Est-ce la faute à la Nicole si le père de la femme Holveck est devenu boquet ? L'autre jour, elle lui a enduit sa boquesse jambe de pommade, ce qui a aggravé ses douleurs. Et certains disent que la Nicole a mis quelque chose dans la pommade. C'est la veuve d'un meunier, après tout. Qui sait quelles querelles d'affaires il a pu avoir avec Michel Holveck. Et puis franchement, les meuniers, on ne les aime pas trop. Ils s'enrichissent sur le dos du pauvre monde et ne rendent pas tout le grain qu'on leur donne à moudre. Tant qu'ils vivent, il faut bien leur faire des attis pour avoir de la farine, mais, une fois morts, ils ne sont plus à craindre, et il n'y a aucune raison de plaindre leur veuve si elle tombe dans les ennuis. Voici donc Nicole arrêtée, interrogée. Elle tente d'abord de se défendre. Le père de la Holveck était déjà boquet, sans quoi pourquoi aurait-il eu besoin de pommade sur la jambe ? On peut quand même avoir mal la jambe sans qu'un diadelé y soit pour rien. Et une brave femme peut tenter de soyer quelqu'un sans réussir, et pourtant sans l'avoir mis à mal intentionnellement. Mais finalement, la torture fait son effet, et Nicole avoue : oui, elle a bien mis quelque chose dans la pommade. C'était de la graisse comme on en fait au Sabbat. Piercin, seigneur des Diables du Ban de la Roche, la lui avait baillée. Curieusement alors, d'après la justice, ces aveux n'entraînent pas condamnation. La Nicole est, s'il faut en croire les papiers officiels, ramenée en son logis, sans signe d'indisposition quelconque. Comme si l'on pouvait à l'époque avouer un commerce avec le Diable et être relâchée ! "Au revoir, Madame, et bien le bonjour au sire Piercin". Franchement, la version officielle n'est pas très crédible. D'autant plus que Nicole est trouvée morte le lendemain sur son lit. Vers midi, Son Altesse le Comte de Veldenz la fait visiter par son chirurgien et par l'exécuteur de la Haute justice : elle est trouvée ayant des meurtrissures et des disjonctions des parties, on lui avait tordu le col. La justice conclut que tout cela a probablement été fait par son Diable, elle met l'affaire entre les mains de Dieu, et décide de ne pas chercher plus loin. Michel Holweck n'est pas à l'aise. Certes, il a probablement eu des disputes avec l'homme de Nicole, et peut être même avec elle. Mais il n'est pas bon de voir la justice s'intéresser aux confrères. Un meunier, on ne devrait pas pouvoir y toucher. C'est un haut personnage, presque le délégué du seigneur puisqu'il perçoit à sa place, et lui reverse, les droits d'usage du moulin. Cela ne le rend pas populaire, mais justement : il devrait pouvoir compter sur le soutien du seigneur. Où est-ce qu'on haye si celui-ci décide, tout en continuant de prélever des droits sur chaque livre de seigle moulue, d'abandonner celui qui les perçoit à la fureur populaire ? Qu'est-ce qui se trame en haut lieu ? Qui sont ces deux apôtres, Stamm et Kripschild, que le seigneur a fait venir spécialement de Strasbourg ? Et cette paire de Bon d'la de ministres, Marmet et Gandry, qui sont de tous les procès, quel rôle y jouent-ils ? Se contentent-ils de condamner les cas avérés de diadèllerie, ou règlent ils leurs comptes avec tous ceux qu'ils ne trouvent pas assez enragés à la moté ? Là, Michel Holveck se sent visé, car, dans la famille, on n'a rien de protestants enragés. Certes, on est luthérien lorsqu'on vit au Ban de la Roche, mais on continue de fréquenter ses cousins catholiques de Schirmeck. Plus tard, la descendance de Michel sera, comme ses ancêtres, partie protestante et partie catholique. Son petit-fils Christophe abjurera même la religion luthérienne. Michel n'est pas le seul à murmurer. Plus d'un commence à trouver que les procès de haxellerie vont trop loin. |