La fois là, au temps des païens, un oiseau d'une beauté surnaturelle se posa un jour sur un chêne, à l'endroit où se trouve aujourd'hui la moté de Belmont.
Puis, les religions se succédèrent, et la montagne sacrée s'adapta à chacune avec l'indifférence des dieux, qui savent qu'ils survivront à toutes les institutions humaines. Avec le protestantisme, l'oiseau fut assimilé à la colombe du Saint-Esprit, et le pèlerinage prit la forme de réunions à Belmont de tout le Ban de la Roche à l'occasion de la Pentecôte, qui était splendidement fêtée. Pourquoi pas ? Et jusques à quand ? L'histoire du sanctuaire aux temps anciens est mystérieuse. Les choses et le sol en disent un peu plus que les textes, mais ils ne sont malgré tout guère trollahs. L'église de Belmont a des indices romans : signe de son ancienneté. Lors de travaux, l'on exhuma des squelettes dans le chœur, tournés vers l'orient, mais c'était avant la haute archéologie, aussi est-il impossible d'en dire plus. Le site est moins isolé qu'il semble l'être : il est relié à l'extérieur par de nombreux rains. Les gens d'autrefois en trouvaient toujours le chemin, pour son malheur en temps de guerre, alors que d'autres villages comme Bellefosse étaient comme naturellement moussés. D'une façon générale, le Ban de la Roche est, mieux qu'il ne se sera plus tard, partie du tissu humain de la contrée. Il ne fait pas encore figure d'enclave. Il est, bien entendu, catholique, comme ses voisins. Sont particulièrement vénérés : Sainte Odile, Saint Jean-Baptiste, Saint Nicolas, Sainte Elizabeth. Natzviller, plus ou moins considéré comme une annexe de la Haute Goutte, est appelé Saint Luden, du nom du patron des pèlerins. C'est d'ailleurs à peine un habitat, plutôt une église entourée de quelques maisons. On est clairement dans l'ambiance du Mont Sainte Odile. La fête de cette sainte est l'un des grands repères du calendrier. En 1178, la famille de la Roche (de Rupe ou de Lapide en latin) est témoin d'une donation en faveur du couvent de Sainte-Odile. Dans quelle mesure le pèlerinage de Belmont est distinct de son grand voisin, il est impossible de le dire. En tous cas, nous sommes sur un chemin reliant la Lorraine au célèbre couvent. Nous devons donc imaginer une population venant rendre visite aux lieux sacrés, et une dévotion présentant les caractéristiques d'un christianisme de pèlerinage, fort répandu à l'époque en Alsace. Il est difficile d'imaginer un Ban de la Roche catholique, tant cette contrée est assimilée au protestantisme. Mais il faut faire cet effort. Il y a eu une vie avant 1584, date d'introduction de la Réforme. Nous imaginerons donc le Ban inséré sans rupture dans le tissu de la vallée de la Bruche, et nous nous souviendrons que Vipucelle (aujourd'hui la Broque) est à deux pas, de même que Schirmeck, Plaine, Natzwiller, et d'autres villages encore, sans oublier, à peine plus loin, près de Saint-Dié, le Ban de Sapt, pardon, le Ban d'Sa', d'où proviennent tant de Banzet. La Lorraine est à deux pas, facile d'accès, cependant que pour aller en Alsace, même simplement à Barr, il faut traverser la haute montagne du Champ de Feu. Le Ban de la Roche ne prie pas autrement que ses voisins. Les saints qu'il vénère ne lui sont pas spécifiques : Sainte Odile, Saint Nicolas, Sainte Elizabeth, Saint Blaise. Avec en plus Saint Jean Baptiste. Il paraît que les femmes de Rothau le priaient pour avoir des enfants. Ce qui n'est pas illogique puisqu'il est lui même l'enfant miraculeux d'Elizabeth, une très haute sainte de la vallée, à qui Richer, moine à Senones, a consacré une biographie dans sa chronique. L'introduction du protestantisme est un coup dur pour les anciens Dieux de Belmont. On sait que Luther n'en veut à aucun prix, même déguisés en saints chrétiens. Cependant, les Dieux de Belmont sont coriaces, et même le protestantisme n'arrive pas à en venir entièrement à bout. Il reste quelque chose du pèlerinage en leur honneur, sous la forme de fêtes de Pentecôte particulièrement grandioses, où se presse tout le Ban de la Roche. L'oiseau merveilleux de la légende se prête fort bien à la convergence avec la colombe du Saint Esprit. Les anciens Dieux acceptent donc une sorte de cohabitation avec le nouveau, celui de la Bible, mais ils savent exiger le respect d'une saine hiérarchie. Le nouveau Dieu se prie le Dimanche, à l'occasion d'un culte ordinaire auquel appelle la cloche de bronze, nommée Maria Magdalena. Ce n'est que pour ce qui reste du culte des anciens Dieux que, le jour de la Pentecôte et ce jour là seulement, on fait retentir la cloche d'argent. |