table des matières, tome 2
LE TRESOR DE LA PERHEUX



       L'attente a été longue pour faire ferrer ses bœufs, et un voiturier -nous l'appellerons Claude- constate avec consternation que le soleil se couche alors même qu'il vient à peine de se mettre en route pour Belmont.

       Il n'a pourtant pas perdu de temps. Ce matin, dès avant l'aube, il a rempli sa benne avec la production des charbonniers du Champ de Feu. Puis il l'a dirigée vers la forge de Rothau sans attendre. Mais il a fallu un fier bran pour arriver. Puis pour décharger. Puis pour passer à la fouarique. Et là, attente interminable parmi ceux qui avaient réellement besoin de faire fouarer, et ceux qui déschmouslaient en quête de nouvelles.

       Le Claude a beau tourner le problème dans tous les sens, refaire mentalement sa journée, supputer comment les choses se seraient passées si tout avait été plus vite, effacer en imagination tel incident mangeur de temps, il en revient toujours au même point : la nuit tombe et il n'y a rien d'autre à faire que de se mettre en route pour regagner Belmont en passant par la Perheux.

       Ce fut déjà une épreuve, ce matin, que de passer en plein jour le champ du supplice. Certes, Sa Seigneurie a bien fait de débarrasser sa terre de ces jeteurs de sort. Ce n'est pas Claude qui regrettera le Dimanche Antoine et sa femme, ni la plupart des autres qui ont été chadés. Mais Sa Seigneurie ne pourrait-elle choisir un lieu de supplice plus discret ? Ce matin, les restes des bûchers étaient toujours en place, et les corps n'étaient qu'en partie brûlés. Il devait rester quelque chose des mollets de Lolla Schilling, car un renard y cherchait sa pitance. Une volée de cras picorait sur la tête de Dimanche André. Quant à la femme Zimmermann, de Bellefosse, elle paraissait encore pousser son dernier cri, lèvres absentes mais machoires grandes ouvertes, la tête plus petite que nature et les joues cuites.

       Et il va falloir repasser devant. Claude ne voit pas de moyen d'y échapper. La Perheux est au carrefour des deux vallées de la Seigneurie, il n'y a pas à sortir de là.

       S'il pouvait arriver chez lui avant la nuit …

       Mais non, il n'y faut pas songer. Les deux grébis sont les meilleurs animaux du monde, mais nul n'a jamais réussi à les faire hayer autrement qu'au pas. Et il est possible que Claude doive encore les ralentir s'il ne veut pas abîmer sa benne, car les chemins de montagne sont chaotiques. Les roues vont souffrir, c'est sur. Demain matin, sur que le Claude besognera réparer, et pendant ce temps, il ne gagnera rien.

       La gorge serrée, le voiturier se met en route. Les chemins lui paraissent plus raides que le coutume, les bœufs plus lents, les roues de la voiture plus enclines à routcher dans toutes les baisses, comme si elles étaient endiablées.

       La lune est pleine. Claude devrait s'en réjouir : il fait à peu près clair assez pour voir où les bœufs posent les sabots et la voiture les roues. Mais, tout à l'heure, les suppliciés aussi seront éclairés, de cette lumière de lune pleine d'ombre. Claude se promet de ne pas lever le regard sur eux mais il sait bien que, ce matin déjà, il n'a pu s'empêcher de guiner. Il faudra zigzaguer entre les restes des bûchers. Il y en a sur tout le col. Ceux de la justice ne font rien pour qu'on puisse les éviter facilement, bien au contraire. Chacun doit savoir ce qu'il en coûte d'être sauvage à son prince et à son Dieu. Cela apprend à marcher le bon chemin, disent-ils.

       C'est maintenant à qui hetlera le plus, des bœufs, de la voiture ou du Claude, qui est pressé d'arriver à Belmont mais pas de passer par la Perheux. La tenace odeur de chair brûlée annonce le col. La pente est plus raide. Claude laisse le premier bûcher à main droite. Un froissement d'ailes l'avertit que quelque oiseau trouve son repas, choouotte ou hibou, probablement, à cette heure ci.

       Une baisse plus creuse que les autres fait routcher la voiture de la hauteur de deux mains au moins. Elle penche, la roue droite plus haute que la gauche. Il va falloir la dégager. C'est au Claude de grabler. Les deux grands bœufs feront leur part d'effort quand un "Hue grébi" le leur commandera, mais pour l'instant, ils attendent indifférents.

       Claude creuse à la lumière de la lune, cherchant à dégager sa roue. Tout à coup, une pièce d'argent lui chet dans la main. Il la regarde bête. Ce serait donc vrai, ces histoires de trésor ? Maïnté ! Il dégage sa voiture, revient creuser, trouve une deuxième pièce.

       C'est alors qu'un hurlement déchire la nuit.

       Le Claude attrape peur, lâche les pièces, débousse sa voiture et ses bœufs. Il dégrille, court parmi là, zocke presque le pieu où tient encore le corps à demi calciné de Claude Bernard, dérange un rat qui cherchait sa pitance. Il ne peut s'empêcher de tourner la tête du côté d'où le cri a jailli.

       Et là, il attrape la riotte : c'est tout simplement son voisin le Colas, qui a fallu lui aussi faire route dans la nuit, et qui s'est mis à hurler en voyant les restes des suppliciés. Non seulement il n'y a pas de fantôme, mais, même, le Claude n'est pas tout seul. Il y a au moins un autre humain sur le col. Le voiturier sent tout son courage qui revient, au point même de laisser le Colas passer devant lui sans l'interpeller. Claude se sent de taille à retourner chercher le trésor, et n'a pas envie de partager.

       Une fois Colas éloigné, Claude retourne à l'endroit où sa voiture a routché, et creuse. Il ne croit plus aux fantômes. Il n'a pas peur des bêtes de la nuit : qui peut être sot assez pour craindre un renard ou un oiseau ? Il redoute moins encore les sorciers : c'est quand ils vivaient qu'ils étaient à craindre, se dit notre esprit fort.

       Le voilà donc qui grable, qui grable, mais il ne trouve plus rien, pas même les deux pièces qui lui étaient comme chues dans la main.

       Claude n'a plus qu'à reprendre son attelage pour rentrer chez lui.

       Il est ainsi, le trésor de la Perheux : à la disposition de celui qui peut grabler sans se laisser effrayer par les cris et sans s'interrompre une seule fois. Mais celui qui s'enfuit a laissé passer sa chance, même s'il revient. Il y a bien des gens qui pensent qu'ils seront capables de creuser sans s'interrompre si le trésor leur fait signe, mais on ne connaît personne qui y ait réussi.


Documents - Confessions of witches

Confession de Claudette, épouse de Jean Schmitt, de Trouchy

"Elle a confessé qu'allant au sabbat, elle adora le Diable en inclinant la tête à la renverse, et nommait le nom du Diable en révérence."

Observation : Les Schmitt (Marchal) de Trouchy ont échappé aux massacres de la guerre de Trente ans, et ont une nombreuse descendance, alliée aux familles Neuviller, Banzet, Verly, Vonier, George, Loux.
The Schmitt (Marchal) family of Trouchy ( a little hamlet, not even a village) escaped the slaughters of the Thirty-Year War. They have a numerous descendance still nowadays.

Confession d'un anonyme

"Il a confessé qu'étant à l'église, le Diable lui commanda que, lorsque le pasteur lirait l'Evangile, il devrait dire à chaque parole le mot bou, comme s'il voulait dire : "Tu as menti"

Confession de Claudette, épouse de Vincent Janduru de Wildersbach

Elle a confessé que le Diable était vêtu de noir et avait les pieds fendus comme un boeuf, et qu'il s'appelait bou.

Le Diable, le bou, lui frappa tellement sur la tête avec un marteau, qu'elle en saigna.

Sept semaines après sa séduction, elle alla la première fois au sabbat entre le Chesnoy et le pré du doyen. Elle y alla sur une fourche que la Neubourgeoise lui engraissa. Elles y mangèrent de la chair de chat.

Elle a confessé que, quand elles tiennent sabbat, ils ont coutume de déterrer tels petits garçons, pour les manger et en faire de la graisse.

Elle a confessé que le Diable la contraignit de faire du mal à quelqu'un mais, ne pouvant le mettre en effet, il lui fallut mettre à mort un de ses deux veaux.

Elle a confessé que la Neubourgeoise et la veuve de Didier Mathiat s'étaient vantées, en un sabbat du Chesnoy, qu'elles avaient fait mourir un grison à SA notre maître, que le Diable en était fort joyeux, et qu'il en avait sauté de liesse.

Elle a en outre confessé que toutes les sorcières ensemble, et principalement Jean Gallin, s'étaient vantés devant le Diable qu'ils avaient fait tomber la mère de Rauvu.

Elle a confessé que, passé un an, elle fit mourir un porc à Christian Mougenet, en lui souhaitant la mort au nom du Diable, le bou.

Elle alla aussi au sabbat sur un bouc noir, la Neubourgeoise sur une chèvre, Jean Gallin sur un taureau, et ils allèrent au Fresnoy.

Confession de Valentine Jandon

Elle a confessé être allée au sabbat avec sa mère dès l'âge de sept ans, sur un bouc qui alla si vite, qu'elle ne savait pas s'il volait dans l'air ou s'il courait sur terre.

Le jeune Diable Joli, que Piercin lui donna en mariage, était médiocre de stature, il avait une petite barbe noire, de grands yeux, des mains sans doigts, des pieds fendus comme un bœuf, et un habit de drap noir. A la fête nuptiale avec Joli, elle fut baptisée Joliatte, on mangea de la chair crue de cheval.

Une autre fois, ayant engraissé une fourche, elle s'enjamba dessus et, allant vite comme le vent, dit : "Allons, de par tous les Diables !"

Elle a confessé que, voulant faire de la graisse, le Diable la ravit dans les airs jusqu'aux nues, où ils crièrent : "Caba, Caba", et ne peuvent être vues de personne.

Elle a confessé qu'elle a été deux fois au Saint Sacrement de la Cène, depuis qu'elle a été abusée, et, ayant mangé la première fois l'hostie, elle fut tentée du Diable. La seconde fois, elle la lui bailla, lequel la brûla pour en faire de la poudre, de laquelle elles se servent pour endommager tant bêtes que gens.

Confession de Jean Murré

Il a confessé qu'étant venus au sabbat, ils paillardirent avec leurs diables, dansant et mangeant des chairs par eux ensorcelées, comme aussi la chair de petits enfants, et burent du vin, qu'ils allaient quérir en Allemagne, sur des chars tirés par des boucs.

Le dernier sabbat, le diable leur commanda de faire mourir ceux de la justice, de quelque façon que ce serait.

Confession de Didier Hans, de Belmont

Il a confessé qu'il a eu à maintes reprises l'envie de se convertir envers Dieu, mais le Diable, s'en apercevant, l'en détourna et le battait extrêmement, ce qu'il a fait environ six fois, entre autres aussi pour n'avoir pas tué Claude Georges, qui avait résisté au Diable

Confession d'Odile, épouse d'Ulrich, meunier à Trouchy

Elle a confessé que, pour le dernier sabbat, ils étaient allés quérir du vin à Strasbourg.

Elle a confessé qu'elle, Nicolas Glade et d'autres ont fait mourir son propre enfant, en mettant de la graisse dans sa bouillie.





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