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Index Les enfants de la PRINCESS AUGUSTA




Guerres et insécurité

       L’insécurité dans la région est redoutable.

       Nous y avons d’abord des guerres entre la France et l’Angleterre (Guerre de Sept Ans, 1755-1763); puis, en 1773, la Dunmore’s War, qui oppose la Virginie et la Pennsylvanie; puis la Révolution Américaine.

       Outre les guerres, il faut compter avec les attaques indiennes, car les fermiers ne sont pas installés sur des terres achetées légalement.

       Parmi les assaillants possibles, il y a aussi des Blancs, d’autant plus redoutables que, contrairement aux Indiens, ils connaissent le mode de fonctionnement des fermiers blancs et leurs points faibles. Pour un hors-la-loi blanc, l’association avec des Indiens est particulièrement profitable car, lors du partage du butin, ces derniers s’intéressent aux couvertures, aux vêtements, à la rigueur à l’alcool et aux fusils, mais ils délaissent l’or.

       L’un des brigands les plus redoutés se nomme GIRTY. L’anecdote suivante donne une idée de sa cruauté:

       L’un des premiers juges de la région, le colonel William CRAWFORD, fut capturé par un groupe d’Indiens auquel GIRTY était associé. Il fut atrocement torturé: on commença par lui couper le nez et les oreilles, puis on s’installa sur un bûcher pour le faire cuire à petit feu. La malheureux CRAWFORD suppliait qu’on l’achève. GIRTY lui répondit: «Je ne peux pas, je n’ai pas de fusil» ; il disait cela en jouant avec un fusil et en rigolant.

       L’on raconte, mais il semble que ce soit une légende, que ce GIRTY faisait partie des assaillants de Fort Hannna’s Town lors de l’attaque de 1782, attaque dans laquelle Eve ORY s’illustra.

Les différentes sortes de fortifications

       La région compte plusieurs sortes de fortifications.

       Tout d’abord, les forts construits dans les règles de l’art par les ingénieurs militaires, comme Fort Duquesne avant sa destruction et son remplacement par Fort Pitt. L’autre grand fort de la région est Fort Ligonier, construit par les Anglais comme son nom ne l’indique pas.

       D’autres forts, comme Fort Hanna’s town, sont plus improvisés. Ils se composent essentiellement d’une palissade en rondins («stockade»); à l’intérieur, dans le meilleur des cas, quelques maisons-fortes («block-houses»): il s’agit de constructions en rondins de forme très cubique, d’où leur nom; elles comportent peu d’ouvertures et peuvent elles aussi tenir lieu de mini-fortifications si la palissade a été prise.

       Fort Hanna’s town consiste à l’origine en une maison forte en rondins de deux pièces, avec une seule porte et sans fenêtres. La seule lumière provient des trous, situés à l’étage, par lesquels on passe le bout du fusil pour tirer. Plus tard, le fort se voit renforcer d’une palissade; sa hauteur est légèrement inférieure à celle du toit de la maison-forte, si bien qu’on peut tirer des toits vers l’extérieur au dessus de la palissade. D’autres travaux sont faits au fil des ans. En 1776; le fort n’enorgueillit d’une «store-house» dans laquelle les réfugiés peuvent entreposer les biens qu’il ont pu emmener avec eux dans leur fuite.

       On a remarqué que nous avons deux éléments principaux: la palissade et la, ou les maisons-fortes. Au Moyen Age, on aurait eu le rempart et le donjon.

       Dans la campagne, on trouve de nombreuses maisons-fortes sans palissades, que l’on appelle «block-houses», «stations», ou même «forts», ce dernier mot étant quand même quelque peu surdimensionné par rapport à la chose qu’il désigne.

       La plus connue, environ trois miles (cinq kilomètres) au sud ouest de Hanna’s town, est la Miller’s blockhouse, alias Miller’s station, alias Miller’s fort, appartenant à Samuel MILLER, capitaine et fermier, qui y accueille volontiers ses voisins en cas de chaude affaire.

       Les block houses de particuliers, et même les forts improvisés comme celui de Hanna’s Town, ne peuvent permettre qu’une résistance de quelques heures ou de quelques jours. Il s’agit surtout de pouvoir attendre un secours de l’extérieur.

       Toutes ces données seront importantes pour comprendre les événements de Fort Hanna’s Town, dans lesquels s’illustrera Eve ORY.

Hanna’s Town durant la Révolution américaine

       Hanna’s Town s’enorgueillit d’avoir, malgré sa petite taille, fourni plus de soldats à la Révolution que la capitale Philadelphie (cette dernière comptant de nombreux membres de sectes non violentes, ainsi que des notables partisans de l’Angleterre).

       Tout se conjugue pour faire, des habitants de la région, des piliers de la Révolution.

       Tout d’abord, leur loyalisme vis à vis de l’Angleterre est faible; peu sont vraiment Anglais; ils sont souvent soit «Scotch-Irish» (écossais ayant transité par l’Irlande) soit «Pennadutch» (allemands ou supposés tels, comme nos Alsaciens)

       De plus, la Dunmore’s War a secoué la région et a même été à l’origine de la construction de Fort Hanna’s Town. Il s’agit d’une affaire complexe dans laquelle des notables de Virginie (dont George Washington) essaient de s’approprier des terres au détriment des Indiens mais aussi de la Pennsylvanie. L’affaire est très embrouillée. Les Virginiens reprochent aux Pennsylvaniens de s’emparer indûment de terres indiennes, mais en réalité, ces terres, ils les convoitent eux mêmes. Toujours est-il que ce reproche d’appropriation injustifiée donne aux Pennsylvaniens l’impression d’entendre un discours anglais. C’est donc sur l’Angleterre que retombe l’impopularité de la guerre.

       Enfin, il y avait le fait que les autorités anglaises n’allaient, aux yeux des colons, pas assez vite pour s’approprier les terres de l’ouest; qu’elles ne les défendaient pas assez contre les Indiens; ou qu’elles leur demandaient trop d’impôts pour leur «défense» (en fait pour leur politique d’expansion agressive).

       Tout ceci fait que, le 16 mai 1775, nous avons une grande réunion de la population d’Hanna’s Town. On y proclame les Hanna’s Town Resolutions, un texte précurseur de la Déclaration des Droits de l’Homme, qui aurait mérité la même célébrité, et sans doute même plus puisqu’il l’a précédée.

La bataille de Fort Hanna’s Town

       Juillet 1782. La Guerre d’Indépendance dure depuis plusieurs années, et l’insécurité est chose permanente, surtout dans notre région de squatters. Ceux qui ont encore quelques racines plus à l’est y sont partis. Ne restent que deux petites communautés, l’une autour de Fort Pitt, l’autre autour de Hanna’s Town. Les exigences de la défense commandent. Les fermes qui restent debout sont toutes fortifiées à un degré ou à un autre. Les moissons se font en commun et sous surveillance des habitants armés. En revanche, les miliciens censés assurer la défense du fort sont partis, las de ne pas être payés, et l’on n’ a même pas le cœur de leur en vouloir, car tous ont pu constater qu’ils étaient vraiment en haillons au moment de partir.

       Donc, en ce samedi 13 juillet 1782, la collectivité est en train de moissonner le champ du capitaine Michael Huffnagel. Huffnagel, en plus d’être fermier et capitaine, est aussi le greffier du tribunal. On travaille à la faucille, courbé la plupart du temps, mais on se redresse de temps à autre pour voir s’il n’y a pas de menace.

       Et l’on fait bien de s’en assurer: tout à coup, l’un des moissonneurs aperçoit des Indiens cachés dans un bosquet.

       Course folle jusqu’à Hanna’s Town (la ville, pas le fort); on prend les précieux registres du tribunal, Huffnagel y tient (qu’il soit remercié: c’est grâce à lui que nous avons pu relater les anecdotes judiciaires figurant plus haut); on libère les prisonniers; on prévient ceux que l’on peut; femmes, enfants et vieillards se précipitent vers le fort; les hommes s’en abstiennent souvent, sachant que les possibilités de défense du petit fort à palissade sont faibles; tout ce qu’on peut attendre de lui, c’est qu’il tienne à peu près une journée, le temps qu’on vienne le secourir de l’extérieur.

       Les Indiens envahissent la contrée. Il s’agit principalement de Senecas commandés par le chef Guyasuta, connu pour sa cruauté. Il y a des Blancs avec eux, probablement des Anglais, mais on ne les a pas identifiés avec certitude.

       La ville de Hanna’s Town est entièrement brûlée. Heureusement, le vent soufflant dans le bon sens, les flammes n’atteignent pas le fort.

       La petite fortification secondaire nommées Miller’s station est prise au prix de beaucoup de morts et de prisonniers; par malchance, il y avait là une noce lors de l’attaque, d’où le nombre important des personnes présentes lors de l’attaque.

       Les hommes valides battent la campagne, essayant de secourir les défenseurs de Fort Hanna’s Town, que l’on pourrait tout aussi bien appeler ses prisonniers. Parmi eux, le capitaine Wendel OURRY, j’ignore s’il est «à nous».

       Dans le fort, donc, nous avons une soixantaine de personnes, principalement des femmes, des enfants et des vieillards. L’armement: neuf fusils de réforme, ou bien treize, les sources divergent et ce point n’est pas tranché. Pour les munitions, comme nous le savons par son témoignage, nous avons les balles que fabrique Eve ORY en fondant tout ce qu’elle peut trouver comme objets en étain.

       L’après-midi, le fort subit une perte: il s’agit de la jeune Margaret Shaw, quatorze ans. C’est l’autre héroïne de Fort Hanna’s Town. Voyant que des enfants se sont imprudemment approchés d’un endroit où ils sont à portée de balles, elle se précipite et en prend un dans ses bras pour le mettre à l’abri. Mais c’est elle qui reçoit une balle. Elle mettra quinze jours à mourir. Les derniers temps, elle ressemblait à un squelette.

       Le fort tient bon toute la journée et toute la nuit. Dans le noir, on voit brûler la ville et les Indiens danser dans les flammes.

       Le lendemain, soit le dimanche, les Indiens ne renouvellent pas leur attaque.

       Ce n’est que le lundi qu’arrivent une force de secours d’une certaine importance: soixante hommes des frontières.

       Hanna’s Town, ou ce qu’il en reste, est libérée mais elle ne retrouvera jamais son rôle politique


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