OU L’ON PARLE DE QUELQUES FILS DONT L’EXTREMITE SE SITUE LOIN DU BAN DE LA ROCHE ... MAIS QUI FINIRONT PAR SE NOUER … |
WILLIAM PENN ET LA PENNSYLVANIE
Un guerrier pacifique William PENN nait le 24 octobre 1644 au foyer d’un père également prénommé William. Nous sommes là dans une des toutes premières familles d’Angleterre. Sir William le père, amiral célèbre, est un grand aristocrate et un ami du Roi. ![]() Le jeune William commence donc sa vie dans l’armée, conformément aux traditions familiales. Il en résulte un pacifisme sans faille, le pacifisme de quelqu’un qui connaît la guerre. William PENN se convertit à la religion Quaker, non-violente et sans dogme. « Six hundred miles nearer the sun … » ![]() Comme beaucoup de ses contemporains, William PENN rêve d’utopie, de gouvernement parfait, d’amélioration de la nature humaine par le progrès démocratique et politique. Mais, contrairement à beaucoup, il a les moyens de ses rêves: une fortune immense, la proximité du pouvoir politique. Il finit par convaincre le Roi de lui attribuer une terre, dans les colonies anglaises d'Amérique, afin qu'il y développe son rêve de tolérance universelle et de liberté religieuse totale, non seulement pour les Quakers mais aussi pour toutes les autres sectes. Envoyer les Quakers fonder un pays idéal au delà des mers... Why not? Ces éternels dissidents, le Roi ne sait pas qu’en faire... alors, s’ils ont envie d’aller aux colonies de leur plein gré plutôt que de s’y faire déporter, pourquoi pas, après tout? Premier avantage: ils débarrasseront l’Angleterre de leur présence. L’attitude du Roi vis à vis du rêve de Penn sera toujours ambiguë... Il accepte plus ou moins son idée dès 1671, mais il ne matérialise cet accord en termes juridiques qu’en 1681; même ainsi, PENN doit mener une guerilla bureaucratique permanente, qui l’oblige à rester à Londres alors qu’il rêve d’Amérique. Les vieilles cartes sont approximatives, les frontières sont floues, et Lord BALTIMORE, fondateur du Maryland, revendique une part importante du territoire de la Pennsylvanie. PENN doit faire en permanence le siège du Roi. Il évite ainsi, de fait, que « sa » colonie soit rayée de la carte ou fortement amputée, mais n’obtient pas pour autant, en sa faveur, une décision royale juridiquement arrêtée. Tous ces soucis font que PENN ne réussira à faire que deux brefs séjours en Amérique: de 1682 à 1684, puis de 1699 à 1701. ![]() Durant le peu d’années que passe PENN en Amérique, il déploie une énergie immense pour construire son pays idéal sur les bases pacifiques et démocratiques; chaque arpent de terre qu’il occupe a été payé aux Indiens rubis sur l’ongle; il fait organiser des élections, accorde la citoyenneté de façon très large (aux Indiens et à tous les Européens présents sur place... enfin à peu près... les Français sont quand même oubliés) et abolit presque la peine de mort (il la réserve aux cas de meurtre et de trahison). ![]() Quand Josué remplace Moïse... D’après la Bible, Moïse mena son peuple au bord de la terre promise, mais ne put y entrer. On peut presque dire la même chose de William PENN, qui ne passa en Amérique que quatre années au total. Mais il y a plus triste encore: toujours d’après la Bible, la conquête de la Terre Promise, qui se fit sous la direction de Josué et non de Moïse, fut un massacre de grande ampleur, on dirait aujourd’hui un génocide... Là encore, le parallèle fonctionne. La Terre Promise n’était pas vide, ni à Canaan ni en Amérique. D’ailleurs, une terre où coule le lait et miel a peu de chances d’être vide et d’attendre patiemment que des immigrants daignent y venir. On ne peut pas dire que la Bible ait caché cet aspect des choses, même si elle oublie un peu de condamner les massacres. Malgré la bonne volonté de William PENN, les rouages qui feront de son royaume sylvestre une utopie meurtrière sont en place dès le départ. Malgré son immense fortune, il ne peut financer entièrement son projet. Il fait appel à des marchands qui voudront rentabiliser leurs investissements. Ceux de ces marchands qui interessent le plus notre histoire sont les Allemands de la Frankfurt Land Company. Ils mettent quelques années à se décider à intervenir, le temps de voir si l’affaire peut être rentable. Ils apportent vite une réponse affirmative à cette question, la terre de Pennsylvanie étant excellente. A partir de là, les marchands mettent les moyens. Ils organisent l’immigration en grand. Ils connaissent tout endroit d’Allemagne (et lieux circonvoisins) où il y a une petite secte persécutée cherchant un refuge. Ils vont chercher ces sectes, et, au passage, ils embarquent toute personne qui veut venir: il faut bien remplir les bateaux. D’où, dès le départ, une importante immigration économique de personnes qui ne partagent en rien les idéaux pacifistes de PENN; qui n’ont pas ses scrupules vis à vis des Indiens; qui n’ont ni les moyens ni l’envie de payer la terre qu’ils occupent; et qui se posent volontiers en victimes quand ils subissent une attaque indienne sur une terre qu’ils occupent en squatters. Notre Princess Augusta nous fournit un bon exemple de ce fonctionnement. Le navire, cela semble de plus en plus clair à mesure que les recherches avancent, a été affrété à l’initiative de Durs THOMMEN et de Benedict YUCHLI, venus pour entrer au Ephrata Cloister. Ils battent le rappel autour d’eux pour remplir le bateau, mais les personnes qui entreront finalement au Cloister se limitent à eux-mêmes et leur entourage familial direct. Quelques autres, comme les CAQUELIN, rejoindront la secte jumelle des Dunkards, également pacifiste, ou les Moraves, qui le sont à moitié. Mais nombreux sont ceux qui tiendront leur place sans état d’âme dans l’élimination de ceux qui les ont précédés. Plusieurs s’installent en squatters, et probablement n’ont-ils pas les moyens de faire autrement puisqu’ils sont déjà endettés du prix du voyage... Tout cela est lourd de menaces, mais ce n’est que le début. La Frankfurt Land Company, ce n’est rien comparé à la Ohio Company, qui sera le déclencheur de toutes les guerres du siècle. La guerre est en place matériellement: nous l’avons vu. Elle est en place idéologiquement. Parmi les sectes qui s’installent, les dirigeants ont souvent une lecture intelligente de la Bible, mais plus d’un fidèle avale tout sans distinction, et accorde une crédit égal et aux Evangiles et au livre de Josué... L’Ancien Testament finit par prévaloir de fait sur le Nouveau, ne serait-ce que parce qu’il se situe au début de la Bible, cet énorme Livre qu’on lit rarement de la première ligne à la dernière même quand on en a l’intention. Dans la « spiritualité » qui se développe chez le migrant de base, il n’est question que de Moïse, du Jourdain, de la Terre promise, au détriment du Nouveau Testament, même si ce dernier prévaut en théorie chez les théologiens dont on se réclame (Menno SIMMONS, Alexander MACK) Ce qui d’ailleurs arrange bien les nouveaux venus, car c’est Moïse et Josué, plus que le Christ, qu’ils se proposent d’imiter. Le fantasme de l’utopie fonctionne aussi à plein: on rêve d’une terre vide sur laquelle on va dessiner ses projets sous la forme d’un plan en carré. Et c’est bien ce qui se passera: la conctruction de l’Amérique « anglaise » (au sens large, comprenant tous les anglophones et toutes les personnes qu’ils estiment compatibles avec eux), c’est une chose qui se voit d’abord dans le paysage: villages et villes prennent naissance d’après un plan en damier; les champs quadrillent la campagne; les pistes sont remplacées par des chemins plus larges. Toute occupation humaine qui ne se traduit pas par la production sur le sol de damiers et de carrés est réputée ne pas exister. Indiens et Français (ces derniers vivant à l’indienne) sont perçus comme des inexistances avant même d’être perçus comme des gêneurs. La cause de la paix n’a jamais eu sa chance. Pas même une seconde. Les pacifistes ne furent jamais majoritaires en Pennsylvanie. Et, si même ils avaient été assez nombreux pour prendre le pouvoir politique, c’est la Pennsylvanie elle-même qui aurait été attaquée par des colonies anglaises voisines rêvant de la rayer de la carte. |