Les Livres Virtuels
Index Les enfants de la PRINCESS AUGUSTA




CONRAD BEISSEL ET LE EPHRATA CLOISTER EN QUELQUES DATES

(pour une visite virtuelle du Cloister: http://www.ephratacloister.org/index.html; peut-être d’ailleurs vaudrait-il mieux dire Kloster, car on y parlait allemand)

1691: naissance de Conrad BEISSEL, à Eberbach, sur la rivière Neckar

1710/1711: BEISSEL voyage de ville en ville pour son apprentissage de boulanger; en particulier, il connaît bien Mannheim et Heidelberg, où il fréquente des sociétés secrètes de mystiques et de piétistes; les succès féminins de ce beau garçon l’obligent parfois, sous la pression de maris peu compréhensifs, à quitter une ville en urgence; BEISSEL se convainc (sincèrement, mais oui, mais oui) des vertus du célibat (le vrai, associé à la chasteté) et de l’ascétisme pour réussir la transformation complète et le développement des pouvoirs latents qu’il attend de sa démarche spirituelle

1720: arrivée de BEISSEL en Amérique; il espérait rejoindre la secte ésotérique de KELPIUS (bizarrement nommée «Woman in the Wilderness», dont il ignorait la disparition;

1721: BEISSEL construit sa première cabane sur la rivière Conestoga (à l’emplacement de ce qui deviendra Cocalico); il y vit avec un compagnon et enseigne les enfants des immigrés allemands

1723/24: arrivée en Amérique des Dunkards; relations complexes entre eux et BEISSEL, qui en reste suffisamment proche pour y recruter des disciples, mais aussi suffisamment éloigné; dès qu’il lui semble que son indépendance est menacée, il éprouve le besoin de vivre en ermite… Parmi les Dunkards qui passeront au Ephrata Cloister, on note Alexander MACK junior; les frères ECKERLING, qui disputeront le pouvoir à BEISSEL, l’épouse de Christopher SAUER; et les sœurs Anna et Maria EICHER, dont la cadette, Maria, sera la prieure des Vierges Spirituelles, ou Roses de Saron, c’est à dire la fraternité féminine du Cloister

1729: naissance officielle de Cocalico Township.

1732: BEISSEL va vivre en ermite en un lieu que les Indiens appellent le trou du serpent (nom qui donnera plus tard Cocalico); des disciples viendront le rejoindre; les cabanes deviennent peu à peu des bâtiments conventuels, c’est le début tout à la fois du Ephrata Cloister et du village de Cocalico; la rupture officielle avec l’Eglise Dunkard intervient sur deux points; d’une part l’importance que BEISSEL attache au célibat; et d’autre part le respect du Sabbat; BEISSEL trouve vital de célébrer le sabbat le samedi et non le Dimanche… Certes, c’est dans la Bible… Mais on est quand même surpris de cet accès de fondamentalisme chez cet homme qui privilégie largement son expérience perso; en fait, BEISSEL veut être son propre chef, et tout prétexte est bon pour rompre avec les Dunkards; rupture qui n’est d’ailleurs jamais assez totale pour l’empêcher de recruter chez les disciples de MACK… Les deux sectes resteront jumelles, pas seulement à cause de l’opportunisme de BEISSEL, mais aussi en raison des liens d’amitié; il importe de garder à l’esprit que, malgré son désir d’être le chef, BEISSEL est, à bien des égards, une personnalité estimable

1734: entrée au Cloister des frères ECKERLING; construction d’un four à pain commun et d’un magasin pour les pauvres; la vie économique s’organise sur un mode communautaire

1735: décès d’Alexander MACK, chef des Dunkards; BEISSEL assiste aux funérailles et y montre un chagrin sincère… Si sincère que, touchés, certains disciples de MACK, orphelins de leur chef, entrent au Ephrata Cloister

1735: entrée au Cloister de Peter MILLER, un pasteur réformé qui succèdera à BEISSEL à la tête du monastère; cette défection est un grave coup dur pour l’Eglise réformée locale; d’une façon générale, les Eglises classiques (luthériens et réformés) manquent de pasteurs, car ce sont les sectes qui organisent les voyages en Amérique; en revanche, les fidèles ne manqueraient pas

1736: la communauté prend le nom d’Ephrata (synonyme de Bethléem dans la Bible)

1736: visite de responsables de l’Eglise Morave, qui cherchent à fusionner; résistance du Cloister, qui tient à son indépendance

1736: arrivée de la Princess Augusta, avec à bord Durs THOMMEN et Benedict YOUCHLI; notre navire a l’honneur d’être connu des chroniques du Cloister, qui mentionnent que THOMMEN et YUCHLI viennent directement au Cloister, lequel semble bien avoir été le but de leur voyage; le lecteur moderne en est un peu surpris, car le Cloister était à peine en cours de formation; l’information a circulé vite…; cependant, THOMMEN et YOUCHLI ne réussirent pas à recruter pour le Cloister au delà de leur famille proche; malgré tout (si l’on tient compte du fait que la famille THOMMEN est nombreuse), la Princess Augusta amène un recrutement important par rapport aux effectifs du Cloister, qui ne furent jamais gigantesques; cela fait le deuxième «grand» recrutement après celui de 1735 dû à la mort d’Alexander MACK; il n’y en aura pas d’autres

Vue d'artise du Ephrata Cloister

1735/36 et après: les cabanes cèdent peu à peu la place à des bâtiments conventuels méritant le nom de cloître; le processus de construction des bâtiments est complexe; on construit, on détruit, on reconstruit; d’une façon générale, les Frères (ce raisonnement ne s’applique pas aux Sœurs) ne montrent guère d’enthousiasme à voir s’édifier ce qui finira par ressembler à un monastère; ils craignent (à juste titre) d’y perdre de l’autonomie et préfèrent vivre dans des petites cabanes; le cloître finit quand même par se construire; la vie s’organise autour de trois communautés (hommes célibataires, femmes célibataires, familles); le travail est communautaire et la propriété privée rejetée; l’ascétisme est de rigueur (en fait, frères et sœurs sont affamés et efflanqués); une communauté de familles existe à côté des communautés de célibataires masculins et féminins, mais ses membres sont un peu considérés comme faisant les choses à moitié; les pratiques mystiques sont rigoureuses; les légendes se développent; on parle d’une empreinte de pied qu’un frère aurait laissée au plafond du cloître (en fait, l’empreinte avait été laissée lors de la construction du bâtiment, avant que la poutre en question ait été installée au plafond); tout ceci ne doit pas faire oublier la simple et grande charité des frères, qui explique qu’un village (Cocalico) se développe bientôt autour du cloître; même avant que le Cloister connaisse la réussite économique dont nous allons parler, BEISSEL s’estima toujours assez riche pour construire des cabanes en rondins pour les nouveaux immigrés, et pour leur fabriquer du pain; il n’a pas oublié son métier d’ancien boulanger; les fours à pain sont un des éléments qui comptent au Ephrata Cloister

1738: financé par Benedict YUCHLI, le bâtiment appelé Sion sort de terre; c’est le lieu des activités de la mystérieuse Fraternité de Sion, qui semble avoir eu une certaine indépendance à l’intérieur du Cloister; sous la direction de ECKERLING, on y trouve en particulier des EICHER et Benedict YUCHLI; l’occultisme semble y être poussé encore plus loin que le rosicrucianisne de BEISSEL, lequel paraît ne pas tout savoir de ces cérémonies; on parle même de pratiques initiatiques dangereuses, d’élixir, de matéria prima, de cérémonies secrètes datant du temps de Pharaons…; en tous cas, Benedict YUCHLI paraît assez vite avoir fait le tour de ce qui lui est proposé, et ne pas prendre au pied de la lettre ces sémantiques extraordinaires; les vieilles Chroniques nous le présentent relatant avec fierté la ruse qu’il utilisa pour sortir: il fit croire qu’il avait encore de la fortune en Suisse et qu’il voulait aller la chercher pour la donner à la collectivité; cet épisode se produit sans doute peu de temps après les débuts de la Fraternité de Sion, puisque YUCHLI meurt à Philadelphie en 1741

1737: le Cloister ressemble maintenant vraiment à un monastère, malgré la résistance qu’y a mis la communauté masculine; l’habit est inspiré de celui des Capucins; on vit dans des bâtiments de type conventuel

1739: début des activités éducatives sous la responsabilité de frère OBED; le Cloister sert d’école de village, mais bien plus que ça, puisque les élèves viennent même de Philadelphie et de Baltimore; on peut même y étudier le latin

1740 - 1745 (environ): Israel ECKERLING, un ancien Dunkard, est nommé Prieur, c’est à dire qu’il a en charge la vie matérielle; il y réussit, au point de presque transformer le Cloister en entreprise commerciale; c’est une dure période pour le Cloister; la fratrie ECKERLING cherche a prendre le pouvoir, si bien que le Cloister se divise en clans: pour les ECKERLIN ou pour BEISSEL; ce dernier perd même un temps le pouvoir; s’ajoute des difficultés avec Christopher SAUER, l’imprimeur de Germantown: son épouse l’avait abandonné pour devenir une des Vierges Spirituelles (elle lui revient en 1744); finalement, plusieurs membres quittent le Cloister, souvent des personnes qui ont été des Dunkards: les ECKERLING, Alexander MACK junior

1741: mort de Benedict YUCHLI à Philadelphie

1745: le Cloister a sa propre imprimerie

1748 - 1751: à la demande de Mennonites, le Cloister entreprend la traduction et l’édition du Martyrenspiegel; il s’agit d’un ouvrage de dimensions considérables: 1514 pages à traduire, relire, composer, imprimer, relier, avec le peu de moyens qui existaient à l’époque


MODE DE VIE DU CLOISTER

Il y a trois communautés: les Frères, les sœurs et les couples mariés, mais le célibat est préféré; frères et sœurs vivent séparément; l’ascétisme est strict; la nourriture est strictement végétarienne et peu abondante; bavarder, rire, siffler, attire des froncements de sourcils; le temps de sommeil est bref; la nuit est entrecoupée d’offices;

Le travail est à l’honneur et même, au temps des ECKERLING, le Cloister ressemble à une entreprise: papeterie, imprimerie, verger, moulin, fabrication de fleurs en papiers, calligraphie, poterie, vannerie, enseignement…; non seulement le Cloister est totalement autonome au plan matériel, mais en plus il pratique largement la charité et sert d’élément structurant à la contrée; en peu d’années, autour de lui, les villages d’Ephrata et de Cocalico prennent de l’importance; comme les frères et sœurs ne sont pas payés et peu nourris, l’entreprise est rentable, mais le profit n’est pas privatisé; c’est ce que, dans l’Amérique des premiers jours, on appelle le «Communalism», à ne pas confondre avec le communisme de Karl MARX; la révolte des frères et même des sœurs contre ce régime fera beaucoup pour la défaite des ECKERLING et permettra à BEISSEL de reprendre le pouvoir qu’il avait perdu un temps

L’activité éditoriale est importante; le monumental Martyrenspiegel en est la pièce maîtresse, mais les presses du Cloister, qui fonctionnent en permanence, produisent aussi des recueils d’hymnes, des livres de piété et des Chroniques, par lesquelles la vie de Cloister est bien connue… Peut être même un peu trop dans le détail, car chaque petite dispute a laissé un récit en archives, ce qui fait qu’on a parfois tendance à voir la vie du Cloister par le petit bout de la lorgnette, oubliant ce que le Cloister avait d’estimable; n’oublions pas non plus que le Cloister publie des textes contre l’esclavage; il est une des rares Eglises à être sans ambiguïté sur ce point

La musique est à l’honneur. Il paraît que les chants du Cloister sont tout simplement divins.

Frères et sœurs impressionnent fort le voisinage par leur aspect: des êtres efflanqués, vêtus en moines catholiques, marchant en silence à la queue le leu de jour comme de nuit; on parle de leurs pratiques occultistes et de leurs supposés pouvoirs magiques; on parle d’une empreinte de pied qu’un frère aurait laissée au plafond comme s’il volait (en fait l’empreinte de pied a été faite lors de la construction de la pièce, avant que la planche en question soit fixée au plafond)

La communauté féminine, dirigée par Mother Maria EICHER, conserve son indépendance par rapport à la communauté masculine; BEISSEL la soutient de toute son énergie; d’une façon générale, et sans qu’il s’agisse de «se constituer un harem», il préfère nettement fréquenter les sœurs, qui sont autant d’admiratrices, plutôt que les frères, qui lui disputent volontiers le pouvoir.

L’école du Cloister est réputée. Les meilleures familles y envoient leurs enfants. On y vient de Philadelphie et même de Baltimore.

Le Cloister a de nombreux amis très estimables: des descendants de William PENN, Benjamin FRANKLIN (un fidèle ami du Cloister). Le Cloister est connu jusqu’en Europe; VOLTAIRE en fait l’éloge dans son Dictionnaire philosophique: parmi les visiteurs qui l’honorent de leur présente: Thomas PENN et Lady Juliane, le gouverneur William DENNY, le Comte de ZINZENDORF, David RITTENHOUSE, le Duc de LA ROCHEFOUCAULT-LIANCOURT, et j’en oublie…

En même temps, dans le voisinage, les critiques vont bon train, surtout quand une brave épouse et mère décide d’abandonner sa famille pour rejoindre les rangs des Vierges Spirituelles; on voudrait bien pouvoir accuser BEISSEL de se constituer un harem, mais c’est impossible, car son attitude est sans ambiguïté; à demi-mot, on l’accuse de sorcellerie, surtout quand on est allé le voir pour protester et qu’on est reparti sous le charme


1755-1763: les troubles de la Guerre de Sept Ans affectent gravement la population de la région; des familles sont chassées de leurs fermes par les attaques indiennes; le Cloister manifeste à cette occasion une charité sans faille

1768: décès de BEISSEL; il est remplacé à la tête du Cloister par Peter MILLER (1710-1796); ce dernier est un ancien pasteur réformé, diplômé de l’université de Heidelberg; il lui manque le charisme de BEISSEL, mais il a une formation théologique solide et un équilibre personnel; la vie économique du Cloister trouve un point d’équilibre qui n’est ni l’indifférence à la BEISSEL pour les questions matérielles, ni le mercantilisme à la ECKERLING ; malgré cela, le Cloister est passé de mode et va vers sa fin

1777: c’est la guerre révolutionnaire; le Colonel Baltram GALBRAITH, muni d’un ordre de réquisition pour du papier, entre en vociférant; ne trouvant pas de papier à la papeterie, il se rend à l’imprimerie et s’empare d’exemplaires imprimés, mais non reliés, du Martyrenspiegel (Martyr’s mirror); les soldats en feront des étuis qu’ils rempliront de poudre pour en faire des cartouches;

le quartier général de Washington à la bataille de Brandywine (maison du fermier quaker Benjamin RING)

il paraît qu’à la bataille de Brandywine, on recevait des cartouches avec le texte du Martyrenspiegel dessus…; d’une façon générale, les relations avec les autorités révolutionnaires sont ambiguës; la non-violence du Cloister est peu appréciée; celui-ci fait valoir qu’il a traduit la déclaration des Droits de l’Homme en plusieurs langues, mais il ne semble pas que ce travail ait été imprimé

11 septembre 1777: bataille de Brandywine;

Bataille de Brandywine. La maison du fermier quaker Gideon GILPIN, où logeait Lafayette. Pris sur ce site: http://www.ushistory.org/brandywine/lafayette.htm

portrait de Lafayette jeune

Cette bataille de la Guerre Révolutionnaire est une grave défaite pour les troupes américaines; les blessés affluent au Cloister, qui est pourtant à 70 miles (une centaine de kilomètres) du champ de bataille; ils n’ont pas d’hôpital plus près et ils arrivent comme ils peuvent, en charrette ou à pied pour ceux qui peuvent marcher; c’est une marche pitoyable qui approche; le Cloister se transforme en hôpital pour les accueillir; les maladies contagieuses s’ajoutent aux blessures; la contagion frappe soignants et soignés, si bien que leur charité coûte la vie à ne nombreuses sœurs et à quelques frères, dont le dévouement ne faiblit pas pour autant; dans l’affolement, on ne pense pas à relever les noms, si bien que les soldats qui meurent sont enterrés dans un fosse commune avec cette simple épitaphe: «Hier ruhen die Gebeine von viel Soldaten» («Ici reposent les restes de nombreux soldats»)

1777 - : le Cloister commence à décliner; la vie conventuelle n’est plus à la mode; les grandes personnalités sont mortes; les rangs des religieux, jamais très fournis, ont été éclaircis par la contagion lorsque le Cloister était transformé en hôpital; les critiques du voisinage sont permanentes

1850 - : le Cloister se compose de bâtiments plus ou moins inoccupés, qui tombent en ruines, et dans lesquels quelques frères et sœurs survivent parce qu’ils n’ont pas ailleurs où aller; cependant, autour de lui et grâce à lui, les villages de Cocalico et d’Ephrata se sont développés et comportent une population importante

aujourd’hui: le Cloister a été restauré et transformé en musée


page suivante