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Index Les enfants de la PRINCESS AUGUSTA






LA MYSTERIEUSE FAMILLE ORY/RAGUET

C’est ici le lieu de dire quelque mot de François ORY, qui entraîne avec lui plusieurs familles catholiques de Saulxures (STRASBACH, DELON, NOEL, GERARD, CHRETIEN). François ORY paraît bien avoir migré pour des motifs religieux: il devient protestant une fois en Amérique, contrairement aux autre familles catholiques qu’il entraîne. François ORY est veuf de Marie RAGUET, qui est la mère de plusieurs des enfants qui partent avec lui. Deux mots sur cette mystérieuse famille RAGUET:

Déjà, le nom nous surprend. Il ne sonne pas lorrain, ni salmois. Ce n’est pas un de ces noms à sens reconnaissable (prénom, nom de métier, nom de lieu…) si typiques de notre région où l’état civil n’est pas pleinement fixé et où les noms sont «jeunes», proches de leur origine étymologique. RAGUET, au contraire, c’est manifestement un vieux nom que l’on se transmet de bouche en bouche depuis le moyen-âge, le déformant un peu plus à chaque fois au point en bout de course de le rendre méconnaissable. Bref… j’ose à peine formuler cette hypothèse tant je crains de me tromper, mais tant pis, je saute: ne serait-ce pas un nom français (étant précisé qu’à l’époque qui nous intéresse, la Lorraine et le Salm ne sont pas la France)?

Notre région a connu une migration en provenance de la France liée aux persécutions des premiers protestants. Le registre paroissial protestant de Badonviller, mis en ligne par Bernard PIERRE (Baptêmes des Protestants du Comté de Salm et des environs 1567 - 1624: relevé disponible à cette adresse, est formel à cet égard.

Le nom de RAGUIN/REGUIN est extrêmement représenté dans ce registre. Celui de OLRY (famille de drapiers) est également très présent, mais on ne peut en tirer aucune conclusion, car c’est un nom formé sur un prénom (ULRICH/ULRY/OLRY/ORY… etc…(33)) se prêtant par trop à l’homonymie.

Et si notre François ORY avait, parmi ces ancêtres, des huguenots forts mécontents d’avoir été obligés de se convertir au catholicisme? Cela expliquerait sa rapide «conversion» au protestantisme dès son arrivée en Amérique. Hypothèse faite sous toutes réserves…. A noter qu’il est difficile de situer les ORY d’Amérique entre protestantisme et catholicisme. Certes, François ORY et son neveu Nicolas font enregistrer naissances, mariages et décès dans des paroisses protestantes, mais ce n’est pas un argument définitif, car, dans l’Amérique des débuts, on se faisait enregistrer où l’on pouvait.

Je pense quand même que François ORY était bien protestant, car il ne rejoint pas les implantations catholiques de Pigeon Hill et de Pleasant Valley (future Buchanan Valley) organisées autour des Jésuites. Quant à Nicolas, il se dit catholique dans son testament bien qu’il fréquente lui aussi à l’occasion des églises protestantes.

A propos de la famille ORY/OLRY, j’ai eu de longs et fructueux échanges avec Pierre BALLIET, qui est très compétent en matière de généalogie protestante en général, et de généalogie franco-américaine en particulier. Il est ressort que nous avons l’un et l’autre relevé la fréquence frappante du nom, sous diverses variantes, dans l’ Amérique des premiers jours. Nous avons l’un et l’autre remarqué le foisonnement du nom au registre protestant de Badonviller, mis en ligne par Bernard Pierre. Et Pierre BALLIET me signale en outre l’importance d’un certain Jean OLRY, protestant de Metz, qui écrivit en 1690 un texte intitulé La persécution de l’Eglise de Metz. Ce texte est une des sources primaires principales utilisées par tous les historiens qui s’intéressent à la communauté protestante de Lorraine(34); ce Jean OLRY connaissait fort bien le chemin de l’Amérique, pour avoir été un temps déporté aux îles (il en revint).

Bref, tous les indices convergent pour nous montrer l’importance du nom tant dans l’histoire du protestantisme lorrain que dans l’histoire des premiers temps de l’Amérique… mais de là à relier entre eux tous les ORY/OLRY/ et variantes que l’on trouve, et à affirmer qu’ils sont liées aux «nôtres», il y a de la marge et celle-ci ne sera vraisemblablement jamais comblée étant donné le temps écoulé et la rupture géographique et linguistique.

Pierre BALLIET a trouvé plusieurs ORY immigrés vers l’Amérique, à savoir:

Nom
Prénom
Navire
Année
URY/URICH; de Hassloch,
Palatinat
Stoffel (Christophe)
Winter Galley
1738
UHRIG
Johann Christoph
Neptune
1754
OHRICH/OREE
Frances/François
Princess Augusta
1736
UHRICH
Hans Jörg
Saint Andrew
1751
ORICH
Heinrich
Adventure
1754
UHRIG
Jörg Peter
Patience
1749
OHRICH/OREE
Nicolaus
Princess Augusta
1736
ORIE
Jacob
Patience
1748
UHRICH
Johannes
Samuel
1732
OHRIG
Johann Michael
Hampshire
1748
URY, venant de
Kleinn iedesheim, Palatinat
Valentin
Neptune
1752

Les bateaux de l’Enfer

(reconstitution faite d’après la lettre de Durs THOMMEN)

Nos voyageurs se dirigent vers le Rhin. Ils le descendront jusqu’à Mannheim, le grand carrefour fluvial, puis jusqu’à Rotterdam. Tous n’y arriveront pas. Une épidémie de variole décime le groupe durant le voyage sur le Rhin, qui ne s’interrompt pas pour autant. Il y a bien plus de morts sur le fleuve(35) que durant le voyage en mer, mais l’histoire ne les connaît pas car c’était avant que le capitaine MERCHANT dresse la liste des passagers(36) de la Princess Augusta.

J’imagine ce spectacle hallucinant: un train de navires maudits descendant le fleuve; des mourants défigurés par les pustules de la maladie; des passagers préservés redoutant la contagion, mais ne voulant ou ne pouvant accoster. Durs THOMMEN compte les morts sur son bateau: il y en a dix-neuf! Il hèle le bateau voisin pour s’enquérir de la situation de ses occupants et ignore ce qui se passe sur ceux des bateaux qui sont hors de sa vue…

Malades ou pas, il faut absolument arriver à Rotterdam le plus tôt possible, car il faut aussi arriver à Philadelphie avant l’hiver et si possible avant l’automne, sans quoi la traversée de l’Atlantique serait trop dangereuse (voir page suivante).

Ceux qui arriveront à bon port écriront… on le sait, car certains de leurs cousins les rejoindront au bout de peu d’années… et d’autres au bout d’un siècle et plus…

Mais ceci est une autre histoire…




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