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Index Les Voyageurs de la PRINCESS AUGUSTA



CONTEXTE HISTORIQUE GENERAL




LA HAUTE VALLEE DE LA BRUCHE: UNE MOSAIQUE

Mosaïque politique

       La petite région qui nous concerne est appelée, géographiquement, Haute Vallée de la Bruche.

       Juridiquement, depuis les traités de Westphalie, toutes ces terres sont françaises à l'exception du Salm, qui oscille entre l'indépendance et l'absorption par la Lorraine (plus tard, le partage de 1751 clarifiera les choses et dessinera nettement une Principauté indépendante d'une part, et un Comté lorrain d'autre part; mais, en 1736, nous n'en sommes pas encore là.).

       Cependant, au niveau des individus, la notion de nationalité est difficile à cerner. Par exemple :
  •        est-il français, ce François Ory qui nait à Bréménil, dans le pays de Salm, mais passe toute sa vie en Alsace, c'est à dire en France?
  •        sont-ils français, ces anabaptistes qui se sont réfugiés en Alsace en provenance de Suisse, mais qui ont la ferme intention d'y former un " Etat dans l'Etat "?


       En fait, il est trop tôt pour assigner aux individus des " nationalités " au sens moderne du terme, c'est à dire au sens où l'on est citoyen d'un Etat-Nation avec ce que cela comporte de droits, de devoirs et surtout de sentiment d'appartenance profonde. A l'époque qui nous interesse, nos ancêtres sont simplement sujets, soit du Roi de France, soit du Prince de Salm; leur devoir se borne à l'obéissance et ne s'accompagne pas d'un sentiment d'appartenance identitaire; ce sont plutôt la religion et la langue qui forment l'identité.

       L'Etat-nation moderne est encore en devenir, et la mosaïque des micro-pouvoirs hérités de la féodalité a encore de très beaux restes, ne serait-ce que parce qu'elle dessine la géographie religieuse. Les traités de Westphalie sont très clairs sur ce point : bien que le Roi de France soit substitué à l'Empereur comme suzerain des pouvoirs alsaciens, il doit cependant respecter le Cujus Regio Ejus Religio. Et d'ailleurs il le respecte globalement, même si, à la marge, il pousse les pions de l'Eglise catholique lorsqu'il en a l'occasion. Dans l'autre sens, l'application du traité est moins honnête, et la France doit plus d'une fois regagner ce qui lui appartient déjà.

       Il convient cependant de ne pas surinterprêter cet émiettement politique: les populations circulent, surtout depuis que l'Evêque de Strasbourg a accordé l'affranchissement du servage à tout catholique venant s'installer sur ses terres. La seule vraie frontière humaine passe entre catholiques et protestants.

       On distingue:

       Dans la haute vallée de la Bruche:

       (les " frontières " sont un peu fluctuantes)

       Terres françaises:

       Le Ban de la Roche (en allemand: Steintal; luthérien) est une dénomination traditionnelle d'ancien régime; il s'agit d'un ancien territoire qui comprenait les villages de Rothau, Neuviller, Wildersbach (dans la vallée de la Rothaine; c'est la paroisse de Rothau), Belmont, Bellefosse, Waldersbach Fouday, (dans la vallée de la Chergoutte; c'est la paroisse de Waldersbach, avec en plus Solbach, un peu à l'écart de tout); cette dénomination un peu désuète continue d'être utilisée, car il s'agit d'une unité pertinente au point de vue historique, démographique, généalogique et identitaire; le Ban de la Roche est le territoire d'action du fameux pasteur Jean-Frédéric Oberlin; le Ban de la Roche a appartenu aux seigneurs de Rathsamhausen, puis de Veldenz; ce sont eux qui gouvernent le pays durant la guerre de Trente Ans.

       Le Val de Villé (surface totale: environ 10 kilomètres sur 10; catholique) capitale Villé, comprenait les villages suivants: Villé, Steige, Maisonsgoutte, Saint-Martin, Albé, Charbes, Villé, Bassemberg, Triembach au Val, Hohwarth, Urbeis, Fouchy, Breitenau, Neuve-Eglise, Saint-Maurice, Saint Pierre-Bois, Thanvillé, Dieffenbach au Val, Neubois, Saales, Bourg-Bruche; les seigneurs en furent les Zurlauben, puis les Choiseul-Meuse.

       C'est sur le territoire du Val de Villé, au hameau de Scherviller, qu'eut lieu le grand massacre de 1525 pendant la guerre des Paysans.

       L'Evéché de Strasbourg gouverne, dans la vallée de la Bruche, plusieurs villages composant le Baillage de Schirmeck, dont les principaux pour nous sont Schirmeck, Barembach, Natzwiller; bien entendu, ces villages sont catholiques. Les terres de l'évêque de Strasbourg sont, parmi les terres catholiques, celles qui souffrent le plus de la Guerre de Trente Ans. Elles sont, de façon réelle et non par exagération (contrairement aux terres salmoises), réduites à une population de quelques familles par village, parfois zéro, parfois une, deux ou trois. La bourgade la plus importante, Schirmeck, finit la guerre avec neuf maisons debout dont le presbytère et trois auberges. Ce qui conduit l'Evêque à consentir des conditions interessantes, dont la libération du servage, à tout catholique venant s'installer sur ses terres.

       Terres salmoises:

       La principauté de Salm (surface totale: environ 12 kilomètres sur 20; catholique), capitale Senones, fut indépendante jusqu'à la Révolution française; à la suite d'un partage de 1753, elle comprenait les villages suivants: Senones (capitale), Ménil et Saint Maurice-les-Senones, Vieux-Moulin et les Frénot, Allarmont, Albé, La Broque, Grandfontaine, les forges de Framont, Fréconrupt, Vipucelles et les Quelles, Plaine, Champenay, Diespach, Saulxures, Bénaville et le Palais, La Petite-Raon, Paulay, Raon-sur-Plaine, Celles, Luvigny, Moussey, Belval, Saint-Stail, Grandrupt, Le Vermont, Vexaincourt; avant cela, c'est à dire à l'époque qui nous interesse, la situation est plus confuse; il y a bien un Comte de Salm d'une part, et un prince de Salm d'autre part, mais malgré cela, la Principauté de Salm se distingue mal du Comté de Salm (qui d'ailleurs n'existe alors plus que nominalement; il est absorbé de fait par le Duché de Lorraine), capitale Badonviller.

       Donc, le partage de 1753 n'est pas encore en vigueur en 1736, c'est à dire à l'époque qui nous interesse.

       Les ancêtres dont nous parlons dans ce livre vivent sous le régime d'un partage antérieur, celui de 1598, qui était fait selon de tous autres principes. Les parties en présences étaient déjà le Comte Sauvage de Salm et du Rhin (alias Rhingrave alias plus tard Prince de Salm) d'une part, et les Comtes de Salm d'autre part. Mais la terre n'était pas divisée de façon claire. Seuls les plus gros villages étaient soit à l'un soit à l'autre. Les villages les plus petits étaient bizarrement partagés: les maisons de, par exemple, Jean et Demange étaient au Comte de Salm, celles de Colas et Guillaume au Comte Sauvage qui devient le Prince en 1623 lorsqu'il reçoit ce titre en échange de sa conversion au catholicisme...

       Bref au bout de quelques générations et déménagements, il est impossible de s'y retrouver. D'autant plus que le Comte de Salm Jean IX meurt sans héritiers mâles et que son héritière Christine de Salm épouse François de Vaudémont, de la maison de Lorraine. Si bien qu'après ce mariage la confusion est à son comble: il devient difficile de distinguer non seulement les terres du Comte de celles du Comte Sauvage (futur Prince), mais également le Salm de la Lorraine.

       Au point de vue religieux aussi, la confusion est à son comble. Les Ducs de Lorraine sont des catholiques fanatiques (rappelez vous vos livres d'histoire: les Guise, la Ligue... il s'agit du parti qui a toujours accusé les Rois de France de tiédeur en matière de défense des prérogatives de l'Eglise catholique); de l'autre côté, les Comtes sauvages, un temps protestants, se convertissent certes au catholicisme en contrepartie du titre de Prince, mais il ne font jamais passer les intérêts de l'Eglise avant les leurs. En particulier, point très important pour notre sujet, ils ne se gênent pas pour installer des censiers anabaptistes sur leurs terres lorsqu'il s'avère que ceux-ci sont d'excellents éleveurs et que les intérêts économiques convergent.

       Donc: même si la Principauté de Salm, à l'époque qui nous intéresse, est encore " virtuelle ", il importe de ne pas la tenir pour zéro, car elle est en gestation. En 1793, le vrai partage, celui qui tracera une ligne frontalière nette matérialisée par des bornes, se fera à l'avantage de la Principauté (pourtant en théorie plus faible que le Duché de Lorraine) qui obtiendra les seuls villages qui comptent au plan économique, à savoir l'ensemble La Broque/Framont/Grandfontaine, emplacement indivisible des grandes mines de fer. Le reste du Salm doit être considéré comme un arrière-pays; faiblement peuplé, il se compose des bois dont les mines et les forges ont besoin pour fonctionner; l'activité y est principalement forestière; en conséquence l'habitat est très dispersé, car c'est au cœur de la forêt que se trouve l'activité; le problème du transport du bois étant très difficile, on travaille autant que possible sur le lieu d'abattage, d'où toutes sortes d'équipements très dispersés, principalement des scieries; le centre nominal des villages est donc très peu peuplé par rapport aux hameaux, écarts, lieuxdits et choses de ce genre.

       Tout près:

       (Terres françaises)

       Vers l'est :

       La Ville de Strasbourg (ne pas confondre avec l'Evéché; la municipalité est protestante); les villages qui dépendent d'elle près de chez nous sont luthériens; à savoir Barr et le " coin de Barr " (Heiligenstein; Gertwiller; Goxwiller; Bourgheim; une partie de Mittelbergheim); Barr fait figure de mini-métropole pour le Ban de la Roche; les populations de ces deux ensembles sont très entremêlées.

       L'évêché de Strasbourg possède, plus bas dans la vallée de la Bruche, d'autres terres qui constituent le baillage de Dachstein; la ville principale est Molsheim, siège d'un collège de Jésuites, haut-lieu de la contre-réforme, et championne toutes catégories en matière d'allumage de bûchers pour sorcellerie; pour une raison que j'ignore, il y a peu de circulation de population entre les baillages de Schirmeck et Dachstein; de même qu'il y a peu de circulation entre d'une part Dorlisheim, village protestant du coin, et d'autre part l'ensemble Ban de la Roche/coin de Barr.


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