour le somme de vingt frans par an jusque au bon plaisir de Nosseigneurs" Le château de Salm dont il ne subsiste à peu près rien était donc déjà détruit en 1566 après trois siècles environ d'existence. On ignore par qui et dans quelles conditions il fut ainsi ruiné.

       Suit la déclaration des scies du Val d'Allarmont : celle de Chenomprey est louée à Jean Dony de Raon sur Plaine, ancêtre probable de la famille Dony encore existante : de même, je suppose que Jean Bièque, alors locataire de la scie de la Broque est à l'origine de la famille Beck.

       - "Recette de chappons". Les moulins du Val d'Allarmont (Luvigny et Raon) devaient chacun un chapon par année.

       - Ce que coûtait un voyage à Nancy. "Par mandement de mondict Seigneur fut contraint ledict officier se transporter à Nancy obstant certaine maladie de laquelle il dut se faire accompagner d'ung nommé le maire Georges dudict Badonviller qu'estant le sixième jour d'Apvril dernier où il ne purent aller plus loin disner que à Mairenviller (Marianviller) là où tant pour eux que pour leurx chevaux dépensèrent 18 gros. Au souppé, à ... près Lunéville, fut dépensé 22 gros. Le lendemain au giste de Sainct Nicolas 6 gros. Au retour, pour le souppé et le giste à .... 6 gros."

       1567-1570 : "Recette de poulles ou gellines. Chascun conduict des habitants dudict Val d'Allarmont doibt deux poulles pour une droicture appellée le feu. Il y a soixante quatorze contribuables à deux poulles, soit "sept vingt huit" poulles."

       "Recette ordinaire de planches des scyes du comté de Salm. Au Val d'Allarmont sont dix huit scyes appartenantes à Messeigneurs les comtes pour la moictié et au Sieur abbé de Senones pour l'aultre, laissées et admodièes par les officiers à plusieurs particuliers soub certaines conditions de ne passer leur limites anciennes de bois, coupper et abbatre ce bois sans faire dégast, de ne faire planches au-dessous de douze pieds de long, de payer le prix de leurs admodiations et de rendre les scyes en bon et suffisant estat comme y appert amplement par les actes de bails et d'admodiations." Suit la liste des scies avec, pour chacune d'elles, le nombre de charrées de vingt cinq planches que l'admodiateur devait livrer annuellement aux seigneurs. Nous voyons apparaître ici la tronce de quatre mètres qui, il y a trente ou trente cinq ans, était encore en usage exclusif dans notre région et aussi la planche lorraine, bien délaissée aujourd'hui. Moyennant la livraison des charrées de planches portées à leurs baux, il semble bien que les admodiateurs coupaient ce qu'ils voulaient dans l'étendue de leur marches, ce qui devait produire un beau gâchis. Ils étaient à la fois bûcherons, scieurs et voituriers et probablement aussi schlitteurs.

       Nous relevons le droit de "thonneux, une droicture due par ceulx qui vendent du vin audict Val d'Allarmont" adjugée à Demenge Biecque, de Luvigny, pour six frans"

       C'est depuis 1570 que nous possédons les comptes de la gruerie, c'est à dire de l'administration forestière du comté et c'est au gruyer que les artisans payaient le bois dont ils avaient besoin pour leur métier: C'est ce que l'on appelait alors leurs assortages. "En l'an de ce présent compte ne s'est faict aulcuns paisseaux 'échalas' pour ce que Messeigneurs les ont deffendus à cause du grand dégast de bois qui se faict pour lesdicts paisseaux. Pareillement ne se sont assortis aulcuns charries (charrons) ny cuvelliers parce que le prix de Messeigneurs est trop hault pour eulx."

       "Assortage des mareschants. En l'an de ce présent compte ne saurait faict que des charrées de charbon pour les mareschants dudict Val ; ainsy ne seraient assortés au Ban le Moine à raison que le prix est trop hault et qu'ils n'ont grande pratique dudict métier (la cuisson du bois en meules)."

       Bois deffendu de Messeigneurs arresté et vendu par ordre des chastellains.

       En l'an du présent compte aurait été vendu au proffict de Messeigneurs à Mongeon Demenge, maire de Raon la Tappe, marchand, lequel les avait déjà achettés à Nicolas le maire et Colas .... qui, sans octroy ny permission avaient faict et vendu lesdiscts bois en nombre de quatorze charrées de traffeteaux (charpentes)."

       Suit une série d'amendes pour coupe de bois sans autorisation ou pour 'trippon" dans les bois communaux. Le mot trippon, plus souvent trépois signifie dégâts en forêt causé par les hommes ou par les éléments: dans ce dernier cas, il pouvait être attribué au diable. D'où Diable Trépois transformé en Dialtrepois dans la forêt de Celles : col et Vierge de ce nom qui nous rappelle en fait un gros coup de chablis survenu il y a plusieurs siècles. De même il existait une montagne des Haults Trépois dans la vallée de Vaquenoux (partie Est de la forêt de Grandfontaine, 1610) et un lieu dit du même nom entre la maison des Hautes Abrayes et le col du Donon (1595).

       Pour la plupart des délits forestiers, le gruyer indique que le délinquant "est pauvre et n'a peine pour payer l'amende ; l'affaire est remise à la bonne grâce de Messeigneurs.

       1572. "Plus faict encore recepte de vingt cinq francs pour la quantité de cinquante voilles de mort bois que jean Titot, marchand de Saint Nicolas, aurait faict descendre es la ripvière de Celles lesquelles voilles de bois payent à Messeigneurs les comtes chascune six gros. Et porte icelle voille huit pièces de bois penne et chevron, douze en doubles pennes et recharges trois comme il appert es vérification de Phillebert Doney qui a la clef du bousson de la ripvière."

       Les comtes prélevaient une taxe d'exportation sur toutes les marchandises qui sortaient de leur territoire par terre ou par eau. Le plus clair de cette recette provenait des bois flottés sur la Plaine par où ils gagnaient la Meurthe puis la Moselle. Ces bois étaient expédiés en voiles, sortes de radeaux dont nous avons ici une composition; les acheteurs étaient appelés marchands voileurs ; il y en avait notamment à Raon l'Etape.

       Nous ne savons pas en quoi consistait exactement le bousson de Celles : c'était sans doute une porte qui barrait la rivière et dont un employé avait le clef. il est intéressant de retrouver après quatre siècles les dénominations dont nous nous servons encore : le chevron, la penne (notre simple panne), la double penne (notre panne), la recharge (petit bois de planches).

       Récepte de bois de bollée (ou bolée) pour la saline de Rozière. Le bois de bolée était notre bois de chauffage d'essence feuillue, où le bouleau (bolle) tenait une grande place : à rapprocher du Rein des Boules dans la basse de Verdenal, nom qui n'a rien à voir avec un jeu de boules mais désignait une pente peuplée de bouleaux.

       1577. "Compte sixième de la récepte de despense rendu par Nicolas Jacob, chastellain et hault officier au comte de Salm." Ce compte nous apprend que les scies étaient alors louées moyennant une certaine somme d'argent, ce qui constituait un progrès. Parmi ce scies figurent celle du Croisé Sappe, dépendant d'Allarmont. Le nom de Croisé Sappe doit s'interpréter : sapin marqué d'une croix : celui dont il est question, sur la sente conduisant d'Allarmont à Moussey est le lieu dit aujourd'hui le Calvaire. il y avait sur le même crête Plaine-Rabodeau un autre Croisé Sappe, le haut du Bon Dieu actuel au-dessus du lac de la Maix : le sapin marqué y est remplacé par une minuscule chapelle.

       Le même rapport nous apprend que la charrée de vingt cinq planches valait alors deux francs et demi et que le bousson de Celles avait rapporté en 1576 la somme, très considérable pour l'époque de 3 336 francs: ce bousson constituait certainement l'une des principales recettes du comté.

       1579. Il est levé sur le Val d'Allarmont soixante dix florins, soit cent quarante francs, au titre de la défense contre le Turc. Le comté de Salm faisant partie du Saint Empire devait participer aux frais de la guerre que celui-ci menait contre les musulmans. Quoique ne se renouvelant qu'à intervalles irréguliers, cette contribution était une charge sensible pour la population.

       Nous avons à cette date la première liste complète des habitants de Raon sur Plaine et de Luvigny.

       Raon sur Plaine. "Le maire Georges Colin, Colas Homan, Valentin le thonneux (cabaretier), Demenge Jean Jacquemin, Mongenot Thirion, Didier Maire Claude, Colas Simon, Demenge Simon, Claudon Robin, Balthazar Tisserand, Jean Bourguignon, Demenge Papellier, Estienne Le Comte, Le grand Bastien, le grand Anthoine, Jean Biègue, Samuel le Loup, Colas Marchal." Soit vingt sept foyers.

       Luvigny. "Vesve (veuve) Jehanne Dedegnon, Jean Michiel, Gérardin Mulnier, Colas Papellier, Lucas Marchal, Didier et Demenge Dedegnon, Jean de la Roche, Colas Maçon, Jean Valentin, Chrestien Dedegin, ... Parmentier." Soit dix huit foyers.

       On peut estimer que la population des deux villages était comprise entre 225 et 250 personnes.

       Il y a lieu de remarquer que la plupart des noms de famille sont des prénoms ou des noms de métier : Tisserant, Mulnier, Marchal, Maçon (ou Masson). A noter aussi la fréquence du prénom Demenge qui avec ses nombreuses variantes : Mougeon, Mengenot et autres a donné beaucoup de noms de familles. comme il devait en être de même à peu près partout en Lorraine, il est très difficile d'identifier les familles, qui, existant en 1579, se sont perpétuées au même lieu jusqu'à nos jours.

       "Jehan .... soubsigné Ministre le la parole de Dieu de l'église réformée de Baudonviller reconnaît et confesse avoir reçu de Nicolas Jacob chastellain et officier du comté de Salm pour la part de monseigneur de comte de Salm, nostre très honoré et souverain seigneur, la somme de cinquante frans monnaie courante au pays en quatre payements de douze frans et demi, de trois en trois moisselon que porte l'ordonnance de Messeigneurs les comtes pour la pension et entreténement octroyés au moinistre de ladicte église pour l'an 1579."

       Nous ne pouvons préciser la date à laquelle le culte protestant a été introduit dans le comté de Salm ; ce fut vraisemblablement vers 1550. Comme le ministre recevait du rhingrave protestant un traitement au moins égal à celui que lui servait le comte resté catholique, il était, nous le verrons, plus favorisé que le curé de Luvigny.

       Le même compte pour 1579 fait état des frais de deux exécutions capitales à Badonviller, l'une pour pour vol, l'autre pour maléfice : celle-ci marque le début de l'épidémie de sorcellerie dont nous dirons quelques mots plus loin.

       1587. Les assortages progressent : il y a un maréchal à Raon sur Plaine, deux charriers dont l'un à Luvigny et pas moins de six "bollengiers" dont quatre à Raon et deux à Luvigny : chacun d'eux paie deux francs par an pour son bois.

       "Récepte de deniers venant des amendes de bois de chambre et des intérêts" Outre l'amende proprement dite, le délinquant payait la valeur du bois coupé indûment : c'est cette valeur que le gruyer appelle les intérêts.

       "Remonstre compte ledict gruyer de douze francs et ce pour deux amendes commises par Jean Humbert et le maire Arnoulx Ambedeux d'Allarmont pour avoir abatu cinq pièces de cheane sans permission au lieu dict Grand Goutty (nom conservé)." On peut remarquer le mot ambedeux : il semble qu'on doive le rapprocher de Lambiemaix qui désignait alors un lieu voisin du confluent des ruisseaux de Chauderoche et de Réquival : les deux ruisseaux.

       Le gruyer porte en compte son propre traitement qui se montait à 42 francs par an et celui de ses six forestiers : chacun d'eux recevait douze francs par an plus le tiers des amendes infligées à la suite de leurs procès-verbaux.

       Les guerres de religion. Quoique ces guerres n'aient que peu touché la Lorraine, elles s'en rapprochèrent un moment et furent l'occasion de levées d'impôts extraordinaires en vue de mettre le comté en état de défense.

       En juin 1587, le duc de Bouillon sortit de Sedan et passa en Alsace en juillet ; il y fut renforcé par des protestants français, des reîtres allemands et des suisses ce qui constituait une armée redoutable. quoique celle-ci ait été assez rapidement dispersée sans qu'il y ait eu de véritable bataille, l'état de guerre subsista jusqu'à l'entrée de Henri IV à Paris et les aides extraordinaires furent levées jusqu' en 1595. C'est à cette époque que Blamont fut victorieusement défendu contre les protestants par Mathias Klopstein.

       "Réparations et ouvrages extraordinaires du comté de Salm. Compte de la despense et frais soubtenus par les chastellains et haults officiers Nicolas Jacob et Guillaume Gilles pour la garde et la conservation de la ville de Baudonviller, chasteau de Pierre Percée, villages subjects et appartenans dudict comté pendant les remuements de guerre, passages et secours des trouppes. Idem es bastiments des moÿneaux et corps de garde es portes de Baudonviller pour flanquer et deffendre les advenues et entrées, accomoder et creuser les fossés et pourvoir à la sécurité d'icelles et aultres affaires publiques concernant d'estat du pays dès l'an 1588. Idem de la levée des receptes pour y fournir."

       Les comptables déclarent qu'au mois de novembre 1587, de l'ordonnance de Messeigneurs les comtes de Salm fut levée "sur le corps entier de subiects et appartenans, tant ecclésiastiques que laÿcs, le fort aydant le faible, francs et non francs, personne excepté, la somme de 1689 florins à deux francs pour la garde des places et subiects durant le passage des gens de guerre conduicts par Monsieur de Bouillon...,

       En 1591, l'aide extraordinaire se monte à 3 250 florins. Le curé de Celles paye 8 florins et l'appendier de Luvigny 4 florins, soit 16% de son traitement de 50 francs. Nous apprenons ainsi que l'église de Luvigny existait alors, probablement depuis un certain temps ; c'est la plus ancienne du Val d'Allarmont. Mais alors son desservant n'avait pas encore le titre de curé et il restait dépendant dela paroisse de Celles.

       - Aventrere d'Anthoine Huguenin, drapier à Badonviller, envoyé en Alsace par le comte de Salm auprès du comte d'Anhalt en vue d'obtenir sauvegarde pour ses états. A son retour, il est arrêté à Mutzig, mis à rançon et détenu pendant un mois ; il parvient à s'échapper et, de retour à Badonviller, il présente sa note de frais.

       - Remarquons enfin que dès cette époque il est question de "nostre comté de Salm-Salm" appellation que les historiens ont jusqu'à présent réservé à la principauté indépendante constituée en 1751.

       1595. Le rapport de la gruerie pour 1595 présente une revue assez détaillée des bois du comté. Quoique permettant de préciser un certain nombre d'anciens noms de lieux, elle ne vaut pas le procès-verbal de la visitation de 1577. Presque partout, le gruyer se déclare incapable de donner une évaluation, même approchée, de la superficie de ces bois, lacune qui sera bientôt comblée par l'arpentage de 1598. Dans ce rapport, on peut néanmoins tirer certaines conclusions :
  1. le peuplement des forêts était très différent de ce qu'il est aujourd'hui. Sur la rive droite de la Plaine, il n'y avait que très peu de sapin ; sur sa rive gauche, les essence feuillues dominaient aussi jusqu'à Allarmont sauf dans la basse d'Ougney.
  2. là où les sapins avaient une certaine importance qui s'accroissait à mesure qu'on remontait la vallée pour atteindre son maximum à l'extrémité des bois sauvages, l'intensité de l'exploitation était telle que plusieurs scieries ne trouvaient plus dans leurs marches assez de sapins exploitables. C'était le notamment le cas à Raon sur Plaine : des quatre scies du vallon de la goutte Guyot, deux seulement restaient en activité ; encore devaient-elles chercher une partie de leur bois dans le haut de la basse de la Maix, par le Briseux le Prêtre. Dans la basse de Chaude Roche, il n'y avait plus en marche que six scieries eu lieu de sept. Il n'est pas douteux que le règlement de gruerie qui parut l'année suivante eut pour but de remédier à la situation inquiétante révélée par ce rapport.


       Règlement de gruerie de 1596. "Nous Joan comte de Salm et Friderich, comte sauvage du rhin à tous ceulx qui ces présentes verront et oront, salut.

       Scavoir faisons, comme il soit évident que nostre comté de Salm consistant le plus en forest et forges, il ait esté expédient chercher et trouver moiens d'en tirer commodités et profficts et qu'il soit requis pour ad ce continuer à apporter tous bons mesnages, soing et vigilance affin que, tout ainsy qu'avec grands fraix nous aurions remis en estat nos forges, réduict le payement de nos scyes en aultre nature, faict faire une couppe de nos bois, tel estat puisse subsister à nostre proffict et utilité et soit que par plusieurs visitations et véages que depuis quatre ans le surintendant de nos affaires Claude Villemin a faict en nostre comté nous avons advertissement certain de l'apparence qu'il y a de la ruyne de nos bois sy de bref il n'y est pas pourvenu et que pour ad ce obvier de se continuer ces ruynes et en retirer proffict à perpétuité il soit requis et très rapidement de réformer le règlement de nos bois et forest et establir de nouveau des officiers de gruerie pour tenir la bonne et diligente main à la conservation d'iceulx....."

       Le règlement créait un second gruyer pour le Val de Senones, la prévôté de Saint Aille et partie du Ban de Plaine ; il n'était prévu que cinq gardes forestiers, toujours aux gages de douze francs par an plus le tiers des amendes. Des dispositions de ce document, pour la plupart banales, nous n'en retiendrons que deux ; l'une relative aux hameaux des Quevelles et de Fréconrupt, l'autre à la scie de Grandfontaine.

       Les quevelles de Fréconrupt ; "Et pour que ce village des Quevelles a esté jusques icy une retraicte de gens malvivans et n'ayant aulcuns moiens qui se sont licencés de dépopuler et fourrager les bois, ordonnons que pour l'advenir il n'y aura que quatre maison pour y loger quatre habitants des plus aysés et de meilleurs prudhommie que nos chastellains auxquels est donné charge de cognoistre y trouveront. Le surplus sera envoyé avec liberté (de se rendre) es aultres villages où ils pourront mieulx faisant proffict de leurs biens. Comme au semblable et pour mesmes raisons le nombre des habitants de Fréconrupt est réduict à six conduicts de pareille qualité qui seront choisis par les officiers, le surplus renvoyés ailleurs pour s'y accomoder avec liberté de faire proffict de leurs biens dans certains temps de délais compétans, n'estant permis à aulcun d'excéder le nombre d'habitants statué en l'ung et l'aultre lieu ny de s'agrandir ou faire trèpois oultre les limites ordonnées à peine de punition corporelle et de confiscation des maisons et des biens."

       La scye de Grandfontaine. "Si elle ne porte préjudice à nos forges, pour estre de bon rapport et revenu sera continuée en ses marches devant nos forges, le long (du chemin) du marché des paisseaux, au-dessus du chemin de la Goutte Ferry et au pendant de la goutte du Marteau vers le chemin Jacquet, là où provisionnellement les bocquillons de la forge coupperont pour le defruict d'icelle quand le temps le requerra. Toutefois sera donné ordre par le maistre ou chafner (de l'allemand Schaffner) d'icelle et ses employés auxquels en sera faict le commandement bien exprès que les bocquillons parvenus en ceste lisière et lieux circonvoisins ne touchent aux sapins droicts, non creux et non trop branchus lesquels demeureront pour l'usage de ladicte scye pour le grand et évident proffict qui sorte des planches."

       Pour la chasse enfin :"Deffendons généralement à toute personne de ne chasser, hayer ou tirer le harquebuse suyvant nos deffenses cy-devant qu'ils n'en ont permission particulière à peine de cent francs d'amende, le tiers au rapporteur."

       1597. "Le ... janvier 1597, le contrerolleur s'estant transporté au Val d'Allarmont au lieu de Vexaincourt où luy estant apparu que Jean ... Marchal avait tiré sur des compagnies de perdrix, s'informant soub main où il les aurait bien vendues et trouvé qu'il les avait vendues à Mongenot Bailly, hermite à la May et pour plus grande affirmation ledict contrerolleur les aurait rachetées dudict Bailly et en a payé six gros d'iceulx." D'après ce texte il semble bien que les ermites de la Maix n'étaient plus des religieux de Senones mais des laïcs qui tout en appréciant le calme et le silence ne dédaignaient pas pour autant un salmis de perdreaux.

       1604. "Inventaire des meubles de Monseigneur et de Madame de Vaudémont en leur maison de Baudonviller." On y relève à la déclaration de la vaisselle d'étain deux pots de chambre aux armoiries du comté.

       1605. Location des scies de Raon sur Plaine. "Aujourd'hui, premier jour du mois de Mars 1605, le sieur Dietremann, chastellain hault officier au comté de Salm, assisté du gruyer et du controlleur dudict comté de la juridiction de très hault et puissant prince Monseigneur de Vaudémont, comte de Salm, s'estant acheminés à Raon sur Plaine pour faire l'enchère des scyes, les baux desquelles expirèrent à la Saint Georges dernière, les publications faictes au préalable sous l'observance de l'ordre y mis par le sieur ...... lequel ordre consiste en ce que désignation sera faicte de certaine quantité d'arbres pour la fourniture de chaque scye et avec estimation de chascun pied d'arbre par enchérissement à qui plus, et devant chaque arbre avoir pied et demy (en diamètre) au-dessus de la première tronce et que les planches n'auront moins de douze pieds de longueur, un pied deux doigts de largeur d'un pouce d'épaisseur (c'est la planche 12 x 12), à peine d'amende telle qu'il plaira à son Excellence de qui le gruyer et le controlleur seront appellés pour marquer et désigner les arbres nécessaires à la fourniture desdictes scyes, après plusieurs publications faictes pour ce regard es lieux accoutumés, ont esté mises en echères comme s'en suyt au lieu de Raon sur Plaine, le peuple congrégé et assemblé." Ainsi, pour la deuxième fois, le mode de location des scies a été modifié : l'enchère porte maintenant sur le prix unitaire du pied d'arbre, ce prix s'appliquant à un nombre d'arbres fixés à l'avance.

       "Et premier la scye du cerf (à l'amont de celle de Rozière). L'enchère à qui plus a l'estainte de la chandelle est revenue à Demenge .... dudict Raon qui est obligé de prendre soixante pieds d'arbres, ayant les gruyers et controlleur affirmé à l'instant de cette enchère la marche de la scye ne pouvoir porter que ladicte quantité, à raison de neuf gros par pièce (trois quarts de franc) par an trois ans durant. S'il échet qu'il lui soit marqué plus grande quantité de bois et aussy s'il s'en prend moins il paiera à proportion desdictes soixante pièces."

       Nous pouvons, d'après ce qui précède, évaluer assez exactement le prix du bois sur pied à cette époque. Un arbre mesurant un pied et demi de diamètre au bout de la première tronce de quatre mètres mesure 50 centimètres de diamètre à hauteur d'homme. Dans une région où, d'après la visitation de 1577, les sapins étaient les plus hauts qu'on puisse trouver, on peut leur attribuer sans crainte une hauteur utile de 22 à 23 mètres ce qui correspond à un cube unitaire légèrement supérieur à deux mètres cube et demi : le mètre cube revenait donc à 0,30 F, et cela pour le cube minimum de l'arbre. Même en tenant compte de la dépréciation de la monnaie ce prix parait faible.

       "La haulte scye sous Rozière aussy mise en echère tant pour la recognaissance de la scye et cours d'eau sis au comté de Salm que pour le bois pour le fourniture d'icelle, lequel depuis trois ans a esté print au bois du Faÿ des Donnons appartenant pour la moictié par indivis à son Excellence à cause de la Seigneurie de Turquestein contre Monsieur de Marcossey l'aultre moictié à charge de prendre au moins cinquante pied d'arbres."

       Situation compliquée : le prix de location se compose de deux éléments : l'usage de la scie et du cours d'eau d'une part, la valeur du bois d'autre part. Il est précisé que ce bois le locataire l'allait chercher depuis 1602 au fey des Donnons, c'est-à-dire dans le haut du Blanc Rupt : il ne pouvait évidemment pas le prendre notablement au-dessous de la crête Croix de Fer - Croix Gardon ; or, cette partie de forêt appartenait incontestablement non pas aux baronnies de Turquestein mais à l'abbaye de Domèvre. Et par où les tronces parvenaient-elles à la scierie ? Elles n'étaient certainement pas transportées par voitures à Raon sur Plaine par le Donon pour revenir au fond de la basse de Chauderoche tout près de leur point de départ. Tout indique qu'elles étaient lancées de la crête au fond de la basse, toujours à travers la forêt de Domèvre. Il faut en conclure qu'à cette époque les limites étaient si peu certaines et la surveillance des bois si peu effective qu'un propriétaire pouvait exploiter pendant des années chez le voisin sans que personne s'en aperçut. La chandelle étant allumée "le châtelain avise le peuple que Monseigneur a cy-devant tiré huit gros pour la scye et douze gros pour le bois." Chrestien Ydoux, de Celles, fait une mise à neuf gros pour le tout qui n'est pas acceptée par les officiers ; on rallume une autre chandelle, sans aucun succès : on le comprend facilement : Résultat identique pour les scies de Chauderoche et des Roches qui se trouvent dans la même situation ; aucun amateur ne se présente.

       Quant à la scie Guyot, le châtelain et le gruyer "ont recogneu la marche de ladicte scye et n'ont trouvé bois suffisant pour la fourniture d'icelle et que grand préjudice serait faict à son Excellence de permettre la couppe et abbattage des médiocres sapins qui se retrouvent lesquels pourraients grossir cy après de sorte qu'on en pourra autant rendre de tronces que deux pourraient faire présentement."

       La même année la scie de Thémenonprey, au village même, est transformée en moulin aux frais de la population tout en restant propriété du seigneur.

       Les habitants demandent à conserver ce moulin douze ans et ensuite au bon plaisir de Monseigneur, moyennant redevance de douze résaux de seigle. Le moulin est loué pour trois ans à David Gérardin.

       Ainsi des onze scieries existantes à Raon quelques années auparavant, une seule reste en activité et contrairement aux prévisions optimistes des commissaires de 1577, les réserves en sapin ont pratiquement disparu.

       Le rôle de la taille fait état de cinquante sept conduits pour Raon sur Plaine et de dix huit pour la partie de Luvigny appartenant au comté : la population augmente donc rapidement depuis quelques années.

       1606. Inventaire et vente, au profit des seigneurs, des biens de Simon le Mariesse, de Bréménil, exécuté par le feu pour crime de sortilège. Cette ventre produit 764 francs, ce qui pour l'époque était considérable.

       1609. De même furent exécutées à Badonviller Alizon Chazelle et Mengeotte femme de Didier Tixerant, de Celles. La première avait avoué avoir tué trois personnes par maléfice et la seconde cinq. Les sorciers qui avaient reconnu leurs crimes, sous la torture naturellement, étaient étranglés et leurs corps étaient brûlés. Une troisième femme accusée par Alizon fut soumise à la question mais n'avoua rien: elle fut condamnée au bannissement perpétuel. Cette épidémie se poursuivit encore pendant un certain temps notamment à Domèvre. Ce sujet ayant été traité par divers auteurs nous n'y insisterons pas d'avantage.

       "Nouveaux entrans - Cette droicture est de telle nature que chaque nouveau entran doit payer pour sa bienvenu cinq frans en quoy son Excellence y prend la moictié et l'aultre moictié vient à la communauté."

       "Redevances de poulles. Il y a en ceste mairie de partie de Luvigny et Raon sur Plaine soixante et dix sept conduicts contribuables aux poulles, chascun desquels paye deux poulles dont fault oster seize harquebusiers compris le phiffre et le tambour, le maire, l'eschevin et le faiseur de chemine qui sont francs soit dix neuf conduicts, lesquels déduicts des soixante et dix sept demeure à son excellence cinquante huit conduicts faisant CXVI poulles."

       Il existait donc à Raon et Luvigny une sorte de garde nationale ; il faut probablement rattacher son origine à une ordonnance du duc de Lorraine Charles III qui prescrivit à la fin de 1595 d'armer un dixième de la population des villages à la fin des guerres de religion. Cette compagnie d'arquebusiers existait encore en 1619 ; il ne paraît pas qu'elle ait jamais eu à entrer en action.

       "Les .... de l'église de Luvigny ont faict rapport que, le jour de la Purification Nostre Dame de l'année dernière, Nicolas Pierre mareschal dudict lieu, subject de son Excellence forgeait en sa forge en scandal des catholiques, lequel mérite nonobstant sa profession de religion contraire à la catholique de payer l'amende qui peut être taxée à cinq frans puisque telle profanation est advenue depuis la rénovation et publication des ordonnances touchant l' observation des festes."

       Cet incident reflète un changement profond de l'état religieux du pays.

       On a vu que le réforme avait été activement favorisée par le rhingrave Frédéric, le comte Jean X gardant une attitude de neutralité qu'on peut qualifier de bienveillante. A son décès survenu en 1600 lui avait succédé François de Vaudémont, très attaché comme toute la maison de Lorrains à la religion catholique. Et d'autre part, le rhingrave Philippe Othon, fils de Frédéric et son successeur en 1608, s'était converti au catholicisme au cours d'un voyage à Rome en compagnie du cardinal de Lorraine. L'abbé Martin, dans son histoire du diocèse de Toul place cette conversion en 1591. Ainsi, la religion réformée perdait tout appui des souverains.

       "Location des scies. il n'est mis aux enchères que la haulte scye soub Rozière et celle de Chauderoche et des Roches. les deux premières ne trouvent pas d'amateur. Pour la dernière, la troisième chandelle allumée, a esté faicte mise par Claudon Biecque de Levegny de quatre frans trois ans durant, laquelle mise n'aurait esté jugée ny trouvée raisonable par lesdicts officiers; que, à l'estainte de la chandelle, il aurait enchéry a six frans par an que lesdicts officiers n'ont aussy acceptée parce que ladicte mise n'approche de beaucoup du proffict et rapport des comptes de 1602, 1603 et 1604 et qu'au prétexte de cette petite redevance se pourrait commettre dégradation de bois. Et parce qu'il convient de veiller audict bastiment et à ce que clandestinement les ferrements ne soient emportés, a esté ordonné au mayeur de Raon sur Plaine à l'assistance de Louys Gérard, forestier au district dudict Raon sur Plaine de les faire oster et de les garder jusques à ce qu'il ait pleu à son Excellence d'en ordonner soit pour les vendre ou remestre en un nouveau bastiment avec les ferrements de la scye Guyot que ledict forestier a dict avoir en main."

       1610. Apparaît parmi les habitants de Raon Jean Kieffer, sans doute alsacien, d'abord fixé à Luvigny ; son nom s'est transformé, à la mode lorraine en le Kieffre, puis en le Kief, d'où le pré le Kief, dans le vallon de la goutte Guyot.

       1611. Le rapport du châtelain fait état de plusieurs droits seigneuriaux dont il n'a pas été question jusqu'à présent.

       "Du passage. Le hault et ancien passage du comté qui se paye audict Val pour les denrées de marchandises et bestail qui sortent du comté par le destroit dudict Val publié à qui plus a été adjugé à Claude Benay de Raon sur Plaine plus offrant et dernier enchérisseur pour trois ans commençant à la Saint Rémy 1610, à charge de payer aux termes Saint georges et Saint Rémy par moictié le somme de cent cinq frans."

       "De la ripvière. La ripvière dudict Val à la part de son Excellence, à prendre depuis les Halbach (nom conservé) jusqu'à Thémenonprey" est louée par les officiers de la gruerie ; de même les ruisseaux de Chauderoche et de Réquival.

       "Nouveau proffict de la gabelle de vin." Adjugée à Demenge Simon, de Badonviller, pour trois ans, moyennant 175 francs par an.

       "Du pasturage des channes. Le pasturage des channes du comté de Salm à la part de son Excellence scavoir les contrées de Chatte Pierre Pendue, de Champenay, du Xay (le Pesle du Xay, au dessus du col du Hantz), la grande channe de Rougeterre, basse de Corveline (aujourd'hui Courbeline), Joly Fontaine, Croisé Sappe et la channe de Biecque (ces trois dernières sur la crête Plaine-Rabodeau) est loué à Pierre Colin de Raon sur Plaine pour la somme de 130 francs par an, trois ans durant." L'adjudicataire s'engage en outre à construire une grange et à "nettoyer certains lieux pour y faire prairies."

       "Ascencement du fond de bois dict la Bruslée. Faict recepte le comptable de la somme de sept frans dix gros trois deniers pour l'ascencement de tout le fond d'un petit bois proche Raon sur Plaine dict la Bruslée faict en l'année 1607 par Monsieur ..... à Pierre Colin pour luy, Agnès sa femme, leurs hoirs et ayant cause à perpétuité à raison de deux gros l'arpent qui ont été trouvés au nombre de 46 arpens 6 ommées et quelque part d'ommée faisant ladicte somme payable au jour de la feste Saint Martin d'hyver d'an en an."

       Il s'agit ici du premier ascencement, bail perpétuel bien proche de la pleine propriété, accordé au Val d'Allarmont ; la Bruslée figure encore, en une parcelle, au cadastre de Raon sur Plaine, le long du chemin qui conduit à la carrière Benay.

       Temple de Badonviller. Son excellence donne 600 francs pour l'érection d'un temple à Badonviller, ceci en vue de rendre aux catholiques le plein usage de l'église qu'ils partageaient depuis 1571 avec les protestants : bel exemple d'une tolérance qui n'était guère à la mode alors : on n'en est pas encore venu aux mesures de rigueur qui intervinrent par la suite.

       1608-1610. Les assortages se multiplient au Val d'Allarmont. Nous notons : trois maréchaux : Estienne Cochot et Claudon Ferry à Raon, Colas Pierre à Luvigny ; trois boulangers : Colas Michiel et Jean Sondur à Raon, Jean Mulnier à Luvigny ; deux charriers : Jean Babel à Raon, Dieudonné Valentin à Luvigny ; trois cuvelliers : Toussaint Verdelet et Colas Cuvellier à Raon. Blaise Verdelet à Luvigny ; un corrier : Claudon Barbier à Raon. Les corriers fabriquaient les conduits en bois alors utilisés pour la captation des sources et dont on retrouve des restes encore aujourd'hui.

       "Assortages au bois mort." Ces assortages étaient accordés par son Excellence aux "bourgeois" de Luvigny ressortissants du rhingrave, trop éloignés des bois appartenant à leur seigneur pour y exercer commodément leurs droits d'usage.

       1614. En vue de la lutte contre l'hérésie, le Saint Siège avait conféré en 1604 à l'abbé de Haute Seille la juridiction épiscopale sur le comté de Salm et cela pour dix années. Cette période écoulée, cette mesure exceptionnelle est prorogée pour dix autres années.

       1615. Reçu de Messire Jean Colbé, curé du Val d'Allarmont à Luvigny de son traitement de cinquante francs par an. le Val d'Allarmont constitue donc maintenant une paroisse indépendante de Celles : l'église de Luvigny doit être considérée comme l'église mère de celles d'Allarmont, de Vexaincourt et de Raon.

       1616. Le compte du châtelain Petigot fait état d'un versement au trésorier général des finances de Monseigneur de Vaudémont d'un somme de 13 897 francs pour sa part du comté de Salm. La progression rapide de ce revenu, malgré la réduction des recettes provenant des scieries fournit la preuve d'un développement certain des ressources du pays.

       Ce même compte note la dépense faite à Raon sur Plaine, chez le sieur de Mouilly, contrôleur, par les sieurs Févrel, intendant des maisons et affaires de Monseigneur de la Huttière, trésorier général, Harrois, secrétaire et greffier, Grangié, gruyer et Chrestien Ydoux, marchand voilleur à Celles, venus examiner curremment avec les représentants du rhingrave, certaines difficultés d'interprétation du partage de 1598.

       On vend au maître des forges de Grand Fontaine, "quatre vingt pièces de bois sappin pour bastir une grande tour et un engin servant à tirer l'eau qui distille dans le grand choque de la Misnière et qui empesche de tirer la misne dudict chocque."

       1619. Estienne Cochot, taillandier à Raon sur Plaine, sollicite la permission d'établir dans un pré lui appartenant sur la goutte Guyot un "battan" à émouler les taillants pour l'aider dans son métier ; il s'agit probablement d'une meule mue hydrauliquement.

       François de Mouilly, contrôleur, demande l'autorisation d'exploiter chaque année pendant six ans trois mille toises, soit neuf mille mètres, de bois de bolée à prendre au lieu dit la goutte Guyot, preuve de l'abondance des feuillus dans cette basse et de "construire une scie au lieu, vulgairement appelé l'Ameÿ où il y a grande quantité de sappins en lieu désert et inaccessible desquels on ne peut tirer proffict que par scÿage et non aultrement." Il s'agissait d'établir une scie dans la partie supérieure de la Maix à l'amont de la vieille et de la neuve scie qui existaient depuis longtemps ; il ne semble pas que ce projet ait eu de suite.

       Le droit de chasse dans les forêts du comté de Salm, de la seigneurie d'Augomont (Ban le Moine) et dans les bois de Saint Maurice et de Parux est laissé pour deux ans, à raison de cent dix francs par an à Daniel Grancolas de Badonviller.

       Claude Bazin, maître d'école à Badonviller, reçoit cinquante deux francs par an "tant à titre d'aumône que pour instruire douze pauvres écoliers, à raison d'un gros pour chacun et par semaine (Il n'y avait donc pas alors de vacances scolaires) et pour chanter un Salve Régina dans l'église tous les jours à l'intention de son Excellence."

       Le rôle de la taille pour Raon sur Plaine et partie de Luvigny fait état que quatre vingt deux conduits.

       1621. "De par le comte de Vaudémont et de Salm. Très cher et féal, nous avons faict passer le sieur de Clerge à Baudonviller pour vous advertir du jour où vous ferai tenir pretz les cinquante hommes de nos subjets du comté de Salm pour s'acheminer au lieu qu'il vous dira ; donnez ordre que le choix se fasse des plus lestes et plus propres à servir ainsy que nous l'avons escript cy-devant et comme le sieur de Clerge aura affaire de quelque argent là où nous l'envoyons, vous luy délivrerez des deniers de vostre charge la somme de trois cents frans lesquels vous seront alloués en despense de vos prochains comptes rapportant sa quittance. Et nous prions Dieu, très cher et féal, qu'il vous ait en sa garde. Nancy le 6 décembre 1621."

       La guerre de Trente ans avait commencé depuis peu en Allemagne et François de Vaudémont avait accepté le titre de chef de la Ligue catholique sur la rive gauche du Rhin. le 8 novembre 1620 avait lieu en Bohème la bataille de la montagne Blanche à laquelle Charles, fils de François avait pris part à la tête de trois régiments de cavalerie lorraine. Le comte de Bansfeld, chef de protestants, battu dans cette rencontre, avait gagné l'Alsace avec les débris de son armée. La levée de soldats au comté de Salm doit avoir fait partie des mesures de sécurité prises en vue de protéger la Lorraine d'une attaque possible. Il n'apparaît pas que ces recrues aient été bien loin, encore moins qu'elles aient eu à combattre.

       Le cas mérite pourtant d'être signalé car c'est, du moins à notre connaissance, le seul exemple de service militaire imposé aux sujets de Salm jusqu'à la réunion de la principauté à la France.

       Pierre ou Pierrot Drouat, fondateur de la ferme du Donon.

       Pierrot Drouat est locataire de la moistresse (ferme ou métairie) de Grand Fontaine depuis 1607 ; il s'agit ici de la "vieille moistresse" aujourd'hui disparue ; elle se trouvait aux environs immédiats de la maison forestière et de l'ancien chauffour, tout en haut du village des Minières. Dès 1613, il habite Raon sur Plaine et y paie la taille en 1614. Il est adjudicataire de l'ancien passage puis en 1618 des trainesses. En 1619, son bail de la moistresse lui est renouvelé pour six ans ; il est alors qualifié "hostellain" à Raon sur Plaine ; de sorte qu'on pourrait le considérer comme le précurseur de la vocation touristique de la vallée. Vers 1620, il devient locataire de prés au Haut Donon ; 19 jours au champ Hannezo, 18 jours et demi à la Fainefin, 40 jours "es environs de la Fontaine du Hault Donnon": en tout 15,8 hectares. Ces prés sont situés pour la plus grande partie au Nord de la route actuelle, c'est-à-dire sur le territoire de Raon sur Plaine à l'époque. Peu après, ces prés font l'objet d'un ascencement perpétuel moyennant une redevance de 98 francs 6 gros 10 deniers. il agrandit quelque peu son domaine en faisant un "essart sur (au-dessus de) la moistresse de Grandfontaine au pendant de la Goutte Ferry d'une contenance de trois arpens comme il est apparu dans l'arpentage." Cette fois, il s'agit de la neuve moistresse que j'identifie à la ferme actuelle du Bas Donon. En même temps, Pierrot Drouat est boulanger à Raon et le reste jusqu'en 1634 au moins.

       C'est vers 1625, pour la fin de son bail de la Vieille moistresse que la construction de la ferme du Donon a dû être terminée. En 1626, Drouat paie une amende de 44 francs pour "44 bestes rouges luy appartenant qui sont esté gagées pasturant de garde faicte sur l'ordon de la goutte Ferry" ce qui suppose une fortune assez considérable. En 1633, il est adjudicataire des trainesses, moyennant 99 frans si gros, somme jamais atteinte à beaucoup près. Des indications qui précédent on peut conclure qu'immédiatement avant la période désastreuse qui allait suivre le pays a connu un essor économique certain.

       En 1661, l'ascencement de Pierrot Drouat est en friche. En 1665, notre homme est avec Demenge Le comte signataire de la convention par laquelle la communauté se rend adjudicataire du domaine pour trois ans ; la même année, il obtient une fourniture de bois pour le rétablissement de sa ferme. En 1667, il exerce concurremment les métiers de bocquillon et de boucher. En 1668, il est maire de Raon et renouvelle pour trois ans, avec Jean Mongeon, l'admodiation du domaine à la communauté. En 1669, il est admodiateur de la scie du Cerf ; puis son nom disparaît. assurément Pierrot Drouat n'appartient pas à la grande histoire, il a paru intéressant néanmoins de préciser la carrière d'un homme qui ne manquait certes pas d'initiatives ni d'activités.

       1622. Le sieur Freystroff devient admodiateur général des rentes et revenus de son Altesse pour le comté de Salm. A cette occasion, le sieur Petitgot, châtelain et honorable François de Mouilly, son contrôleur, visitent les diverses dépendances du comté en vue de la faire remettre en état. A partir de ce moment la pratique de l'admodiation générale deviendra constante pour le comté comme pour les forges.

       1623. Le 8 janvier, la partie du comté relevant des rhingraves est érigée en principauté par l'Empereur : nous avons donc à partir de cette date des princes de Salm.

       Affaires religieuses. 1627. 'Denis Thiriot marchal à Levegny est rapporté à l'amende par le sieur curé dudict lieu de ce que le jour du saint Sacrement dernier, pendant que la procession se faisait audict Levegny avec le Saint Sacrement ne daigne pas oster son chappeau,a insy faisait semblant de compter de l'argent sur son siège devant son logys, partant est amendez de dix frans."

       En 1624, un édit impérial prohibe l'exercice du culte calviniste et ordonne la fermeture des temples. En conséquence, le 12 mars 1625, le comte de Vaudémont et le rhingrave promulguent une ordonnance dans le même sens, obligeant les pasteurs et les maîtres d'école protestants à quitter immédiatement le comté et les habitants réformés à se faire instruire dans le religion catholique dans le délai d'une année. A noter que les réformés du comté professaient à l'origine à la confession d'Augsbourg, il semble qu'ils soient passés ensuite au calvinisme probablement sous l'influence du fameux Farch. C'est en 1625 que Saint Pierre Fourier se rendit à Badonviller et s'employa, après les jésuites, à la conversion des protestants.

       Il y réussit tant dans la capitale que dans les vallées voisines. Connu sous le nom du Bon Père, sa dévotion est restée populaire dans le pays et on trouve sa statue dans beaucoup d'églises. Celle de Badonviller, qui avait servi aux réformés dut de nouveau consacrée par le suffragant de Strasbourg assisté des représentants des abbayes et précurés voisins.

       Il ne semble pas que la religion réformée ait laissé des traces sensibles dans la région et aucun document n'indique qu'on ait recouru à des mesures d'expulsion envers le habitants pour cause de religion.

       1622. "Requeste de Messire Jean Calbé, curé du Val d'Allarmont, Messire Jean Calbé, curé à Luvigny, Raon sur Plaine et Val d'Allarmont, comté de Salm, vostre très humble serviteur, vous remonstre comme depuis trois ans il aurait plu à Votre Altesse d'establir curé et pasteur desdicts lieux pour le soulagement et entreténement des âmes catholiques qui y sont entremeslées et fréquentées de beaucoup d'hérésie qui y pullulent journallement à la confusion de la foi catholique, pour avoir esté du passé les habitants desdicts lieux mal instruits et endoctrinés sinon depuis peu que votre remonstrant s'a efforcé de leur rendre le seing et service qu'il doibt à Dieu, leur célébrant de jour en jour la saincte Messe et exortation au mieulx que sa petite capacité luy peut permettre. Et comme les villages de Leuvegny et Raon sont assis en lieux montagneux et de petit rapport, les dismes desquels ne peuvent rapporter que six à sept résaulx de seigle et autant d'avoine qu'est la rente que le dict pauvre remonstrant peut avoir pour son entreténement pendant l'année avec cinquante frans qu'il a pleu à Votre Altesse luy octroyer par an, laquelle rente n'est suffisante pour la nourriture d'un homme d'église surtout auxdicts lieu de Leuvegny et Raon où la charité est extrèmement refroidie.

       Qu'est la cause que ledict remonstrant retourne de rechef à Votre Altesse le suppliant très humblement avoir pitié et compassion de luy et que ce faisant il luy plaise oultre lesdicts cinquante frans luy octroyer six résaulx de bled froment par chacun an provenant de la recepte de vostre domaine pour d'autant plus à faire de mieulx en mieulx le service qu'il doit à Dieu, à l'Altesse de Monseigneur et de Madame et de journellement prier Dieu pour la prospérité, santé de l'estat et grandeur de vostre illustre lignée."

       Cette supplique reçut un accueil favorable ; son texte confirme que, trois ans après l'ordonnance du comte et du rhingrave, il y avait encore des réformés au Val d'Allarmont et qu'aucune mesure violente n'avait été prise à leur égard.

       1623. "Démonstre le comptable que sur le fin de 1623 il aurait esté visité les hans des forges de Chamepney assisté des forestiers du ban de Salm et de Plaine et de Jacob Puissant des Quevelles, retournant de ladicte visite il aurait passé par les ordons de la Crache et à la descente par les marches des scyes de la goutte de la Maix admodiées à Christian Ydoux où il aurait trouvé un notable dégats de sapin abbatu sans marque ny assignat de gruyerie tant pennes que chevrons et doubtant que ledict comptable était fou, mal disposé du travail qui l'aurait recreu en visitant lesdicts hans des forges et les marches des scyes, se serait retiré à Baudonviller." Le lendemain, le contrôleur et les forestiers de Raon et de Luvigny se rendent sur les lieux "avec d'aultres gens appellés avec eulx" et comptant "tous les arbres sappins couppés sans marque que s'en est trouvé vingt pennes et cent dix chevrons."

       1627. "Le comptable démonstre que le maire Nicolas Benay cy-devant demeurant à Levegny, admodiateur de la scye de la Goutte Guyot pour trois années dont la présente est la dernière aurait esté l'été dernier exécuté en tous ses biens par les officiers de Monsieur le prince de Salm (le rhingrave) sans que personne en ait rien sceu de façon qu'il n'y a pas eu moien de se faire payer ladicte." Ce qui n'empêche pas le maire Benay de louer ensuite la scie de Chauderoche, mais sous la caution de Nicolas Dedegnon et de Jean et Demenge Biecque.

       1632. "Au district de Raon sur Plaine un nommé Chestien Haumaire dudict Raon a esté trouvé égorgé proche du sommet d'une montaigne, lequel fut cherché par partye de la bourgeoisie dudict lieu pour ne scavoir ce qu'il éstait devenu sy bien que son corps trouvé et gardé plusieurs jours et nuits par ordonnance de justice, son procès formalisé et sentence rendue par la cour de justice de Baudonviller" (qui prononce la confiscation de ses biens.) Il s'agit évidemment ici d'un suicide, alors puni comme crime. Le comptable met en comte une recette de 338 francs. Il paraît fort possible que ce suicide doive être attribué au début des calamités qui s'abattirent peu après sur le pays.

       Le 14 octobre, mort de François de Vaudémont : son fils, le duc Charles IV lui succède comme comte de Salm. En 1633, une pièce signée de lui vise cinq soldats nommés "la Taille, Courtalaix, la Pierre, la Croix et Poirier" des déserteurs probablement qui, arrêtés à Raon sur Plaine sont détenus à Badonviller ; le duc ordonne de les relâcher et de les envoyer à Lunéville "car telle est nostre volonté."

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