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Index Les Voyageurs de la PRINCESS AUGUSTA




LA HAUTE VALLEE DE LA BRUCHE: UNE MOSAIQUE fin

Mosaïque linguistique

       Le peuple:

       Dans le Salm et au Ban de la Roche, le peuple parle le Français, ou plus précisément le " patois welsche "(1). Nous sommes sur la frontière linguistique. Quelques kilomètres plus à l'est, par exemple à Barr, le peuple parle l'allemand, ou plutôt le dialecte alsacien.

       A la suite de la guerre de Trente Ans, Natzwiller, vidée de sa population et entièrement repeuplée par immigration, devient germanophone à cette occasion.

       Les immigrés suisses venus du canton de Berne parlent l'allemand, plus précisément le dialecte appelé Bernois, qui deviendra le Pennsylvania Dutch en Pennsylvanie. Ce dialecte est proche de celui parlé les Alsaciens voisins du Ban de la Roche, et pour cause, car géographiquement, nous sommes très proches de la Suisse ; mais il est paraît-il impossible à comprendre pour un Alsacien du Nord de l'Alsace. Une anecdote : en 1977, des anabaptistes d'Amérique vinrent en visite à Salm(2) sur les traces de leurs ancêtres. Etant donné qu'ils ne parlaient pas français, et que leurs hôtes ne parlaient pas anglais, il y eut des difficultés de communication... jusqu'à ce que les visiteurs, en désepoir de cause, essaient à toutes fins utiles le Pennsylvania Dutch, qui fut compris sans difficulté et jugé à peu près identique au dialecte alsacien tel qu'il est parlé dans la région.

       Avant eux, il y a eu d'autres immigrés germanophones, en particulier des mineurs, mais on en sait assez peu sur eux. C'est d'autant plus frustrant pour notre sujet que nous avons une telle famille sur la Princess Augusta: le nom de Strasbach, qui figure parmi ceux des " Seven families ", est germanique de toute évidence. Et, de toute évidence également, comme nous le verrons, cette famille ne fait pas partie des réfugiés suisses de la seconde moitié du 17ème siècle puisqu'elle était déjà présente dans notre région vers 1620, soit un demi-siècle avant la plus grosse vague d'immigration suisse. On enrage de ne pas pouvoir en dire plus...

       Les autorités:

       Les seigneurs de Veldenz, maîtres du Ban de la Roche, parlent allemand, tiennent leurs archives dans cette langue, et tentent sans succès d'imposer l'usage de l'allemand au peuple.

       Les seigneurs catholiques qui leur font suite parlent le français.

       Les pasteurs du Ban de la Roche venaient à l'origine de Monbéliard, seule région qui soit à la fois francophone et luthérienne; mais, après le rattachement de l'Alsace à la France, le pouvoir interdit d'y recruter des pasteurs car, à l'époque, Montbéliard, quoique francophone, n'est pas française; elle dépend du Bade-Wurtemberg; alors que Barr et Strasbourg, où les pasteurs seront désormais recrutés, sont françaises quoique germanophones; en conséquence, le rattachement à la France a cet effet paradoxal d'amener au Ban de la Roche des pasteurs qui parlent fort mal le français, voire pas du tout.

       Ils tiennent les registres paroissiaux en général en français, mais parfois en allemand quand ils parlent trop mal le Français.

       Les autorités politiques salmoises et lorraines parlent le français.

       Les prêtres catholiques tiennent les registres paroissiaux en latin.

       Déplacement de la frontière linguistique

       Le repeuplement de la région par des migrants germanophones déplace la frontière linguitique au détriment du Français... de quelques centaines de mètres.

       Natzwiller tombe dans l'escarcelle germanophone.

       Belmont, presque entièrement repeuplée par des Suisses, a failli en faire autant. Au temps du pasteur Stouber (1750-), on l'appelait " la paroisse de langue allemande ", et l'on y célébrait le culte en allemand (ce culte restant cependant en Français lorsqu'il était dit à Waldersbach ou à Fouday, les deux autres villages de la paroisse où il y avait des églises); d'une façon générale, les seigneurs catholiques mis en place par le pouvoir Français ne font rien pour défendre la langue française, bien au contraire; ce sont eux qui ont fait venir des pasteurs germanophones; en fait, les seigneurs catholiques sont ravis que le culte protestant soit incompréhensible pour les paroissiens; la langue française regagnera du terrain grâce aux pasteurs Stouber et Oberlin, qui en font la langue d'alphabétisation du pays (bien qu'étant eux-mêmes germanophones d'origine).

       Cependant, ce déplacement de la frontière linguistique est d'ampleur très limitée. En particulier, le Salm n'est pas touché.

       Les " Seven families " venues de Saulxures sont donc de toute évidence francophones, y compris la famille Strasbach, dont les origines germaniques sont lointaines (cette famille ayant immigré au plus tard en 1620... date à comparer à celle de la migration de 1736 sur la Princess Augusta... c'était vraiment de l'histoire ancienne). Il convient de s'interroger sur les raisons pour lesquelles, en Amérique, certaines d'entre elles ont joué la confusion. Par exemple, François Ory se fait appeler Ury dans son testament, et il le rédige en allemand. Il est possible, dans le climat des colonies anglaises de l'époque, qu'il ait été trop dangereux d'avouer des origines françaises ou francophones.


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