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Index Les Voyageurs de la PRINCESS AUGUSTA




IL Y A ANABAPTISME ET ANABAPTISME


       Il convient de distinguer plusieurs formes d’anabaptisme. Par ordre chronologique, nous avons :
  1. l’anabaptisme révolutionnaire, indissolublement lié à la Guerre des Paysans de 1525
  2. l’anabaptisme non-violent de Menno Simmons (1492-1559)
  3. l’anabaptisme fermé de Jacob Amman (ca 1644-1720)
       Sans oublier ce que j’ai appelé l’ « «anabaptisme catholique » », phénomène spontané et populaire il ne faudrait pas évacuer trop vite du débat.

       1 L’anabaptisme révolutionnaire

       L’anabaptisme révolutionnaire est indissociable de la guerre des paysans de 1525. Voir le corps de texte du présent chapitre. Comme nous l’avons souligné, cet anabaptisme doit être vu comme une mouvance plutôt que comme une église hiérarchisée, ou une liste fermée de familles.

       Il ne s’agit pas pour autant d’une chose qui disparaît avec la guerre des paysans.

       Si l’anabaptisme révolutionnaire est mal vu, si les Mennonites refusent de s’en réclamer, si ces frontières sont difficiles à fixer, nous aurions tort pour autant de l’enterrer trop vite.

       Plus d’un pauvre paysan avait sans doute plus de sympathie pour les idées des Douze Articles de Memmingen que pour Jacob Amman, ses vêtements démodés, sa barbe biblique, son Ordnung (règle de l’ordre), sa Meidung (règles d’exclusion), l’idéologie patriarcale, la modestie obligatoire, la suspicion dans laquelle l’instruction profane est tenue...

       Une fois en Amérique, certains des passagers de la Princess Augusta rejoignent l’Eglise Morave, dont certaines implantations sont organisées sur un mode quelque peu... communiste (5). Chose à peine croyable en Amérique!

       Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à savoir, quand les circonstances y aident, se débrouiller pour organiser la vie économique sans permettre l’apparition de « patrons » privés: sur les terres du Comte de Salm, à la faveur de la période troublée qui suit la Guerre de Trente Ans, nous verrons parfois le Comte ne pouvoir faire autrement que d’adjuger une scierie, ou autre bien d’équipement, à la communauté des villageois. Certes, ceux-ci sont catholiques, mais je gage qu’ils s’entendraient fort bien avec certains anabaptistes révolutionnaires si seulement les deux parties ont le bon sens de ne pas mettre la conversation sur les questions de religion.

       Refuserons nous à ces personnes de les voir et de les considérer comme de dignes représentants de l’anabaptisme, qui était parfois leur religion en Europe? Et pourquoi? En quoi sont-elles moins légitimes que les Anciens qui passent leur temps à réprimander leurs coréligionnaires en public et à les exclure au nom de la Meidung? Ces Anciens, les voyageurs de la Princess Augusta ont, pour certains d’entre eux, eu le courage de traverser l’Atlantique pour les fuir... Pourquoi irions nous les mépriser? Pourquoi demanderions nous aux hiérachies écclésiastiques de dire qui est anabaptiste et qui ne l’est pas? Sont-ils propriétaires de l’héritage de la Réforme Radicale? Ce droit de propriété s’étend-il aux parties de l’héritage qu’ils ont entendu jeter par dessus bord, comme les Douze articles de Memmingen?

       2 Le Mennonisme non fermé

       C’est celui de Menno Simmons. Celui-ci, un Hollandais, à l’origine prêtre catholique, insiste sur l’idée d’une non-violence alsolue allant jusqu’à la non-résistance au mal.

       Il tient à se démarquer de l’anabaptisme révolutionnaire, auquel il reproche sa violence

       Rien n’indique que Menno Simmons ait voulu fonder une Eglise à lui si fermée sur elle-même qu’elle soit une sorte d’ordre monastique laïc, pour dire les choses gentiment, ou de secte pour le dire autrement.

       D’ailleurs, nous avons maintes indications que la sociologie mennonite (hors mouvement Amish) n’était pas fermée. Le Martyr’s Mirror signale, pour s’en plaindre, que les Mennonites qui ont du fuir la Suisse à cause des persécutions du 17ème siècle n’ont parfois pas été suivis par leurs épouses calvinistes, et que celles-ci furent autorisées par leurs pasteurs à rester en Suisse sans leurs maris, à garder leurs biens et même à se remarier. C’est donc bien que des anabaptistes avaient des épouses calvinistes.

       Au 19ème siècle, dans les Vosges, l’écrivain Michiels signale que, dans les familles mixtes (luthériennes/mennonites), les garçons suivaient la religion du père et les filles celles de la mère. C’est donc bien qu’il y avait des familles mixtes.

       Il y avait également tout une frange de sympathisants, appelés Treuherzigen, que Jacob Amman n’aimait pas du tout, comme le montre cet extrait de la Mennonite Encyclopedia:

       « He seems to have held that the Treuherzigen (those friends of the Anabaptists who shared many of their views and helped them in times of persecution but for some reason would not join the group openly, perhaps out of fear) would not be saved, meaning that no one would be saved outside the Anabaptist fold. »

       Cette notion de Mennonisme non fermé et de sympathisants est très importante. Le généalogiste bandelarochois a tendance à l’oublier, et à considérer comme Mennonites uniquement les familles Amish au particularisme affiché (costume,...)

       Cependant, cette notion ne facilite pas la tâche du généalogiste. Elle implique en effet que le choix de la religion soit affaire individuelle et non familiale. Si bien que, pour se hasarder à faire des hypothèses sur la religion de telle ou telle personne, il faudrait avoir reçu ses confidences ... ce qui n’est évidemment pas le cas. Nous continuerons cependant à signaler tel ou tel nom que nous estimons anabaptiste. Le lecteur voudra bien y voir une simple indication sur le milieu dans lequel évolue la personne.

       Il est à noter, comme l’avaient déjà remarqué Van der Smissen (et probablement, plus que tout le monde, Jacob Amman), que le Mennonisme non fermé est soluble dans le milieu ambiant. Il ne manque pas d’exemples, au Ban de la Roche, de familles qui furent vraisemblablement mennonites en arrivant, et qui, ensuite, ne montrèrent pas de particularisme particulier.

       3 L’anabaptisme fermé de Jacob Amman

       C’est celui que nous connaissons tous au moins « de vue »; nous avons peut-être vu le film « Witness », ou bien regardé des documentaires insistant sur l’aspect « exotique » de cette secte: les buggys, les costumes à la mode du XVIIIème siècle, le port de la barbe... Quand il y a des Amish dans le secteur, impossible de les manquer ou de les confondre avec d’autres.

       Dès avant Jacob Amman, les tendances à la fermeture et à l’endogamie existaient à titre de germe latent. Par exemple, le Martyr’s Mirror relève que, lors de la grande persécution de 1671, quand les anabaptistes durent s’exiler de Suisse, ils furent parfois abandonnés par leurs épouses calvinistes, celles-ci étant autorisées par leurs pasteurs à se remarier. Il y avait de quoi en conclure qu’un mariage mixte, ça fonctionne tant que tout va bien mais qu’en cas de malheur, ça s’effondre.

       Parmi les exilés suisses qui débarquent au Ban de la Roche à la fin du 17ème siècle, nous devons imaginer que plus d’un, après avoir perdu tous ses biens et avoir du s’exiler, a été de surcroit abandonné par son épouse; il y avait de quoi en avoir gros sur le cœur. L’on comprend aisément que Jacob Amman ait eu du succès quand il a commencé à prêcher pour un anabaptisme fermé et endogame, une sorte de tribu/église.

       La forme Amish de l’anabaptisme est très typique de notre région. Elle est née à Sainte Marie aux Mines en 1693, fondée par Jacob Amman qui en devient le patriarche et l’éponyme. L’Eglise se veut un ordre religieux régi par une règle, l’Ordnung. Il ne s’agit donc pas d’une simple paroisse de fidèles dont la pratique se limite à suivre le culte (pardon: l’Assemblée). La discipline est stricte, et ceux qui désobéissent aux Anciens sont mis à l’écart (« Meidung ») Le mouvement Amish est endogame et anti-individualiste: on se marie à l’intérieur de la communauté, et l’on a en principe la religion de ses pères. Ce qui facilite la tâche du généalogiste: telle famille est, ou n’est pas, connue pour être Amish.

       Jacob Amman justifiait cette « nécessité » de fermeture par le relâchement des mœurs et de la pratique dans les Eglises « de la multitude », et par la méchanceté du monde extérieur. Plutôt critique vis à vis de Jacob Amman, Heinrich Van der Smissen (6) souligna que les Mennonites avaient au contraire été fort bien accueillis par les gens de Sainte Marie aux Mines, qu’ils leur rendaient leur bonne manière, et qu’ils avaient tendance à montrer spontanément de l’esprit civique, par exemple à accepter des fonctions municipales, ou à accepter de prendre part, armé d’un bâton, à la surveillance des champs contre les maraudeurs (pour Amman, ces rondes sont déjà de la violence! en fait, quand on regarde son action, on a parfois l’impression que la « non-violence » sert chez lui de paravent à l’incivisme). Les voisins de Sainte Marie sont bien sympathiques, mais, vu du point de vue d’une communauté minoritaire, il y a risque de disparition par absorption dans la collectivité générale.



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