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Index Les Voyageurs de la PRINCESS AUGUSTA



LA GUERRE DE TRENTE ANS




Vue sous l'angle local


       Sous l'angle local, les choses sont très difficiles à suivre, car chaque petit chef tente de jouer sa carte.

       Par exemple, en 1622, Barr souffre terriblement alors que, dans le Ban de la Roche limitrophe, il ne se passe rien.

       La période la plus dure pour le Ban de la Roche: 1633-1635 (phase suédoise). Rothau est réduite à l’état de ville-fantôme. En revanche, Bellefosse a la chance de passer inaperçue des soldats. Elle consituera le principal réservoir autochtone à partir duquel le Ban de la Roche, la paix venue, reconstituera ses effectifs.

       Les terres dépendant de l’Evêque de Strasbourg (Schirmeck, Barembach, Natzviller, plus quelques petits villages) sont touchées aussi gravement que le Ban de la Roche, et pratiquement vidées de leurs habitants.

       La Lorraine souffre autant que l’Alsace.

       En revanche, entre Alsace et Lorraine, le pays de Salm est touché à partir de 1635 seulement, et de façon nettement moins forte que ses voisins. La catastrophe démographique est à mon avis à relativiser fortement en ce qui le concerne (voir encadrés)


UN IMPACT DIFFICILE A APPREHENDER SUR LA POPULATION DU SALM

       L’impact de la guerre sur la population du Salm est difficile à appréhender.

       Dire que ce pays n’a pas souffert serait faux. Mais il est clair qu’il n’a pas souffert au même degré que l’Alsace et la Lorraine, et que nombre de documents alarmistes ne résistent pas à l’examen.

       Par exemple:

       «Déclaration et liste des lieux dependans du comté de Salm du 30 juin 1661 (7)»

       Le Ban de Salm pour la part de S.A. consistoit cy devant en Trois villages appelés Freconrup, les Quevelles Vipucelle Et en la moitié de la Broque,
Fréconrupt et les Quelles:Les deux premiers (rappel: Fréconrupt et les Quelles) ont été absolument ruynés par les guerres, mais depuis peu Un habitant de la Neufville en Barambas, aiant faict rebastir Une maison audictes Quevelles, Il y a logé deux Pauvres manouvriers.
Vipucelle:II y a audict Village deux Subiects manouvriers et qui ne gaignent leurs Vies qua faire des paixeaux et les conduire Sur la Ripviere qui va en Allemagne
La Broque:Son Altesse a deux subiects audit lieu tres pauvres et y arrivés depuis peu.»


       Ce document peut être utilement comparé aux registres paroissiaux de la paroisse de Vipucelle (où sont enregistrées les actes d’Etat Civil de tout le Ban de Salm et non ceux du seul village de Vipucelle), qui commencent peu d’années après, en 1678. Ces registres nous font voir une population non négligeable, et qui n’est pas composée d’immigrés de la veille (voir mon Essai de reconstitution de la population de la paroisse de Vipucelle dans Magique Pays de Salm). Les noms suisses n’y sont qu’une poignée. L’on sait par ailleurs que les mines et les forges ont toujours fonctionné, ce qui implique du personnel.

       En sens inverse:

       Documents relatifs à Raon sur Plaine et Luvigny:

       Geny signale une supplique de 1633 adressée par le curé Villermain. Celui ci y indique qu’il y aurait plus de 500 communiants à Vexaincourt, Luvigny et Raon. C’est une population fort conséquente... peut-être trop d’ailleurs... ce chiffre incite à faire l’hypothèse d’un afflux de réfugiés, donc d’un drame autre part.

       Or, en 1663, le curé de Raon sur Plaine dresse une liste de paroissiens dépendant du Comte, qu’il certifie exacte. Il paraît difficile de mettre en doute la parole du curé sur ce point. Cette liste paraît inclure également Luvigny, puisqu’elle comprend un habitant de ce village. Elle liste onze paroissiens seulement: Jean Patissier, maire; Jean Michel, maréchal; Jean Mongeon, forestier; Pierre Drouat, boquillon; Jean Michel le Vieux; Nicolas Chapelier, recouvreur; Jean Parxel; Nicolas, de Luvigny, manouvier; Claude Tonnesse, réfugié, manouvrier; Jean Colin, manouvrier; le veuce de Demenge Lecomte.

       Il y a donc eu une forte chute de la population. Ce qui ne veut pas dire que tous ceux qui manquent soient morts.


       L’impression générale est que les Princes de Salm mettent plusieurs décennies à se réapproprier les richesses forestières, et que la population forestière sait faire durer l’impression que l’on est en période d’après-guerre et donc en droit de survivre comme on peut, éventuellement en marge de la loi.

       A mon avis, il y a beaucoup de gens qui survivent ainsi, du moins au pays de Salm, qui paraît constituer le principal réservoir à partir duquel les catholiques de la région reconstitueront leurs effectifs. Et, comme toujours dans la région en temps de guerre: plus le hameau est petit, mieux on survit. Ce sont donc les forêts salmoises qui, après la guerre, vont reconstituer les effectifs catholiques de la vallée.

       Le détail des opérations figurent dans l’encadré ci-dessous.


LA « PHASE SUEDOISE » DANS LA HAUTE VALLEE DE LA BRUCHE

       La phase suédoise de la guerre de Trente Ans a été particulièrement intense dans notre région, et ce n’est pas un hasard puisque, comme tout le monde ne le sait pas, nous sommes un peu suédois, au moins par les soubrettes. Nos seigneurs, les Veldenz, descendent en ligne directe, quoique par les femmes, des Rois Wasa de Suède. Appauvris par la guerre, ils ont perdu leurs possession allemandes, si bien que Rothau, hier encore possession secondaire et éloignée, a maintenant l’honneur d’être le siège de leur « cour » et leur « capitale » officielle. Honneur qui lui vaut d’être une cible. D’autant plus que Madame la Comtesse palatine Marie-Elisabeth, qui exerce la régence au nom de son fils mineur, croit malin de jouer double jeu. Tout en se prétendant neutre, elle tente en vain de s’approprier les terres de ses voisins à la faveur de la brève période durant laquelle des Suédois dominent la vallée.

       Après la bataille de Breitenfeld, les Suédois ont l’avantage.

       1632/33

       En 1632, les Lorrains tentent de s’emparer de territoires dépendant de Strasbourg, Barr en particulier; pour défendre cette ville, Strasbourg doit recruter des mercenaires.

       Le Comte de Salm, dont les intentions sont clairement agressives, fait repérer les lieux les plus propres à l’activité militaire. Il fait fortifier La Broque, qui doit loger de nombreux soldats alliés et qui souffre de leur comportement.

       Commandés par le général Horn, les Suédois arrivent dans la vallée en 1632.

       En 1633, les Suédois ont des garnisons à Molsheim, Mützig et Rosheim; les impériaux occupent l’abbaye de Haslach qui leur sert de quartier général; l’Eveque de Strasbourg réussit, au moyen de manœuvres complexes, à installer une petite garnison à lui au château de Guirbaden (qui pourtant appartient à la famille de Rathsamhausen, suspecte de sympathies protestantes); le château de Schirmeck, militairement, compte pour du beurre depuis toujours (il est possédé en co-propriété par une multitude de seigneurs rivaux entre eux).

       Le 6 juin 1633 est une journée dramatique pour la population catholique des terre de l’Evêques: du fait de la présence des Impériaux, elle s’est crue assez forte pour se révolter contre l’occupant suédois. Elle est écrasée dans le sang. L’abbaye de Halslach est brûlée en représailles de son rôle dans le soulèvement. La ville de Schirmeck est réduite à neuf maisons, dont la maison curiale et trois auberges dans lesquelles le vin coule à flot pour les soldats d’occupation, apportant la seule source de prospérité relative dans le pays, et encore pas pour tout le monde.

       Le 10 août, c’est le Ban de la Roche qui a à souffrir: une attaque est lancée à partir du Guirbaden sous le commandement du Comte Hermann Adolf de Salm. Les soldats établissent leurs quartiers à la Broque. Ils sont guidés jusqu’au Ban de la Roche par un habitant de Grendelbuch, Valentin Charton. Dans le sillage des soldats, arrive la population de Schirmeck qui, pendant une semaine, s’installe comme chez elle à Rothau, moissonne les récoltes, emporte le bétail, et part en disant « On reviendra »; privée de ressources, la population de Rothau meurt en grande partie de faim; vingt ans après encore, au recensement de 1655, Rothau ne compte que deux familles, dont la famille Holveck, plus Schirmeckoisse que Bandelarochoise, et la famille Gannier (prononcé Ganière), nouvelle venue d’origine assez mystérieuse (je vais quand même remarquer qu’il y a des Ganaire au pays de Salm; même si ce n’est pas une preuve). On peut donc dire qu’à l’exception des Holveck, qui sont un cas très particulier, la population de Rothau est tombée à zéro à la suite des événements de 1633.

       Malgré le vol des récoltes du Ban de la Roche, les villages de Schirmeck et de Russ ont vu mourir de faim une grande partie de leur population; le reste a fui et vit souvent de brigandage, comme ce « Schirmecker Diedold », alias Diedolt Hazard, qui exerce l’activité de bandit de grand chemin à partir de la ville-fantôme de Rothau. Il rançonne en particulier deux bourgeois de Barr, dont une institution barroise: Jean Degermann, aubergiste au Brochet, qui transportaient du vin.

       L’ attaque de juin sur le Ban de la Roche n’a réussi que grâce à la surprise, car en réalité, à cette époque, ce sont les Suédois qui tiennent le terrain. Ils reprennent le terrain et neutralisent le Guirbaden, mais le mal est fait pour le Ban de la Roche.

       Nouvelle catastrophe en septembre: 120 cavaliers de l’évêque, venus de Saverne, s’abattent sur la vallée de la Rothaine

       1634:

       Les Suédois sont maîtres du terrain jusqu’à la défaite de Nordlingen, où la situation est inversée. Dans tous les cas, exactions et pillages se multiplient.

       Au Ban de la Roche, la famille de Veldenz joue double jeu. Elle se prétend neutre, mais elle est bien là, en 1634, pour se faire remettre, de la part des Suédois, la seigneurie des deux vallées de « Wyler » (= le Val de Villé) et de « Breuschtal » (= la Vallée de la Bruche); quand on pense que les Veldenz ne sont, localement, seigneurs que des huit villages du Ban de la Roche, on voit que Madame la Comtesse Palatine a été fort gourmande: c’est toute la région dont elle a cherché à s’emparer.

       Les 6 et 21 juin, les notables de ces deux vallées doivent se rendre à Benfeld pour prêter allégeance solennellement à Marie-Thérèse et à son fils.

       L’année suivante, les Impériaux vainqueurs déferlent sur la vallée, qui n’en sera délivrée que par l’intervention française.




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