Conséquences politiques de la Guerre de Trente Ans
Par les traités de Westphalie, les droits de l’Empereur sur l’Alsace sont transférés au Roi de France, qui devient le suzerain des pouvoirs alsaciens. C’est donc le premier pas d’un processus continu qui rattachera l’Alsace à la France. Ce processus n’a rien d’une conquête. Il n’a jamais existé une nation, ou une province allemande, appelée Alsace que la France aurait un jour vaincue, envahie et annexée. Les pouvoirs locaux alsaciens (certains d’entre eux du moins) font partie de ces « princes allemands » qui ont cherché à éviter une centralisation des pouvoirs sous l’égide de l’Empereur. Conformément au système féodal d’alors, ils ont recherché l’aide d’un pouvoir plus fort (finalement, ce fut la France), lequel a monnayé son aide (le Roi de France obtient le statut féodal de suzerain, ce qui était habituel quand un prince important en aidait un petit).
Ceci explique que la politique religieuse de Louis XIV en Alsace soit relativement respectueuse des droits historiques des protestants ( en tous cas nettement plus qu’à « l’Intérieur », où le protestantisme finit, avec la révocation de l’Edit de Nantes, par être purement et simplement interdit). Ce respect des droits des protestants est d’ailleurs juridiquement obligatoire, car prévu par les traités de Westphalie.
En réalité, les nouveaux vassaux du Roi de France n’ont aucune envie d’être plus loyaux envers lui qu’envers leur ancien suzerain l’Empereur. La France ne cesse de devoir re-gagner ce qui est à elle. Ainsi, en 1681, le Ban de la Roche admet qu’il doit l’hommage au Roi de France et qu’il est détaché de ses obligations envers l’Empire... ce qui était en principe déjà le cas depuis les Traités de Westphalie.
PARTICULARITES DE LA DEMOGRAPHIE BANDELAROCHOISE
Nous devons être conscients que la guerre de Trente Ans marque une rupture dans la démographie bandelarochoise.
Certes, la démographie « post guerre de Trente Ans » est la seule qui nous soit accessible en détails, puisque aucun registre paroissial ne remonte avant la guerre. Cependant, nous devons être conscient qu’auparavant, le Ban de la Roche a présenté une démographie présentant d’autres caractéristiques, même si nous ne pouvons que les discerner avec difficulté.
Démographie « post guerre de Trente Ans »
C’est la démographie bandelarochoise telle qu’elle nous apparaît quand nous faisons notre arbre généalogique. Elle nous montre une communauté protestante enclavée, endogame et fermée, descendant principalement de la poignée de familles qui ont survécu aux guerres (Marchal, Holweck, Vonier, Claude, Caquelin, ...), avec de nombreux mariages consanguins. Le seul apport extérieur de quelque importance vient de Suisse ou de Barr. Les autres apports (Val de Munster, mariages mixtes catholiques ...) sont anecdotiques. Donc, pour peu qu’on remonte au 17ème siècle, on trouve toujours les mêmes « grands couples » d’ancêtres. Il s’ensuit qu’il est difficile de dire si le Ban de la Roche est une petite région ou une grande famille. je suppose que, dans d’autres cultures, c’est cela qu’on appelle une tribu ou un clan.
Démographie antérieure à la guerre de Trente Ans
Cette démographie se devine plutôt qu’elle ne s’étudie.
Cependant, elle nous montre un Ban de la Roche dont la démographie correspond davantage à la géographie. Un Ban de la Roche qui n’a pas oublié qu’il est voisin du Pays de Salm. Si nous réussissons la périlleuse escalade des branches les plus hautes de nos arbres généalogiques, nous trouvons des noms manifestement salmois, comme Lemaire (les villages du pays de Salm avaient des maires, qui étaient d’ailleurs gens fort modestes), Genin (diminutif d’Eugène) ou Liénard ( = Léonard, saint patron des mineurs de Framont); nous trouvons également des surnoms dénotant un contexte salmois (Bernard dit Le Prince: les familles attribuées au prince de Salm par le partage de 1598 portaient souvent ce surnom); voire des noms dénotant une origine lorraine (Banzet = Ban de Sapt).
Le Ban de la Roche n’a pas toujours été une enclave.
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PARTICULARITES DE LA DEMOGRAPHIE SALMOISE
Le pays de Salm, lui aussi, constitue une unité: nous avons affaire à une seigneurie-entreprise dont le fleuron est constitué par les mines et les forges de Framont et Grandfontaine. Tout le monde travaille plus ou moins pour cet ensemble minier, même et surtout ceux qui vivent dans les bois (le charbon de bois étant une importante source d’énergie pour les forges). Et tout fonctionne par adjudication. Il importe donc peu d’être de Saulxures, de Ménil ou de Luvigny: de toutes façons, on déménagera si l’on obtient l’adjudication d’une scierie ou si l’on doit changer d’endroit pour faire du charbon de bois.
Le travail se trouvant, en fait, au fond des bois, l’habitat est dispersé, les villages sont éclatés en un nombre de hameaux d’autant plus difficile à suivre qu’il varie dans le temps.
Les noms de familles ne sont pas fixés (nous ne sommes pas en France; juridiquement, l’Edit de Moulin ne s’applique pas); et de plus, ils sont peu caractéristiques d’une famille (prénoms, noms de métier). Si bien qu’il est, sauf exception (nom très particulier comme Strasbach), à peu près impossible de prolonger les tableaux généalogiques au delà de la période des registres paroissiaux.
Pourtant, en théorie, il y a pléthore de « documents de secours »:
- - cette véritable petite entreprise qu’était le Comté de Salm disposait d’une comptabilité élaborée (voir le travail de Pierre Geny) avec indication nominative des villageois qui étaient en rapports d’affaires avec les Comtes
- - lors du partage de 1598, plusieurs villages firent l’objet de partages du genre « Les maisons de Jean et de Dimanche sont au Comte, celles de Colas et de Bastien sont au Prince », ce qui donna l’occasion de dresser des listes exhaustives d’habitants pour plusieurs villages
Mais ces riches documents nominatifs ne sont guère exploitables étant donné la mobilité des populations et la variabilité des noms.
Nous prendrons pour exemple la liste des habitants de La Broque telle qu’elle est établie à l’occasion du partage de 1598. Cette liste est la suivante:
Maurice le Bouchier ( = boucher); Colas Boulangier ( = boulanger ou meunier ou vraisemblablement les deux à la fois); Jean Loilier (= fabricant d'huile); Tisserant (tisserand); Parmentier ( = tailleur); Courdonnier (cordonnier); Fayer (celui qui travaille le hétre, fagus = menuisier ); Roch Marchal, le maréchal-ferrand; Jean Cherrier, ( = charretier ); Mercier (marchand); Mengeon Crammer; Séliox (3 familles); Demenge Bailly; Jean Bannerot; Blaise; Clans; Claudin; Antoine; Crétien, François, George, Henry, Michiel, Pierron (Pierre), Mathieu; Cunin; Genin (diminutif d'Eugène); Gennesson; Cristofle; Lienard (= de Léonard, le saint patron des mineurs de Framont); Mathis ; Coichot, Armesson; Le Gouette; Claudon Ysard
Nous observons le grand nombre des noms de métier: c’est par son utilité sociale que le seigneur désigne chacun de ses sujets. En revanche, dans les registres paroissiaux, les prénoms utilisés comme noms de famille dominent.
Les registres de la paroisse catholique de Vipucelle (= Ban de Salm = la Broque et environs) commencent en 1678, soit à peine trois générations après le partage de 1598. On devrait donc en théorie réussir à rattacher à peu près les arrières petits enfants à leurs arrière grands parents, même en ne disposant que de documents « de secours » pour 1598. Mais en fait, on n’y arrive pas. Disparus, les Bouchier, Boulangier, Seliox, Fayer, Mercier, etc... Je ne peux que renvoyer à mon Essai de reconstitution figurant dans Magique Pays de Salm. Et pourtant, la population ne semble pas là depuis la veille... ce n’est pas si facile que ça de s’improviser mineur ou forgeron...
La variabilité des noms de famille dans le pays de Salm n’est pas une survivance anecdotique jouant à la marge, elle a des effets importants. Ce qui pose la question de savoir qui a intérêt à la laisser survivre aussi longtemps. A mon avis, dans un contexte où beaucoup survivaient en marge de la loi, elle n’est peut-être pas totalement involontaire.
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