table des matières, tome 1
LE REVE DE MONSEIGNEUR LE COMTE



       A la fin du siècle -le 16ème-, le Ban de la Roche apparaît comme une région minière d'une importance certaine.

       Il y a des sites miniers dans les deux vallées, plusieurs dizaines, de toutes tailles. En général, on y exploite du fer, mais il y aussi des traces de cuivre et d'argent à Wildersbach, et peut être des traces d'argent à Belmont (question difficile à trancher, car Belmont, c'est aussi la capitale mystique de la seigneurie, ce qui est propice aux fantasmes). Les fermes seigneuriales du Bas Lachamp et de la Haute Goutte entretiennent au total 504 grébis. Chacun travaille trois jours, et fournit deux voyages par jour, à tirer les 84 chariots.

       Les hauts bœufs font équipe par six lorsqu'il s'agit de tirer du minerai, par deux pour du charbon de bois. Les voitures et leurs bennes de vannerie deviennent un élément emblématique du paysage du Ban de la Roche, de même que les stailles où laisser les bœufs se reposer, et les fouariques pour les ferrer. Les nobles animaux rythment la vie du pays.

       Mais Monseigneur le Comte voudrait plus.

       Il a mis son projet sur papier.

       Il voit les choses en grand. Il veut sept fonderies au total. Une scie mécanique. Trois moulins pour le polissage et l'aiguisage (cela t'étonne peut-être, cher lecteur, de voir des moulins servir à autre chose qu'à faire de la farine ; mais c'était courant au Ban de la Roche ; en fait, on appelait "moulin" tout nécanisme à base d'énergie hydraulique entraînant une grande roue).

       Et douze forges à platiner.

       Ah ! cher lecteur ! Quel doux rêve, te rends-tu compte ! Des forges à platiner ! Douze ! Comment te décrire l'ascension mystique que ces seuls mots produisent chez ceux qui savent ? Comment t'y entraîner ? Et que n'ai-je la plume de Dante pour créer devant tes yeux le paradis que le miracle de ces douze forges a fait surgir devant les yeux émerveillés du Comte ! Tu te souviens qu'une seule suffit à faire un Roi, puisqu'elle permet de battre monnaie. Alors douze …

       Il faudra aussi construire cent logements pour ouvriers. C'est beaucoup, cent nouveaux ouvriers, plus leurs familles, dans une région qui ne produit la nourriture qu'avec parcimonie.

       En fait, pour introduire cent nouvelles familles -des familles où l'on a plus souvent 10 enfants que pas du tout- dans la vallée, il faut leur faire de la place, et pas qu'un peu.

       Pour les moins utiles des sujets du Comte (utiles à la forge, s'entend), le cauchemar va commencer.


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