table des matières, tome 2
LE TROISIEME TEMOIN



       Pendant que le petit peuple essaie comme il peut d'éviter les bûchers, les seigneurs n'oublient pas les choses sérieuses, à savoir leurs procès.

       Vous vous souvenez qu'il y a longtemps, les Veldence ont acheté le Ban de la Roche aux Rathsamhausen.

       Aujourd'hui, 28 novembre 1623, les deux familles comparaissent devant la justice impériale : la question est de savoir si les villages de Saint Blaise la Roche et de Blancherupt étaient compris dans la vente.

       Pourquoi allons-nous, pendant quelques instants, essayer de faire revivre le troisième témoin, Dimanche Georges, ou Ringelsbach, qui habitait en 1623 un hameau de Neuviller nommé Riangoutte en Français, et Ringelsbach en Allemand.

       Qu'a-t-il de plus que le reste de ce petit peuple qui tentait de survivre au milieu des projets et des caprices des hauts gens ?

       Hé bien, c'est parce qu'il s'agit sans doute d'un "grand ancêtre", commun à de nombreux habitants actuels du Ban de la Roche. En effet, la population de cette petite seigneurie, très isolée culturellement et géographiquement, tomba, à la suite des différentes guerres du 17ème siècle aux alentours de 200 habitants répartis entre très peu de familles, puisque chacune avait beaucoup d'enfants ; le repeuplement fut donc en grande partie basé sur quelques couples qui eurent beaucoup d'enfants et, surtout, la chance de les voir survivre ; ce qui fait de l'ancienne seigneurie une sorte de famille élargie, dont les ancêtres les plus éloignés sont souvent communs à tous, du moins s'agissant de quelques couples " stratégiques ".

       Un de ces couples se composait de Joseph Neuviller et d'Anne Ringelsbach, d'où l'intérêt que nous portons à ce dernier patronyme.

       Etant donné que les registres paroissiaux d'état civil ne sont pas disponibles pour cette période, il est impossible de connaître le lien de parenté entre Dimanche Ringelsbach et Anne Ringelsbach. Fille ? Petite fille ? Nièce ? simple homonyme ? Nous n'aurons pas la réponse à ces questions. Notons cependant que Riangoutte, est un tout petit habitat, simple hameau et non village à part entière, et que nous devons donc imaginer une population assez limitée et fortement apparentée.

       Mais revenons en au mardi 28 novembre 1623.

       Les deux frères de Ringelsbach, Dimanche et Blaise ont été dument convoqués comme témoins à un procès dont l'enjeu les dépasse.

       Il y a là tous les notables de la seigneurie : le pasteur Nicolas Marmet, le prévôt Michel Fischer, le meunier Michel Holweg.

       "Nomina testium über die interogatoria sub lit E" … le notaire prend note des débats en un savoureux mélange de latin et d'allemand.

       Donc, sub littera E, nous trouvons le témoignage de Dimanche Ringelsbach qui, dûment averti des sanctions encourues en cas de parjure, déclare se nommer Dimanche Jean Georges, être âgé de plus de 60 ans, être laboureur et aubergiste de profession, et être également échevin de justice et avoir une fortune de 600 guldens

       Il semblerait que les noms de Georges et de Ringelsbach soient utilisés indifféremment.

       Le portrait que se dégage du protocole est celui d'un haut homme : Dimanche possède de la terre et une auberge, au total une fortune de 600 " guldens " (florins), ce qui est appréciable.

       Dimanche Georges est échevin de justice et il l'était déjà 40 ans auparavant : il a donc, de façon durable, la confiance des autorités et de ses concitoyens. C'est un notable, étant précisé que ce terme doit être quelque peu relativisé : au Ban de la Roche, le seul vrai pouvoir est celui du seigneur de Veldenz, même si quelques têtes peuvent parfois dépasser, celles d'artisans ou de commerçants un peu moins pauvres que leurs voisins.

       Les traits de personnalité que nous devinons à travers son témoignage sont aussi ceux que l'on attend chez une personne ayant connu une certaine réussite sociale. Dimanche est en situation délicate, pris en tenailles entre deux autorités redoutables : d'un côté, la commission d'enquête exige un témoignage sincère et souligne les sanctions encourues en cas d'obstacle à la justice ; d'un autre côté, le seigneur de Veldenz étant partie au litige, le témoignage de Dimanche pourrait en théorie être défavorable à son maître.

       Il se tire d'affaire avec une grande maestria, qu'explique sans doute en partie son expérience des prétoires. Ses réponses apportent toute l'aide possible au Comte de Veldenz, tout en laissant à Dimanche la possibilité de faire marche arrière si nécessaire : il ne sait pas, mais " cela " a pu appartenir à son maître ; sur la question de savoir si Saint-Blaise et Blancherupt appartiennent au Ban de la Roche, nous ne saurions trouver, dans son témoignage, un oui qui soit un oui ou un non qui soit un non, mais il donne suffisamment d'éléments pour que la commission tire elle même des conclusions favorables aux Veldence : dans son jeune temps, le tribunal des échevins mêlait des personnes de Saint Blaise et de Blancherupt, ainsi que des personnes du Ban de la Roche à commencer par Dimanche lui-même (le lecteur ou l'auditeur en retire l'impression qu'il s'agissait d'un espace politique unique, mais ce n'est pas dit) ; les habitants de Saint-Blaise ont fourni du bois pour la construction de la " maison " (le château) de Rothau, (don qui n'était jamais volontaire : on en déduit que ces habitants devaient donner ce bois au titre des droits seigneuriaux).

       Le témoignage est favorable au maître de Dimanche (qui perdra cependant son procès), mais tout est sous-entendu, rien n'est dit.

       Rusé, madré, habile à naviguer entre deux autorités, Dimanche soutient son seigneur tout en se mettant à l'abri d'éventuelles sanctions pour faux témoignage : il a les atouts pour réussir, aussi bien matériellement que moralement. Tout au moins, c'est l'impression que nous aurions si nous nous en tenions à son témoignage au procès.

       Mais, contrairement à l'impression d'hyper-intégration sociale que ce témoignage produit à première lecture, Dimanche vit en réalité cerné par les flammes et toujours à deux doigts de suivre ses proches sur le bûcher. Peut-être est-ce une des raisons de son extrème prudence : son témoignage au procès Veldenz contre Rathsamhausen date de 1623, époque à laquelle les procès de sorcellerie battent leur plein. Catherine, sa première femme, a été chadée. Jeanne, son épouse actuelle, vient d'être accusée ou va l'être. Dans sa confession elle s'accuse d'avoir semé la peste à Belmont, ce qui n'est pas rien.

       Il y a gros à parier que Dimanche a aussi dégrillé pour lui même. En effet, c'est une des spécificités des procès de haxellerie du Ban de la Roche, que les hommes y représentent une proportion non négligeable des victimes, et que l'on monte souvent sur le bûcher en couple ou en famille. Les Georges sont solidement et durablement installés dans le collimateur, puisqu'après Jeanne et Catherine, la hablereye ne lâche pas la famille pour autant. Celle-ci fournira le dernier sorcier, Georges Nicolas Georges, dont la confession est de cinquante ans postérieure à la grande flambée des années 1620.


DOCUMENT

Confession de Jeanne, épouse de Dimanche Georges de Neuviller
Confession of Jeanne, wife of Dimanche Georges, de Neuviller
Dimanche Georges is a possible major ancestor, but unfortunately previous to the parish registers

Elle a confessé que, passé neuf ans, elle et les sorcières du Ban de la Roche causèrent une contagion pestilentielle dans le village de Belmont, avec de la poudre noire que Piercin leur donna. Dans cette même contagion, elle empoisonna son premier mari.

Elle a confessé qu'au sabbat, elles adorent Piercin en se mettant à genoux devant lui, le nommant par son nom et le reconnaissant comme leur maître.

Document
(du 5/15 décembre 1623)

…..

Dimanche Ringelsbach, troisième témoin

Après avoir été suffisamment informé sur la portée de son serment et sur la sanction qu'il encourrait s'il se parjurait, il fait la déposition suivante :

A la    première question, le témoin déclare se nommer Dimanche Jean Georges, être âgé de plus de 60 ans, être laboureur et aubergiste de profession, et être également échevin de justice et avoir une fortune de 600 guldens

A la    2 eme question , le témoin répond qu'il réside à Riangoutte

A la    3 eme question, il répond par oui

A la    4 eme question, le témoin répond qu'il ne peut le savoir, mais que cela a pu appartenir à son bien aimé maître

A la    5 eme question, le témoin déclare que, ce dont il a connaissance, il le dira

A la    6 eme question, le témoin déclare que, deux ans après qu'il se soit marié, ceci ayant eu lieu il y environ 40 ans, il a été nommé comme échevin de justice ; que l'intendant seigneurial de Saint Blaise la Roche présidait les débats, que l'avocat de Saint Blaise la Roche, lequel se nommait Nicolas Blaisatte, était également présent, et que Jean, le prévôt de Blancherupt, était un des juges.

Il sait également que, lorsque la maison de Rothau a été construite, ceux de Saint Blaise la Roche ont apporté beaucoup de bois, lequel bois provenait de la forêt de Sapenois ou de celle de Raumenholz

A la    7 eme question, le témoin déclare que, ce qu'il a déclaré, il l'a personnellement vu





ELEMENTS GENEALOGIQUES
Dans l'ombre, Anne Ringelsbach, épouse Neuviller

Anne Ringelsbach is a major ancestor. She perhaps has links with Dimanche Georges, alias Ringelsbach, but perhaps also she is of Swiss origin.


Il est impossible, faute d'actes d'état-civil, de préciser quel était le possible lien de parenté entre Dimanche Georges-Ringelsbach et Anne Ringelsbach, épouse de Joseph Neuviller, et ancêtre de nombreux Bandelarochois. Tout au plus pouvons nous dire qu'il y a, en principe, deux générations d'écart, puisqu'en 1623, Dimanche se déclare âgé de plus de soixante ans, cependant qu'Anne est en pleine période de procréation.

Joseph Neuviller et Anne Ringelsbach n'ont, au Ban de la Roche ni acte de naissance, ni acte de mariage (ce dont on ne peut tirer aucune conclusion ni positive ni négative, les registres ne remontant pas aussi haut). Ni acte de décès, ce qui s'explique plus difficilement.
Ils sont cependant attestés en 1649 comme marcaires (éleveurs et produsteurs de lait) à la ferme du Bas-Lachamp à Bellefosse. Il s'agit d'une cense seigneuriale, ce qui implique un statut de locataire qui cadre assez bien avec un couple amateur de déménagements.

Nous connaissons également leur existence indirectement, par les mentions qui figurent dans les actes d'état civil de ses enfants, toute une fratrie qui est venue se marier au Ban de la Roche :

Marie épouse Jacques Krieger
Jean épouse Marie Thon ; le couple a ses cinq enfants à Bellefosse à partir de 1655
Catherine épouse Georges Parmentier
Christian épouse Jeanne Marchal ; le couple a ses cinq enfants à Trouchy, hameau de Fouday, à partir de 1666
Mougeotte épouse Thomas Muller

Quant à savoir où sont nés Marie, Jean, Catherine, Christian et Mougeotte, il n'y a pas de réponse. La fratrie se dit native du canton de Berne, mais nos recherches dans cette direction ont été infructueuses, bien qu'un généalogiste professionnel y ait passé plusieurs jours.

Deux hypothèses :

Première hypothèse : Anne et Joseph sont des Ringelsbach du Ban de la Roche partis chercher ailleurs un air plus sain, sentant moins le bois de bûcher .

J'avoue que j'ai quelque plaisir à me dire que mon ancêtre Anne a peut-être su échapper au bûcher
.

Désireuse de résoudre ce mystère, j'ai employé les grands moyens, et j'ai chargé un généalogiste professionnel d'écumer les registres paroissiaux du Canton de Berne.

Aucune trace du couple dans ce canton.

Quelques traces du nom de Neuviller, mais on ne peut rien en déduire. En effet, ce nom peut aussi bien venir de Suisse, où il existe, que du Ban de la Roche, où existe un village de Neuviller.

D'après un livre incontournable sur la généalogie suisse (Familiennamenbuch der Schweiz, Schulthess Polygrafischer Verlag Zurich, 3eme édition, 1989), le nom de Ringelsbach n'est pas suisse.

Mon généalogiste a quand même trouvé des noms approchants à Landiswil (un très petit village n'ayant même pas ses propres registres d'état civil : il faut consulter ceux de Biglen). Il y a trouvé :

-       Jean RINGGENSPRACHER (RINGISPRACHER) x Barbe REINHARDT ; deux enfants (Barbe, b 29 3 1640 ; Elizabeth, b 2 1 1643)

-       Ulrich RINGERSPRACHER (RINDERSPACH), x Barbe SIGENTHALER ; d'où Elizabeth, b 25 2 1641.

Ce qui nous amène à la seconde hypothèse.

Seconde hypothèse : Anne est une Ringgenspracher ou une Ringerspracher de Suisse. Quand elle arrive au Ban de la Roche, son nom est déformé par contagion du nom local de Ringelsbach.

Il est arrivé dans la région des familles portant des noms ressemblant à Ringerspracher, avec des alliances anabaptistes évidentes. Ce qui expliquerait l'absence d'enregistrement des naissances de la fratrie arrivée au Ban de la Roche, puisque les anabaptistes refusaient le baptème des enfants. On notera en outre l'extrème mobilité de ces familles.

Par ailleurs, les noms de Reinhardt et de Siegenthaler figurent, avec origine dans le canton de Berne en Suisse, sur le site internet intitulé "Ohio Indiana Mennonites".


Etude de quelques noms de la région, d'origine suisse et ressemblant plus ou moins à Ringelsbach

Les Ringenberg

Première génération :

Andreas Ringenberg, né en 1782, à Wolfling, marié avec Barbe THOMAS, née en 1794, décédée en 1884, à Wiesswiller, dont :

Deuxième génération :

Madeleine Adeline RINGENBERGER, née le 16 avril 1826, , Wiesswiller,, décédée le 11 février 1884, , Wiesswiller, mariée avec Henri ROGGY (nom typiquement anabaptiste), né le 16 septembre 1819, dont :

Troisième génération :

Catherine, née en 1857, , Woefling 57200, MOSELLE, mariée le 21 octobre 1889, Sénaide, 88320, VOSGES, France, avec Julien Amand DROUILLY, né en 1853, , Fresnes sur Apance,
52400, HAUTE MARNE,

Elisabeth, née en 1866, , Wiesviller, 57, MOSELLE, France ; mariée le 8 février 1890, , Senaide, 88320, VOSGES, France, avec Emile ROGGY, né en 1866, , Culey, 55, MEUSE.

Autre lignée ? :

Première génération :

Catherine Rinqueberg, x N… Sommer (un nom typiquement anabaptiste), dont :

Deuxième génération :

(Observation : il n'a pas été établi de liens de parenté formel entre cette branche de Sommer, et celle que nous étudierons plus loin, et qui démarre avec Ulrich Sommer époux Reese et son fils Jean Sommer, hodé de Wildersbach ; cependant, il est évident qu'il s'agit de la même famille, au sens large, puisque la ferme du Sommerhoff passera de Joseph Sommer à des descendants d'Ulrich Sommer)

Sommer Joseph né en 1744 à NEUVILLER La Roche, cense du Sommerhoff, 67130, BAS RHIN, France, décédé le 30 mai 1801, à Bischtroff sur Sarre ; meunier x en 1798, à LANGATTE, 57, avec Barbe ou Barbara MARTIN, dont, Pierre, Jean, Madeleine ; xx avec Catherine Güngrich, dont les autres enfants

Trosième génération :

Sommer Pierre, o le 1er mars 1798, ,à Bischtroff sur Sarre, 67260, BAS RHIN, + le 1er janvier 1880, à Mignéville, 54540, MEURTHE ET MOSELLE, xxx le 20 avril 1822, , Azoudange, 57810, MOSELLE, avec Anne VERCLER, (née en 1800, , Hellocourt, 57, MOSELLE, décédée le 26 octobre 1825, Pettonville, 54120, MEURTHE ET MOSELLE) ; xx le 4 juin 1826, , Lorentzen, 67430, BAS RHIN, France, avec Barbe ROGGY( nom typiquement anabaptiste ; née le 8 juillet 1801, Waderhof, Lorentzen, 67430, BAS - RHIN, décédée le 3 janvier 1827, Pettonville, 54120, MEURTHE ET MOSELLE) ; xxx le 30 juillet 1831, Lafrimbolle, 57560, MOSELLE, France, avec Catherine VERLY, (née le 8 octobre 1807, , Lafrimbolle, 57560, MOSELLE, décédée le 24 mai 1879, , Mignéville, 54540, MEURTHE ET MOSELLE)

Sommer Jean, né le 1er mars 1798, ,à Bischtroff sur Sarre, 67260, BAS RHIN, x le 28 novembre 1829, Dehlingen, 67130, BAS RHIN, avec Suzanne SCHWARTZ, (née le 28 mai 1800, à Walsheim, Baviére)

Sommer Madeleine

Sommer Valentin né en 1762, ,à Sparsbach, 67340, BAS RHIN, décédé le 19 octobre 1832, , Ratzwiller, 67430,BAS RHIN, France, marié le 7 février 1805, à Sarreguemines, Woelfling, 57200, MOSELLE, avec Anne RINKENBERG ; RINGENBERG, (née en 1784, Altroff, 57670, MOSELLE, décédée le 1er novembre 1856, , Neufgrange, 57910, MOSELLE)

Joseph
Christian
Joseph
Batherine
Barbe





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