table des matières, tome 1
LE DIEU DES HAUTES PIERRES


       C'était il y a très très longtemps, bien avant que l'arrière grand-mère du Kristkind soit allée chercher sa grand-mère au Rocher des Poupons de Bethléem.

       Il y avait déjà des hautes pierres dans la région du Ban de la Roche. Certaines étaient hautes au sens figuré, parce qu'elles étaient habitées par des dieux. Et d'autres étaient hautes au sens propre parce qu'elles avaient été dressées. C'étaient des menhirs, comme la Bonne Pierre de Haymonrupt dont tu peux voir la photo dans le numéro 185 du journal L'Essor.

       Et là, les choses deviennent très mystérieuses, car qui dit pierre dressée dit des hommes pour la dresser. Ce qui veut dire qu'il y avait des hommes dans la région au temps des mégalithes. Ce qui est très surprenant, car à l'époque, la terre était bien moins peuplée que maintenant. Les hommes n'allaient pas s'installer dans les mauvaises terres, rien ne les y obligeait.

       Alors, qu'est-ce qui a attiré les hommes dans la région à l'époque préhistorique ? Pas les possibilités agricoles à coup sur ! Etaient-ce déjà les richesses minières ?

       Bon, je cesse de m'aventurer sur le terrain humain, car on ne peut faire, pour ces hautes époques, que des hypothèses. Mieux vaut nous borner aux faits bien solides, et nous contenter de parler des Dieux, et plus précisément du Dieu des Hautes Pierres.

       Tout ce qui est bon dans la vallée de la Bruche vient des pierres. Ce serait trop long de toutes les citer. Il y a, bien sur, le Rocher des Poupons à Belmont. La Bonne Pierre, à Vaquenoux. La Haute Pierre au dessus de Moyenmoutier. La Roche Mère Henri au dessus de Senones. Plus celles dont on a cru devoir mutiler le nom, remplaçant le mot "Haute" par des bizarreries du genre "Chaude" ou Chatte" : les Chaudes Roches au dessus de Raon sur Plaine ; la Chatte Pendue au dessus de Salm ; les Pierres-Chattes au Ban de la Roche (on les connaît indirectement par l'esprit qui leur est associé, le Diadelé des Pierres-Chattes).

       Cette déformation du mot "haute" est d'origine "savante" (si l'on peut dire), en tout cas écrite : les transformations du mot s'observent de manuscrit en manuscrit ; elles n'ont rien à voir avec du patois. Si "haute" se disait "chatte" en patois welsche, cela se saurait. J'estime, pour ma part, que cette déformation ridicule et sacrilège provient de l'époque où l'Eglise pourchassait les anciens dieux. Je continuerai donc de parler de Hautes Pierres et non de Pierres-Chattes, car je ne les ai jamais entendues miauler ; de même, je parlerai, bien respectueusement, comme il convient, du Dieu des Hautes Pierres et non du Diadelé des Pierres Chattes, car un Diadelé, c'est un Diable. Or, nul n'a réussi, pas même au temps des procès de sorcellerie, à trouver quelque élément que ce soit, même calomnieux, même déformé, pour imputer la moindre méchanceté à ce prétendu diable.

       Comme je l'ai dit, tout ce qui est bon vient des pierres. Elles abritent les enfants avant leur naissance. Et il faut croire qu'ils ne sont pas trop maltraités dans leur monde souterrain, puique, en collant l'oreille au Rocher des Poupons de Belmont, on les entend rire. Quand une femme veut un enfant, c'est là qu'elle va le chercher.

       Plus tard, les pierres donneront à cet enfant de quoi vivre, puisqu'elles recèlent des métaux, sutout du fer mais également un peu de cuivre et d'argent.

       Elles le protègeront contre les invasions : la région dont nous parlons est protégée par le Château de la Roche à Bellefosse

       Quand il mourra, elles lui fourniront une demeure en un lieu souterrain que l'on aucune raison d'imaginer déplaisant ou voué au diable. Bien au contraire. Il vivra dans un paysage de sources (on les entend golotter, toujours en collant son oreille à la pierre) et continuera d'aller à l'église où l'appelera le son merveilleusement cristallin de la cloche d'argent de Belmont.

       La seule chose que l'on peut reprocher aux divinités des pierres, c'est de parfois maltraiter les femmes. Mais il y a une explication. Comme chacun sait, un accouchement peut mal se passer, la femme peut être blessée ou au moins fatiguée. Pour expliquer aux enfants que leur mère devait garder le lit, on leur racontait parfois que la vieille femme de la pierre l'avait battue pour l'empêcher de s'emparer de l'un des enfants confiés à sa garde.

       Cette explication parle donc toute seule : la brutalité dont les pierres sont accusées dans ce contexte relève d'une simple fiafe pour enfant. Aucun adulte n'a jamais cru que les parturientes aient vraiment été maltraitées par une divinité des pierres.



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