Ce dimanche là, le pasteur Marmet monta en chaire et défit les fermoirs de sa grande boîte à feuilles, libérant pour un temps quelque chose de la parole de son Dieu. Il en sortit le chapitre 27 d'Ezechiel, la Deuxième complainte sur la chute de Tyr.

       Le pasteur lit :

       "La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes :
       "Et toi, fils d'homme, prononce sur Tyr une complainte. Tu diras à Tyr, la ville installée au débouché de la mer, le courtier des peuples vers les îles nombreuses :
       "Ainsi parle le Seigneur Yahvé :
       Tyr, c'est toi qui disais : "Je suis un navire d'une parfaite beauté" ; en pleine mer s'étendaient tes frontières ; tes constructeurs ont parfait ta beauté ; en genévrier de Sénir ils ont construit tes bordages ; ils ont pris un cèdre du Liban pour t'ériger un mât ; des chênes du Bashan, ils ont fait des rames ; ils t'ont fait un pont d'ivoire incrusté dans des cyprès des îles du Kittim ; le lin brodé d'Egypte fut ta voilure pour te servir de pavillon ; la pourpre et l'écarlate des îles d'Elisha te recouvraient ; les habitants de Sidon et d'Arvad étaient tes rameurs ; tes sages étaient à bord comme matelots et les anciens de Gébal réparaient tes avaries."

       Dans l'assemblée, quelques oreilles se tendirent. La moté, c'est souvent ennuyeux, mais cette fois-ci, le texte est si beau … Ce navire, ne dirait-on pas le cortège d'un Roi en déplacement ? D'un faux roi, bien sur, puisque le prédicant vient de dire que le Roi de Tyr était un juste un courtier, une sorte de riche marchand, mais quand même …

       Et le prédicant continuait de détailler les richesses des marchandises achetées ou vendues par Tyr ; ivoire, ébène, escarboucles, pourpre, broderies, byssus, corail, rubis, grain de Minnit, pannag, miel, huile, baume, vin, laine, fer forgé, riches vêtements, étoffes bigarrées, cordes tressées …

       L'assemblée écarquille les yeux devant toutes ces richesses, devant ces marchandises dont elle ne connaît même pas les noms. On dirait que le ciel a déversé ses trésors.

       Mais maintenant, Dieu met en garde le roi de Tyr :

       "Tu as dit : "je suis un dieu, j'habite une demeure divine au coeur de la mer", alors que tu es un homme et non un Dieu. Voilà que tu es plus sage que Danel ! aucun secret ne te déconcerte. Par ta sagesse et ton intelligence, tu t'es fait une fortune. Tu as mis or et argent dans tes trésors. Si grande est ton habileté dans le commerce ! … tu étais un modèle de perfection, plein de sagesse, merveilleux de beauté. Tu étais en Eden au jardin de Dieu. Toutes sortes de pierres précieuses formaient ton manteau …"

       Les yeux s'écarquillent encore plus, car le texte Biblique n'omet aucune des pierres précieuses :

       "Sardoine, topaze, diamant, chrysolithe, onyx, escarboucle, émeraude, or …"

       Bien sur, l'affaire se termine mal, et Dieu précipite le Roi de Tyr du haut de sa grandeur.

       Ces passages de la Bible ont-il contribué à la formation de l'image de la Mesnie Hennequin sous sa forme de paradis artificiel qui capture par fascination ?

       Nous n'en saurons jamais rien, bien sur, mais pourquoi pas ?

       Les Ban de la Rochois ont bien du avoir l'occasion d'entendre lire ces chapitres. Et leur situation n'est, au fond, pas si différente de celle du prophète Ezechiel. Comme lui, il leur arrive de contempler des trésors sans en être plus avancés pour autant ; ils sont les serfs des riches et puissants seigneurs de Veldenz, parents du Roi de Suède ; et le grand prophète était le prisonnier du Roi de Babylone Nabuchodonosor.