Les Livres Virtuels

Index Les Voyageurs de la PRINCESS AUGUSTA




INTRODUCTION


       A-t-on jamais fini d'étudier l'histoire du Ban de la Roche ?

       Ayant déjà traité en trois tomes, dans Généalogie des habitants du Ban de la Roche et de leurs légendes, le sujet de cette petite région protestante de la haute Vallée de la Bruche composée de huit villages, je croyais avoir fait à peu près le tour. D'autant plus que j'ai complété cet ouvrage virtuel par Magique pays de Salm (lecture en ligne de ces deux ouvrages: http://badonpierre.free.fr/salmpierre/mfrancois.html) consacré à un petit territoire voisin habité par des anabaptistes dont les liens avec le Ban de la Roche étaient très forts.

       Différents contacts généalogiques m'emmenèrent ensuite dans l'Illinois, où une importante migration bandelarochoise se produisit au 19ème siècle.

       J'étais surprise de voir nos bandelarochois se retrouver propulsés, pour ainsi dire, d'un coup d'un seul, au cœur profond des Etats-Unis, comme si la Côte Est n'existait pas. Comment s'étaient-ils retrouvés aussi loin à l'ouest ? Ils n'étaient quand même pas venus en avion !

       Manifestement, une pièce du puzzle manquait. Le Ban de la Roche avait fait étape quelque part avant d'atteindre l'Illinois.

       Il y avait eu, j'en étais certaine, des migrations plus précoces, dès le 18ème siècle.

       Ces migrations, je le sais maintenant, sont organisées par les anabaptistes. Elles partent de Rotterdam et aboutissent en Pennsylvanie, en général à Philadelphie. Le trajet est logique. Rotterdam n'est pas si difficile que ça à atteindre pour des Alsaciens (c'est à l'embouchure du Rhin). Et la Pennsylvanie offre des possibilités d'immigration dans de bonnes conditions. En particulier, les utopistes William Penn (de religion Quaker) et Nicolas de Zinzendorf (de religion Morave … enfin à sa façon … en fait, il a entièrement refondé cette Eglise, au point qu'il est permis de se demander s'il lui reste quelque chose de commun avec l'Eglise Morave d'origine, celle de Jean Huss) offrent des terres à bon prix, la liberté religieuse et même une relative démocratie politique.

       J'entrepris donc de me plonger dans les listes de passagers des navires ayant accosté en Amérique, exercice auquel je suis fort peu experte, et que je n'aurais pu mener à bien sans l'aide des cousins américains, qui ne seront jamais trop remerciés. Une autre raison de les remercier, c'est qu'ils ont, pour cette période, des archives formidables, aussi bien dans les familles que dans les centres d'archives officiels. Manifestement, la rupture que constitue la migration a marqué les esprits, et le maximum a été fait pour en préserver la mémoire vivante. Les éléments biographiques sur les migrants existent en bonne quantité. Le tout est de les trouver, et là, merci encore aux cousins, car franchement je ne vois pas comment, moi, j'aurais pu mettre la main dessus. Un seul exemple : " Peter Binckley " (Pierre Pinckelé), qui a débarqué en Pennsylvanie, a laissé une biographie passionnante, mais celle-ci se trouve... en Caroline du Nord, où les cousins américains surent la chercher et la trouver après avoir fait un raisonnement d'une logique parfaite et évidente... enfin évidente pour celui qui connaît sur le bout des doigts les implantations des différentes sectes dans l'Amérique des premiers jours (Peter/Pierre était de religion " Morave ", et cette " Eglise " avait une implantation en Caroline du Nord, où notre Bandelarochois finit par aboutir après un passage en Pennsylvanie).

       Parmi ces bateaux, la Princess Augusta, arrivée en Pennsylvanie en 1736, est l'un des plus importants, car les migrants bandelarochois qu'elle transporte sont venus en nombre. Il est difficile de les compter à une personne près, d'autant plus que les listes du capitaine ne mentionnent en général pas les femmes et les enfants, mais il me semble, à la grosse louche, qu'il y a bien, à bord, une centaine de Bandelarochois " au sens large " (c'est à dire en comptant les cousins suisses, les anabaptistes venus de censes situées dans des villages catholiques limitrophes, et même les " Seven families ", comme les appellent leurs descendants; il s'agit de familles catholiques de Saussure et Natzwiller qui ont suivi le mouvement). J'imagine le travail d'organisation qu'il y a derrière un tel voyage... car il est exclu que tant de compatriotes se soient trouvés à Rotterdam, par hasard, au même moment, le moment opportun pour embarquer sur la Princess Augusta.

       La richesse du matériau trouvé par les cousins américains est telle que je ne peux que recommander la lecture directe de leurs sites internet, pour lesquels j'ai placé beaucoup de liens au présent ouvrage.

       Cette richesse m'incita également à rester très " européenne " dans mon traitement du sujet. J'aurais pu écrire une encyclopédie en recopiant leurs tableaux généalogiques descendants et en plagiant leurs biographies familiales. L'exercice m'a semblé d'un faible intérêt.

       J'ai préféré placer des liens vers leurs sites, et travailler sur ce pour quoi j'étais mieux placée qu'eux: la description du contexte européen du départ.

       Je me suis aussi bornée à ce que je connaissais bien, à savoir le Ban de la Roche " au sens large ".

       A l'intérieur de ces limites, il convient de distinguer deux populations :
  •        la plus facile à cerner est constituée par les " Seven families " (en fait seulement six noms) catholiques provenant du pays de Salm : familles ORY, STRASBACH, NOEL, GERARD, DELON, CHRETIEN ; sur le bateau, le capitaine distingua ces familles des autres en notant les effectifs avec plus de précision, peut-être par méfiance, car, vu du point de vue anglais, un catholique présentait plus de risques d'être déloyal à la couronne
  •        l'autre population est celle des protestants, appartenant souvent à la mouvance anabaptiste et/ou piétiste, au sens très large ; j'avais décidé de me limiter au Ban de la Roche, mais il ne me fut pas facile de tracer les frontières de mon sujet ; par exemple, il aurait été absurde de ne pas tenir compte de censiers anabaptistes installés sur des terres limitrophes du Ban de la Roche, telles que Salm ou Natzwiller ; absurde également de refuser d'étudier une personne telle que Christian Teppe, un Suisse qui n'a peut-être jamais mis les pieds au Ban de la Roche, mais qui y a une floppée de cousins … ces personnes situées aux marges du sujet sont en fait les plus interessantes, puisque c'est elles qui détiennent vraisemblablement la réponse à cette question : comment se fait-il que, sur le même bateau, se soient retrouvés des personnes aussi différentes que des Bandelarochois, des catholiques salmois, et des Suisses ayant, ou n'ayant pas, selon les cas, des liens avec le Ban de la Roche ?
       J'ai donc décidé d'inclure dans mon sujet toute personne que j'ai repérée comme ayant, avec le Ban de la Roche, n'importe quelle sorte de lien, aussi ténu soit-il. Probablement ai-je commis des oublis.

       En revanche, c'est volontairement que je ne me suis pas lancée dans l'étude de groupes de voyageurs suisses (ou pas... au fond, je n'en sais rien) n'ayant aucun rapport avec le Ban de la Roche, étude pour laquelle je ne suis pas outillée.

       Il reste donc de vastes domaines que je n'ai pas explorés, et des personnes interessantes que j'ai laissées de côté, comme par exemple ce Durs Thommen , un piétiste qui a fini ses jours au Ephrata Cloister de Cocalico (Pennsylvanie), et qui paraît jouer un rôle de leader. Ayons quand même une pensée pour lui, ainsi que pour Benedict Yuchli, car, bien que n'étant pas anabaptiste, la communauté du Ephrata Cloister a traduit en anglais le Martyr's Mirror, qui est maintenant sur internet, et qui constitue, pour celui qui a des ancêtres anabaptistes, une source généalogique incontournable bourrée de renseignements opérationnels. Il est donc possible que nous profitions directement, et concrètement, encore aujourd'hui, du travail personnel de Durs et de Benedict. Leurs fantômes méritent en conséquence autant de remerciements que les cousins américains d'aujourd'hui, qui ont si magistralement trouvé et mis sur internet, à la disposition de tous, des documents pertinents.

       Ayant ainsi limité mon sujet, qui ne traite donc pas de façon complète de tous les passagers présents sur la Princess Augusta (cette tâche n'est pas réalisable pas une personne seule), j'ai tenu au moins à dessiner de façon complète le contexte européen du départ. Je suis pour cela remontée fort loin, pas seulement jusqu'à la Guerre de Trente Ans mais jusqu'à la Guerre des Paysans. Cela m'a paru indispensable pour situer la problématique anabaptiste aux yeux de lecteurs français et américains, pour qui ces périodes sont moins familières que pour le lecteur allemand.

       Grâce à cette étude, j'ai découvert un Ban de la Roche que je ne connaissais pas ou peu : non pas celui des vieilles familles du lieu, mais celui des marges, de ces migrants suisses qui y font un petit tour et repartent, de ces familles qui ont laissé à peine quelques traces furtives aux paroissiaux du Ban de la Roche, et que nous distinguons avec peine, en levant les yeux, sur les branches les plus hautes de nos arbres généalogiques, là où l'information est parcellaire et les conclusions discutables.

       Bien des points de l'histoire du Ban de la Roche s'éclairèrent. En particulier, il n'est pas indifférent que les migrants de la Princess Augusta aboutissent plus d'une fois dans le Sud cotonnier... et ceci au 18ème siècle, c'est à dire à l'époque où l'industrie textile à base de coton démarre dans nos vallées, ceci en relation avec la vallée de Sainte Marie aux Mines, qui se trouve comme par hasard être elle aussi un haut lieu anabaptiste qui a aussi fourni beaucoup de migrants.


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