LE BAN LE MOINE

Jeanine et Gérard Marchal



       Lorsqu’on analyse les différentes forêts composant le massif forestier du Donon, on constate que celles-ci ont des statuts forts différents : forêts domaniales, forêts communales, forêts privées.

       Pourquoi certaines communes possèdent-elles des forêts communales, d’autres des forêts domaniales, d’autres encore ces deux types de forêts ? C’est en remontant l’histoire de cette contrée que l’on peut comprendre le pourquoi de ces différences.

       Angomont était autrefois le chef lieu d’une seigneurie dépendante du domaine des Comtes de Salm, dépendaient aussi de cette seigneurie, les communautés de Neuviller les Badonviller, de Brémenil et d’Allencombe et d’une quantité de censes ou fermes répandues sur le ban

       Cette seigneurie fut vendue (ou donnée ?) à l’abbaye de Saint-Symphorien de Metz et pris le nom de « Ban le Moine » En effet, aux Archives de Meurthe et Moselle, on trouve un manuscrit du samedi avant la Saint Grégoire (mars) de l’année 1329. Il s’agit de « Lettres des communautés de Neufviller, Brusmesnil, Angomont et Allecombe » dans lesquelles les habitants sont qualifiés d’hommes de l’abbaye de Saint-Symphorien et qui se mettent sous la protection d’Henri, comte de Blanmont et de son fils, à condition de leur payer par an 12 messins, 100 livres tournois et 40 quartes d’avoine (monnaies et mesures du Moyen Age). Il s’agit d’Henri Ier dit le Grand qui vécu de 1244 à 1331 et dont le tombeau, retrouvé dans l’enceinte de l’abbaye de Saint-Sauveur est aujourd’hui au Musée Lorrain à Nancy.

       « Premiers li dis sir Hanris de Blanmont nous ait assuriei nous et la nostre chose, de lui et de ses aidans, par ensic que chascuns feus don ban des villes dessus nommées qui sont à diz signours de S.Symporien paieront …à dit Monsignour de Blanmont et à Henri lou josne son fil…la somme de douze messains à paier chacun an…. Apres nous lour devons paier cent livres tournois petits et quarante d’avoine…Et nous doiens wardier de meffaire sus ledit Monseignour de Blanmont, sa terre et ses hommes…..» Trésor des Chartres de Blâmont

       Par contrat du 28/09/1601, le sire Guillaume de Hunolstein, qui était le nouveau voué de la seigneurie, vendit ses droits à François de Lorraine, comte de Vaudémont. Le 17/12/1605, l’abbé et les religieux de Saint-Symphorien vendirent à Sire Jean Charpentier, bourgeois de Metz, la seigneurie, appartenances et dépendances, lequel la revendit le 30/01/1606 à François de Vaudémont. De lui, elle passa au duc Charles IV, puis à Léopold. Elle finit par tomber dans l’escarcelle du prince Marc de Beauvau-Craon en récompense des services rendus tant par lui que par son épouse, favorite du Duc Léopold, par acte de donation du 27/04/1726.

       Dans un procès verbal d’estimation des baronnies datant de 1764, on trouve un descriptif très détaillé de l’état de la seigneurie du Ban le Moine avec le récapitulatif des droits et du rapport de ladite seigneurie (estimation se montant à 39 171 livres 10 sous) suivi du descriptif et de l’estimation des bois et forêts (d’un montant de 183 280 livres). Ces forêts, situées sur les territoires des communes actuelles de Brémenil, Angomont et Bionville comprenaient : la Grande Forêt de Ban le Moine d’une superficie de 8 744 arpents, le bois de Barbonhaye de 199 arpents et celui de la Bergerie de 61 arpents.

       A cette occasion, il est rappelé que les habitants du Ban le Moine ont droit d’usage dans ces forêts
    - bois morts et mortbois suivant l’assignal des officiers (affouage)
    - bois de bâtiment sur devis affirmés véritables à charge de justifier de l’emploi et de payer les vacations des officiers (maronnage)
    - droit de vaine et grasse pâture : la grasse pâture ou glandée était possible d’octobre à fin février et était destinée à l’alimentation des porcs, la vaine pâture était le droit de faire paître le troupeau communal, après les récoltes sur tout le finage mais aussi dans les forêts et sur les chaumes (avec parfois des restrictions pour les chèvres et les moutons).
       Ces droits d’usage existaient depuis le Moyen Age sur les différents bans mais certains seigneurs avaient fait procéder à un cantonnement de leurs forêts pour limiter les droits d’usage à une portion de leur patrimoine et avaient attribué ce cantonnement à la communauté bénéficiaire du droit ; c’est l’origine des forêts communales.

       Puis vint la Révolution et avec elle, la confiscation des biens d’Eglise et de ceux des nobles émigrés. Charles Just de Beauvau, seigneur d’Harbouey, Maréchal de France et Ministre de la Guerre en 1790 ne fut pas inquiété, par contre sa fille Anne-Louise, princesse de Poix par son mariage avec Louis –Philippe de Noailles dut se défendre contre les prétentions du fisc.

       Toutes les possessions confisquées à la Révolution ne connurent pas le même sort. Immeubles et terres furent vendus entre les années 1792 et 1795, par contre les forêts furent intégrées au patrimoine national et devinrent forêts domaniales comme Grand Cheneau, ancienne possession de l’abbaye de Saint-Sauveur en Vosges.

       Le 9 juin 1825 est établi un procès verbal de reconnaissance des limites qui séparent la forêt de la Princesse de Poix, de celle possédée en indivis par les communes d’Angomont, Bionville(Allecombe a été détruit au cours de la guerre de 30 ans), Brémenil et Neuviller en raison d’un arbre coupé sur la ligne limitative entre ces deux forêts, suivi d’un abornement le 12 juin 1826 au canton de Rehémont.

       La princesse de Poix décède le 20 novembre1834 et ses enfants, le Duc de Poix et la vicomtesse de Noailles, héritent et veulent vendre les forêts. Les acheteurs du Ban le Moine demandent qu’un arrangement soit pris avec les quatre communes avec qu’elles consentent à ce que les droits d’usage soient à l’avenir reportés et exercés sur les bois dits de la Bergerie et Barbonhaye.

       Les héritiers de la Princesse de Poix veulent dégrever leurs forêts des servitudes dont elles étaient chargées au profit des quatre communes. Un premier jugement du tribunal civil de Lunéville du 15 mars 1836 nomme un expert pour procéder au cantonnement des droits qui sont réglés et circonscrits par arrêt de la Cour royale de Nancy du 3 août 1832 aux maisons construites avant le 4 août 1789. Les communes ont souhaité recevoir un canton de bois. L’expert rend son avis le 28 septembre 1836 mais les héritiers insatisfaits font appel. Le tribunal fixera le 25 mai 1837 la valeur du cantonnement, s’y ajoutera les dommages et intérêts réclamés par les communes pour non jouissance des droits d’usage durant les années 1830,1831 et 1832.

       Le 21 octobre 1840, quatre transactions furent signées à Allarmont au domicile de Monsieur Marx, devant Luc-François Ferry, notaire royal à Celles sur Plaine entre les propriétaires et les représentants des quatre communes. Les communes renoncent pour toujours à leurs droits d’usage en échange d’un canton de bois de même valeur.

       En ce qui concerne la commune d’Angomont, représentée par Monsieur François Joseph Holstein son maire, la négociation est la suivante :

       - Valeur du cantonnement de son droit de maronnage exempt de charges : 13 060,55 F

       - Charges des 4 communes estimées à 6 653,11F, Angomont a droit à       : 1 628,80 F

       - droit de grasse et vaine pâture                                                                     : 6 020,50 F

                                                                                                                                20 710,85 F

       Somme convertie en forêt :
  1. - 14 ha dans la forêt de Barbonhaye, territoire de Brémenil entre la portion déjà cédée à la commune de Brémenil par le dessous au nord et au couchant , celle cédée à la commune de Neuviller les Badonviller par le dessus au nord-est , les terres d’Angomont au levant et au midi ( abornement réalisé le 20 août 1840 par Charles Victor Dumont) moyennant le prix principal de 15 000 F
  2. - Une portion de sapinière lieudit Chanson Combelle territoire d’ Angomont , la forêt communale au midi et au couchant, celle de Monsieur de Chevandier au levant et la forêt royale ditte de Grand Cheneau au nord, provisoirement limitée avec celle de monsieur Chevandier à 2 ha 31 a 70 ca sauf vérification, évaluée à la somme de 5 710,85 F même somme que celle attribuée à la commune d’ Angomont
       Avec la réserve que MM les propriétaires extrairont de la superficie de la forêt actuelle un an après la quantité de 463 sapins propres au marrage et pour tronces, déjà martelées de leurs marteaux respectifs. Le chemin qui traverse la sapinière dite de Chanson Combelle et qui doit servir à l’exploitation et à la vidange de la sapinière continuera pour la commune d’Angomont.

       Voilà, brièvement résumé l’histoire des forêts de la commune d’Angomont.