En 1469, Gérothée, seigneur depuis peu, accueille en son château de la Roche trois hommes recherchés par la justice de l'évêque : Meye de Lambsheim, Stoffel et Affé. Il ne fait là rien d'extraordinaire, du moins le croit-il. Il est dans la nature d'un château de fournir une protection. Gérothée est chez lui, et il y protège qui il veut, contre argent, comme tous ses voisins.
"Vous donnez asile à trois malfaiteurs ! " fulmine l'évêque. Gérothée n'en a cure. Que ses trois hôtes aient des ennemis, c'est dans la nature des choses. S'ils n'en avaient pas, ils n'auraient pas besoin de la protection du schloss de la Roche. Et que l'évêque traite ses ennemis de malfaiteurs, cela se comprend aussi. Messires de Lambshein, Stoffel et Affé ont d'ailleurs à son service des qualificatifs de même métal. Quant à dire qui a raison et qui a tort, qui est une ouet bête et qui est un honnête homme, c'est faire office de juge, et là, Gérothée entend défendre ses droits. Il a droit de justice sur ses terres. L'évêque n'a donc aucun droit de poursuivre ses hôtes et d'exiger qu'il les livre. Si Gérothée acceptait, il se comporterait en justiciable de l'évêque, c'est à dire en sujet. Monseigneur l'évêque est trop haut dans sa tête s'il croit que Gérothée lui doit obéissance. Le conflit s'envenime. L'évêque prend la tête d'une coalition de seigneurs voisins. Le château de la Roche est pris. Gérothée, emmené à Strasbourg pour jugement, est acquitté, mais les paysans requis pour la défense du château sont pendus, et l'évêque exige la destruction du château. Gérothée était-il vraiment un seigneur-brigand, ou ses voisins l'ont-ils calomnié pour s'emparer de ses biens ? Nous n'aurons jamais la réponse à cette question. Aujourd'hui, les avis sont partagés. Au Ban de la Roche, on tend à dire qu'il n'était pas plus sauvage que ses adversaires, cependant que les villages catholiques voisins voient en lui une sorte de monstre. Notons que, d'une façon générale, un pouvoir qui cesse d'être perçu comme légitime tend à être assimilé à de la délinquance. Il est probable que les marchands qui traversaient la vallée ont de tout temps appelé "rançon" le droit d'escorte, et "racket" les droits de douanes. Selon son point de vue, sa position et ses opinions, on peut appeler "séquestration" ce que le seigneur appelle "emprisonnement", et "assassinat" ce qu'il considère comme son droit de haute justice. Mais, en usant de tels vocables, on décrit plus ses propres positions politiques que l'action du seigneur du Ban de la Roche, qui ne se comportait pas autrement que ses voisins et déblameurs. En 1503, l'evêque de Strasbourg rachète l'ensemble de la vallée de la Bruche, dont le schloss de Schirmeck : dans ce contexte, l'attaque du château de la Roche prend sens. C'était la seule forteresse redoutable dans ce bout de la vallée, le château de Schirmeck se neutralisant tout seul du fait de la pluralité de propriétaires. D'ailleurs, quand l'évêque le racheta, c'était une ruine : les co-propriétaires n'arrivaient plus à s'entendre même sur les travaux d'entretien. L'évêque le rebatit entièrement. Le château fut détruit une seconde fois pendant la guerre des Suédois, et ne fut rebati qu'à l'époque moderne, sans grand souci, à ce qu'on entend, de vérité historique..
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