LA CENSE DU BAS LACHAMP
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Réunions clandestines au Bas Lachamp
La cense du Bas Lachamp était donc un grand lieu de réunions clandestines... Que pouvait-on bien s’y dire? Bien sur, nous sommes réduits aux hypothèses. Cependant, nous avons des indices, qui tiennent à la fois à l’origine des personnes dont ils s’agit, et à leur devenir en France et en Amérique. Les destins américains sont particulièrement interessants, car nos Bandelarochois arrivent dans un lieu où la liberté de religion est totale (enfin euh... à condition de ne pas en profiter pour être catholique... nous aurons l’occasion de reparler de ce point), et où le grand « supermarché des religions » offre au consommateur exigeant un choix presque illimité. Il est donc permis, à partir des destins américains, de nos bandelarochois, de déduire quelque chose de ce qu’ils pensaient et voulaient vraiment. Les destins français nous fournissent eux aussi quelques indications: par exemple, dans le cas de la famille Kommer. Celle-ci faisant des alliances à la fois mennonites, catholiques et luthériennes, il est clair que ses membres considéraient la liberté religieuse comme un droit appartenant en propre à l’individu. Peut-être (sans doute même) certains de ses membres étaient-ils Mennonites à titre individuel, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il s’agissait d’une « famille mennonite » endogame et fermée comme les rêvait Jacob Amman. D’une façon générale, la revendication d’autonomie individuelle est forte: les différents membres de la famille Kommer restés en France ont, comme nous l’avons vu, des destins religieux différents; des deux Américains, Hans et Daniel Kommer, respectivement fils et petit fils du sorcier Balthazar Kommer, on ne connaît pas avec exactitude leur devenir religieux, car ils s’installent à Cocalico, petite ville qui leur offre à la fois un hameau anabaptiste (Schoeneck) et le Ephrata Cloister; il ne suffit donc pas de connaître leur village d’établissement pour en déduire leur religion; cela dit, ils n’ont laissé de trace dans l’histoire religieuse d’aucune secte. Pierre Pinckelé, quant à lui, revendique une certaine autorité religieuse et s’autorise pour cela d’une expérience mystique. La démarche est donc « piétiste » au sens large que ce mot peut avoir (15). En ce sens large, le piétisme est la combinaison d’une authentique et profonde piété avec la revendication individualiste du XVIIIème siècle. Il est donc « dans l’air du temps », et l’on trouve des tendances piétistes dans toutes les églises protestantes de l’époque (et même dans l’Eglise catholique, mais alors on parle de « quiétisme »). Le cœur de la démarche est l’expérience religieuse individuelle qui conduit à une « renaissance ». Il va sans dire que l’individu que l’Esprit lui-même a touché de son aile pour le faire renaître est peu disposé à obéir à un quelconque pasteur de village nommé là par une banale hiérarchie humaine. C’est pourquoi les appareils religieux de l’époque ont toujours une attitude ambigue face aux tendances piétistes de leurs ouailles. Ils apprécient la ferveur (ou ils se sentent obligés d’avoir l’air de l’apprécier), mais ils se méfient de l’individualisme. Les Verly sont une famille vraisemblablement anabaptiste à l’origine, capable de produire les meilleurs quartiers de « noblesse mennonite »: ne sont ils pas alliés aux Stoll et même aux Roth? Et pourtant, même eux, et même des Roth prendront, une fois en Amérique, des libertés avec l’institution religieuse dont ils relèvent (16). Nous n’avonc pas connaissance de destin religieux particulier en Amérique pour Didier Verly. Il ne marque pas l’histoire religieuse du Nouveau Monde. En France même, la famille Verly s’intègre rapidement à son milieu luthérien, et ne se fait plus remarquer par aucun particularisme religieux. En revanche, elle montre de la piété et le goût d’apprendre (ce qui était au moins potentiellement un sujet de conflit avec les cousins mennonites: ceux-ci ne toléraient le savoir que limité; tout excès de connaissance était suspecté de pouvoir produire un manque de modestie, vertu obligatoire dans ce milieu). Elle a donné Sara Banzet, servante du pasteur Stouber et fondatrice des premiers « poëles à tricoter » (écoles maternelles ); Sara a laissé un journal fort bien écrit et d’une haute teneur morale (17). |