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Index Les enfants de la PRINCESS AUGUSTA




Anabaptistes


       Les anabaptistes, on ne parle que de cela à Steffisburg, mais qu’entend-on exactement par là?

       Existe-t-il une liste au moins potentielle de familles anabaptistes? Là, ma foi, je suis bien incapable de vous répondre. Et le pasteur du village en est plus incapable encore.

       Ce n’est pas faute d’essayer... En ce moment, dans le canton de Berne, les pasteurs passent leur temps à ça: faire des listes. Liste de ceux qui assistent à la Sainte Cène... Liste de ceux qui se dispensent de venir au culte du dimanche... Mais ils sont bien incapables d’en déduire la liste indiscutable des anabaptistes de la région.

       Et d’ailleurs, à partir de quand un villageois mérite-t-il les foudres du pouvoir en tant que rebaptiseur? A partir du moment où il prêche et baptise les adultes? Ou bien suffit-il qu’il écoute des prédicateurs? Et combien de fois, mon fils? Et dans quelles circonstances? Dans une assemblée organisée ou au détour d’une conversation?

       Que faire des couples mixtes? Et comment classer ceux qui vont à la fois au culte officiel et aux réunions clandestines?

       Sans parler de ceux qui ne vont ni aux unes ni aux autres mais qui ne refusent pas, après boire, de simuler un baptême par plaisanterie. Il y en a, de ces profanateurs. Et d’ailleurs, dans les circonstances de l’époque, il faut être, à la base, un peu profanateur dans l’âme, non pour baptiser un adulte, mais pour le rebaptiser (étymologiquement, un anabaptiste, c’est un rebaptiseur). Le baptême, c’est un geste sacré et, quand il est fait, c’est une fois pour toutes. On n’y revient pas. Le baptême, une fois fait, ne peut-être ni défait ni recommencé. Rebaptiser, c’est nier ce côté très sacré, presque magique du geste baptismal, c’est le ravaler au rang de geste banal et humain. C’est un peu comme de mordre dans l’hostie ou de faire pipi dans le bénitier... C’est tout simplement sacrilège.

       D’ailleurs, en principe, on se se qualifie pas soi-même d’anabaptiste. On est appelé ainsi par les autres. Les Mennonites ont d’ailleurs toujours demandé, sans aucun succès, qu’on cesse de les appeler « anabaptistes ».

       Nous aurions donc grand tort de nous abstenir d’appeler anabaptiste une personne que nous trouvons trop éloignée de l’image que nous avons en tête, et qui correspond peu ou prou à l’image du Amish à costume sombre et grande barbe... bien au contraire... plus un paysan est éloigné de cette image de conservatisme moralisateur et patriarcal, plus il a de chances de se faire traiter, par les autorités villageoises, d’anabaptiste, c’est à dire, dans leur langage, d’énergumène, de marginal, de profanateur.


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