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Index Les Voyageurs de la PRINCESS AUGUSTA



DEROULEMENT GENERAL DU VOYAGE DE LA PRINCESSE AUGUSTA




Installation et problèmes d’endettement

       L’installation en Pennsylvanie paraît se faire dans des conditions plus satisfaisantes que dans d’autres colonies anglaises. Encore que... il est à noter que les migrants auront en général plusieurs installations sur le sol américain, ce qui est peut-être l’indice d’une difficulté à trouver leur place.

       Il semble qu’ils réussissent à éviter les situations d’esclavage pour dettes qui sont le sort des immigrants pauvres dans d’autres colonies.

       En tous cas, certains ont des dettes jusqu’en 1739, et, à ce moment là, c’est par voie d’annonce qu’on les menace de poursuites judiciaires:

       Pennsylvania Gazette - Philadelphia PA 19 Apr 1739: WHEREAS sundry Palatines are indebted for their Freights in the under mentioned Ships, and sundry others have given their Notes and Bonds, which have long been due; they are all desired to take Notice, that if they do any longer neglect to come and pay their respective Debts unto Benjamin SHOEMAKER, living in High-Street, Philadelphia, they may expect to be prosecuted according to Law, viz. Those in the Ship Hope, Daniel REED, Commander, Ship Samuel, Hugh PERCY, Commander, Ship Mercury, William WILLSON, Commander, Ship Princess Augusta, Samuel MARCHANT, Commander, Ship Virtuous Grace, John BULL, Commander, Ship Harle, Ralph HARLE, Commander, Ship Winter-Gally, Edward PAINTER, Commander, Ship Queen Elizabeth, Alexander HOPE, Commander, Ship Glascow,Walter STERLING, Commander, and Ship Friendship, Henry BEECH, Commander. Benjamin SHOEMAKER Philad. April, 16, 1739.

       Ce n’est certes pas très plaisant d’être ainsi menacés de poursuite, mais enfin... c’est mieux que d’être réduit en esclavage pour dettes. Quant à l’effectivité desdites poursuites, étant donné la mobilité de cette population, il est permis d’en douter... à mon avis, si le Tribunal avait su où trouver les mauvais payeurs, il n’aurait pas passé une petite annonce dans la Pennsylvania Gazette...


TROPISME SUDISTE

       J’en reviens à cette bizarre information que « l’on » a glissé dans l’oreille de Durs Thommen: les voyageurs qui ne peuvent payer leur passage trouveraient aisément quelqu’un qui les « rachètera » ( ! ! !) en échange de quelques années de travail, après quoi ils auraient le loisir de faire fortune. Thommen prend l’information avec des pincettes.

       L’information est parfaitement fausse: il n’y a semble-t-il pas d’esclavage pour dettes en Pennsylvanie. Donc, on ne voit pas bien quel ancien esclave aurait pu s’enrichir et venir le dire à Thommen... d’autant plus qu’il écrit sa lettre le 20 octobre 1736, c’est à dire un mois à peine après avoir débarqué, et qu’il ne connaît vraisemblablement pas grand monde en Pennsylvanie. Alors... qui a pu lui glisser à l’oreille que l’esclavage pour dettes, ce n’est pas si grave que ça?

       Est-ce sur le bateau qu’on lui a dit cela? Y a-t-il eu des vélléités de détourner la Princess Augusta de son but pour la faire aboutir en Géorgie ou en Caroline, comme avant elle le Billander? Mystère, mystère... ce ne serait pas impossible après tout. Regardons un instant les choses sous un jour cynique, et du point de vue des personnes à qui les voyageurs devaient de l’argent. Ces créanciers devaient maudire la législation de la Pennsylvanie et son humanisme « antiéconomique », qui les obligeait à attendre un jugement pendant des mois, à supposer que leurs débiteurs ne se doient pas dissous dans l’atmosphère. Ils devaient envier leurs homologues des colonies du Sud, qui pouvaient se rembourser facilement, en vendant le débiteur.

       La tentation de détourner sur la Géorgie ou sur la Caroline un bateau à destination de la Pennsylvanie devait être forte. Et d’ailleurs, il est assez surprenant, pour ne pas dire suspect, que des personnes qui ne peuvent payer leur passage aient pu embarquer et soient présentes sur le bateau... Car la Pensylvannia Gazette est très claire : «... Palatines are indebted for their Freights in the under mentioned Ships »: c’est donc bien sur le prix du passage que porte la dette.

       Il y a probablement à creuser de ce côté là... Un de ces jours, je ferai peut-être une recherche sur les Bandelarochois ayant débarqué dans le Sud cotonnier.

       En tous cas, il est clair que le Sud cotonnier est en relation régulière avec le Ban de la Roche et les vallées voisines dès le 18ème siècle, c’est à dire dès les premiers bateaux comme la Princess Augusta; car c’est à cette époque que l’industrie textile démarre avec vigueur, et c’est le coton qu’elle travaille.

       Ce tropisme sudiste reçoit des explications pour certaines familles: par exemple Peter Binckley gagne la Caroline avec son Eglise Morave. Mais cela n’explique pas tout.

       C’est quand même un peu décevant... partir pour chercher la liberté religieuse et se retrouver chasseur d’Indien, esclave ou propriétaire d’esclaves...





       Pour ce qui est de l’acquisition de terres, l’impression générale est que les nouveaux arrivants commençaient comme squatters, et que cela était toléré pendant une période de quelques annnées. Ensuite, les migrants devaient payer, et ils se faisaint pas mal tirer l’oreille.

       Globalement, donc, leur sort paraît relativement correct (sous toutes réserves … il faut avoir la santé pour déménager plusieurs fois, que ce soit pour fuir des créanciers ou pour trouver une terre qui satisfasse) ; en tous cas, il l’est si on le compare avec la situation « normale » du migrant pauvre, à savoir l’esclavage pour dette, quoique le terme esclavage, appliqué à des Blancs, soit évité avec pudeur.

       Les autorités anglaises ne sont pas tendres. Le vocabulaire suffit à en témoigner. Toutes les listes de passagers nous le disent : les migrants sont « imported ». Leur passage est qualifié de « freight », à savoir : fret, cargaison. Comme de la marchandise. On comprend donc qu’ils soient attentifs à arriver en Pennsylvanie, où l’influence de William Penn et de Zinzendorf leur assure un traitement relativement humaniste, plutôt que dans une autre colonie.


LE DERNIER VOYAGE DE LA PRINCESS AUGUSTA

       En 1738, tard dans l’automne, trop tard semble-t-il, la Princess Augusta quitte Rotterdam, destination Philadelphie, avec à son bord 400 « Allemands » et Suisses. Une mauvaise fièvre s’empare de l’équipage. Le capitaine en meurt, et c’est un nouveau capitaine, Andrew Brook, inexpérimenté semble-t-il, à qui échoit la tâche de mener le navire à bon port. Il est en vue de New York, et tente de naviguer entre les îles de Rhode Island, Block Island et Long Island, alors qu’une tempête de neige fait rage en ce mois de décembre. Le navire n’arrive pas à se sortir du groupe d’îles, qui fonctionne comme un piège. Il perd une planche de neuf pieds en dessous de la ligne de flottaison. L’eau s’engouffre. Il est jeté contre les rochers et commence à se briser.

       Le capitaine Brook ordonne d’abandonner le navire. Seules 115 personnes réussissent à nager jusqu’à la côte dans la tempête de neige. Dans les jours qui suivent, il y en a encore qui meurent. Seules 90 personnes peuvent quitter Block Island en vie quelques jours après.




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