Qui est cette Georgette, la femme à Jehan le Neubourgeois ?
C'est d'abord une nouvelle venue, comme l'indique le surnom de son mari.
Accusée de sorcellerie, elle nous a laissé une confession assez détaillée.
En enregistrant ses aveux, le notaire commence par les délits forestiers et sexuels, ce qui, au Ban de la Roche, va souvent ensemble :
"Elle a volontairement et librement confessé que, douze ans après qu'elle fût venue à Rote (Rothau), comme elle allait, en temps de cherté, quérir du bois au Chesnoy, le diable est apparu à elle en forme d'homme, hormis pieds et mains, auquel elle se donna et, pour autant qu'elle était pauvre, il lui bailla une pièce de six gros ou trois batze, toutefois, étant retournée à la maison, son argent n'était que feuille et fiente de cheval."
Georgette rencontrera à nouveau le diable dans un contexte forestier et sexuel, recevra sa marque, reniera Dieu, promettra de ne plus aller à l'église, assistera à des sabbats.
Puis, elle confesse les meurtres de bêtes et de gens ainsi que la fabrication de "graisses" :
"Piercin et elle sont entrés dans la maison de Philippe Maréchal pour prendre l'enfant de sa femme, qui n'était pas encore baptisé, et comme on lui demandait ce qu'elle en voulait faire, elle donna pour réponse qu'elles ont de coutume de mettre de tels petits enfants en pièces, et d'en manger les quatre parties ; du reste, il en font de la graisse, avec des araignes et des bêtes jaunes venimeuses ; et dit davantage qu'elles déterrent tels peits enfants, comme ils en ont fait, passé un an, de l'enfant de Toussaint, de la Haute Goutte au cimetière de Rothau ; comme aussi passé sept semaines au cimetière de la Neufville. Elles ont pareillement déterré, au cimetière de Rothau, un enfant à Noir Hans et un à Jean Blaise, lesquels toutefois ont été baptisés."
Voilà qui n'est pas très sympathique, au moins dans les intentions : Georgette cherche à s'emparer pour le tuer d'un enfant non baptisé, ce qui le voue au diable. Mais nous remarquerons qu'elle semble en être restée aux intentions, la confession ne va pas plus loin. Et la mort éventuelle d'un enfant non baptisé au foyer de Philippe le Maréchal n'est pas mentionnée dans la confession que fit Catherine, la femme de Philippe, quand elle fut elle-même accusée de sorcellerie. Il est donc permis d'être sceptique sur le bien-fondé de cette accusation d'une extrême gravité.
Pour les enfants qu'elle aurait vraiment réduits en "graisse", ils étaient déjà morts, parfois baptisés, et il est permis de se demander comment il a pu lui être aussi facile de déterrer les petits cadavres.
Car enfin, ce n'est pas si facile que ça, surtout pour une femme, d'aller chercher un cadavre au fond de sa tombe, si toutefois tombe il y a bien, et pas seulement simulacre de tombe. Il est permis de se demander ce qui explique que les cadavres d'enfants aient été si aisément accessibles.
Il convient de se souvenir que la graisse humaine était à l'époque un composant couramment utilisé pour les " graisses" (en fait des pommades) même si ce n'était pas très légal (voir l'encadré intitulé " Le macabre externe")
Si Georgette est une soyouse adepte du "macabre externe", il est possible qu'elle soit plutôt compétente et apporte à ses concitoyens les meilleurs secours possibles au titre de la médecine traditionnelle, cette médecine ayant cependant des limites évidentes qui expliquent qu'elle voie parfois mourir ses patients (encore qu'il soit possible de présenter les choses sous un angle très favorable à Georgette : elle semble avoir exercé plusieurs années ; pendant cette période, la seule personne humaine dont la justice lui reproche la mort est le père Bengel ; bien des médecins officiels auraient pu lui envier ces statistiques, mais eux, on ne les accusait pas quand un de leurs patients mouraient ; à la mort du père Bengel, il faut quand même ajouter la fille de Didier Charpentier, que l'application de "graisse" a rendue borgne.)
"Elle a aussi librement et volontairement confessé que, devant deux ans, elle avait, avec sa graisse, fait mourir un porc appartenant au Colmesser ( = Kohlmeister = maître du charbon) à la cannonerie.
Elle a aussi librement et volontairement confessé que, douze ans passés, le diable lui bailla une loussine, ou baquette, laquelle elle engraisse de la graisse, et en frappa deux taureaux de Jehan Cosla, dont ils moururent.
Elle a aussi librement et volontairement confessé que, environ passés ??? ans, comme le père de Bengel Hans charpentait près de la forge, elle y vint quérir du bois, ce que icelui charpentier ne voulant permettre, elle s'en retourna au logis.
Quinze jours après, ayant engraissé les doigts de la graisse que lui avait donnée le diable, elle s'en alla le trouver en son logis et là, le graissant sur les épaules avec les doigts, il en devint tout aussitôt malade, et, après, elle revint pour la deuxième fois pour le guérir, ce que voyant, la veuve du Muller, feignant d'en être marrie s'en alla en la maison de la Neubourgeoise et là, prit de son pain et de son sel, pour prétexte de lui vouloir aider mais, en y mettant de la graisse, le fit mourir tout à fait".
Voici un épisode bien surprenant !
Donc : Georgette, une dangereuse sorcière, ou supposée telle, a une altercation avec le charpentier Hans Bengel.
Croyez-vous qu'ensuite, il songe à se protéger d'elle, lui et sa famille ?
Pas du tout : il la laisse au contraire entrer en son logis, et enduire de pommade les épaules de son père.
Le père "tombe" (???) malade, et Georgette revient pour le guérir. Mais, du fait de l'interférence de Nicole la meunière, que nous connaissons déjà, le père Bengel meurt tout à fait.
Il est permis de s'étonner de cette complaisance que l'on a, dans la famille Bengel, à se laisser enduire de pommade par une femme dont on a toutes raisons de se méfier, et qui plus est de continuer à faire appel à elle après que ses soins aient prétendument rendu malade le père Bengel.
Il est permis de penser que le père Bengel était déjà malade lorsque Georgette lui a passé de la "graisse" pour la première fois, et que c'est même précisément pour cela qu'il s'est prêté à ses soins.
Ensuite, le malade a des hauts et des bas. Quand il a un "bas", on fait revenir la soyouse, ce qui est parfaitement logique. Le vieil homme finit par mourir, ce qui arrive à tout le monde. Et ce n'est qu'à posteriori, en réécrivant l'histoire, que les Bengel font, de l'intervention de Georgette, la cause de la maladie du père.
"Elle a aussi librement et volontairement confessé que le diable Piercin lui a baillé de la graisse, faite de grosses araignées, et de bêtes jaunes venimeuses, et qu'environ passé huit ans elle en engraissa cinq petits cochons, appartenant à Jehan le Tisserand, dont quatre moururent, mais elle en reguérit la cinquième avec une autre graisse, comme il était malade auprès du feu."
Vraiment, c'est une habitude à Rothau ! Quand Georgette empoisonne une personne ou une bête, on la fait revenir et on lui confie à nouveau le patient !
Moi, je suis de plus en plus portée à penser que les cinq petits cochons étaient déjà malades quand on a fait venir la soyouse ; et que, si quatre sur cinq moururent, on pourrait dire aussi, en présentant les choses sous un jour plus bienveillant, qu'elle en a guéri un, après essais et erreurs puisqu'elle a changé entre temps de remède (" avec une autre graisse")
Oui, avec Georgette, j'ai plutôt l'impression d'une soyouse que d'une empoisonneuse, même si elle ne réussit pas toujours à guérir ses patients, et même si elle a incontestablement des aspects ambigus.
C'est d'ailleurs la version de Georgette, qui soutient qu'elle n'a pas voulu tuer.
Voici sa version des faits : après avoir rendu malade le père Bengel, elle revient ensuite pour le guérir. Mais là pas de chance : elle croise Nicole, la veuve du Muller, qui, " feignant d'en être marrie," le fit mourir tout à fait. Si tu te souviens de la confession de Nicole, cher lecteur, tu sais qu'elle aussi semble bien être une soyouse.
Donc, devant le cas difficile du père Bengel, les deux "consoeurs" se sont consultées. Et, d'après Georgette, la vraie meurtrière, c'est Nicole.
Remarquez que Georgette n'est pas si racousate qu'on pourrait croire. De vrai, la Nicole ne risque plus rien : elle est déjà morte, et beaucoup aimeraient savoir comment.
Nicole, tu t'en souviens, c'est cette meunière qui, d'après les dossiers de la justice, " fut ramenée en son logis, sans signe d'indisposition quelconque, et fut néanmoins le lendemain trouvée morte sur le lit, gisante".
Tu te souviens aussi que l'autorité n'avait aucune intention de pousser l'enquête très loin.
Ahoudé, bonne fille, Georgette conforte la thèse officielle : oui, c'est bien le diable qui a tué Nicole, Piercin lui même est venu le lui dire, et aussi comment elle mourut.
Voilà qui suffit à la justice, qui n'est pas assez intéressée par le sujet pour inscrire au protocole la relation que Piercin fit à Georgette de la mort violente de la Müllerin.
Pour prix de sa complaisance, il n'est pas impossible que Georgette ait sauvé sa vie. En effet, elle confesse, entre autres méfaits, avoir fait mourir un cheval grison appartenant à " notre très haut et très bénin prince et seigneur". L'on peut donc, sous toutes réserves, rapprocher cet aveu d'une légende bien connue selon laquelle le Comte de Veldence, lorsqu'il voulut mettre fin aux procès de haxellerie, cassa lui-même la jambe de son cheval et cria au sortilège. On tortura une femme, qui avoua. C'est alors que le Comte rétablit la vérité, et fit donner la question au bourreau, qui reconnut avoir appliqué des tortures trop fortes et fait condamner des innocents.
A partir de là, c'est la fin des procès de haxellerie. Enfin, à peu près. Il continue quand même d'y en avoir un de temps en temps.
La femme en question était-elle Georgette ? Devons nous imaginer qu'elle fut libérée après sa confession ? Peu importe, au fond. Dans peu d'années, Rothau sera une ville peuplée de gens morts, parmi lesquels Georgette si elle a survécu jusque là.
ETHNOLOGIE
LE "MACABRE EXTERNE"
A Molsheim, le 1er juillet 1634, Hänsel Spängel et sa cuisinière, Susanna Loglerin sont jugés et condamnés au bannissement (oui, au simple bannissement, alors que les bûchers flambaient !) pour avoir vendu de la graisse humaine récupérée sur le cadavre d'un condamné. De telles pratiques, si faiblement punies, donnent consistance aux accusations de fabriquer de la graisse à partir de cadavres humains, pratique qui semble avoir été répandue et acceptée bien au-delà du cercle des "sorciers".
Le caractère répugnant, et même macabre, des moyens de se soigner, était général à l'époque, et socialement accepté.
Au Ban de la Roche, à propos du cas de Nicole la meunière, nous avons vu que le bourreau fait équipe avec le chirurgien et sert, au moins, de médecin légiste. Plus tard, au siècle des Lumières, nous verrons la douce Sara Banzet elle-même s'étonner qu'il puisse être absent lorsqu'on décroche un pendu. Ceci nous rappelle que, dans l'Allemagne du Moyen-Age, c'est au bourreau que l'on faisait appel pour les cas de chirurgie difficile comme les fractures. Le terme "chirurgien" désignant en fait un simple barbier, on lui confiait la bobologie, mais c'est au bourreau que l'on s'adressait pour les choses sérieuses.
Et l'on avait bien raison, puisque les facultés de médecine avaient interdiction de pratiquer les dissections. Le "justicier" était donc, du fait des tortures qu'il pratiquait, la seule personne au fait de l'anatomie.
La transmission des connaissances médicales présentait d'évidentes limites, puisqu'il n'y avait pas, ou peu, d'universités, de bibliothèques, etc …
Or, comme on sait, " c'est la dose qui fait le poison".
La question se pose donc de savoir comment la soyouse (et le médecin) s'y prenaient pour savoir quelle est la dose qui soigne et quelle est celle qui tue. Procédait-t-on par essais et erreurs ? Si oui, il y a de quoi frissonner… Il est possible que notre Georgette ait eu parfois le défaut de procéder ainsi. Sur la portée de petits cochons dont, à l'issue de ses soins, un se trouve guéri et les autres morts, elle a essayé deux pommades successives dont l'une, après expérience, s'avéra la bonne.
Parmi ses patients humains, ceux qui ont à se plaindre d'elle sont, comme par hasard, le père de Bengel Hans, charpentier, et la fille de Didier, charpentier, lui aussi. Ceci alors que Georgette montre un caractère des plus âpre quand elle a un litige à propos de bois. Il est possible que la famille Bengel ait eu quelques sérieuses raisons de se demander pourquoi les échecs médicaux de Georgette tombaient précisément sur elle et sur ses collègues-charpentiers.
Dans le contexte de l'époque, pouvait-il exister des soyous , ou même des médecins, qui ne fussent pas des dangers publics ?
A mon avis, s'il en existait, c'étaient ceux qui se contentaient des remèdes les plus simples : la pomme, l'ortie, l'ail. Ces plantes sont autant de miracles de la nature.
Il existait aussi un certain nombre de soyous qui pratiquaient résolument ce que j'appellerai le "macabre externe", c'est à dire qui prescrivaient des remèdes simples, efficaces à l'intérieur de leur limites, et à peu près sans danger, tout en les associant à un folklore effrayant. Le problème était de convaincre les patients de prendre au sérieux des plantes aussi modestes.
D'où l'importance, pour le soyou, d'entourer sa prescription d'un récit bien macabre destiné à la faire prendre au sérieux.
J'appelle "macabre externe" tout ce folklore à base de graisse humaine et autres horreurs, qui ont pour point commun qu'il ne faut pas s'affoler trop vite : le malade n'en avalera rien. Nous sommes en plein cœur du célèbre effet placebo.
La généalogie menant à tout, j'ai eu l'occasion d'apprendre la miraculeuse recette qu'absorbaient, dit-on, les détrousseurs de cadavres lyonnais pour s'emparer des effets des pestiférés sans tomber eux-mêmes malades.
Il s'agit tout simplement d'ail macéré dans du vinaigre. Simple et efficace. L'ail est, dit-on, un antibiotique naturel. Il est possible qu'il ait vraiment évité certaines contaminations, surtout si l'on songe que la peste dans sa forme la plus contagieuse, à savoir la peste pulmonaire, se transmet par voie aérienne. Comme les morts ne postillonnent pas, je crois aisément que les détrousseurs de cadavres, comparant le nombre de morts dans leurs rangs à ceux des autres "professions", aient été raisonnablement satisfaits de leur remède.
Ensuite, celui-ci continua de se transmettre dans les familles. Bien sur, on ne lui demandait plus que de guérir des rhumes et des angines, mais n'empêche ! Les malades le prenaient au sérieux ! Pensez ! Un remède devant lequel la peste elle-même avait du céder le pas !
Au moins ce remède n'empoisonna-t-il personne car, si quelqu'un était mort d'une absorption d'ail et de vinaigre, même en se trompant sur la dose, cela se saurait.
Il est donc légitime de qualifier de médecin très compétent le soyou qui l'a mis au point.
Plus tard, nous aurons l'occasion de parler du Petit Albert, un sommet du macabre externe.
Cela veut-il dire que nos soyous étaient des personnes totalement inoffensives ?
Je ne le crois pas. Je crois qu'il faut tenir le milieu quand on parle d'eux, et se garder des deux extrêmes, à savoir :
1) l'extrême de condamnation, qui voit en eux deux suppôts du diable ; et
2) l'extrême de naïveté, qui voit en eux " simplement des femmes qui connaissaient les plantes", en quelque sorte de braves mamies qui ne faisaient rien d'autre que de vous donner une infusion de tilleul pour dormir.
La vérité n'était dans aucun de ces extrêmes.
La question se pose de savoir si celui qui "connaissait les plantes" ne s'en servait que pour guérir. N'y avait-il pas la tentation d'accélérer la fin de celui qui mettait trop longtemps à mourir ?
Une personne âgée me raconta un jour, comme une totale évidence, que l'on étouffait entre deux matelas les personnes mordues par un chien enragé. Je ne sais pas si la coutume était du Ban de la Roche, car cette personne avait des ancêtres de plusieurs origines. C'était une très brave femme, mais elle racontait cette coutume sans la remettre en question et sans même imaginer qu'elle puisse susciter une enquête de gendarmerie.
A ce propos, comme avant moi Conan Doyle, je me permets d'attirer l'attention sur " le bizarre incident du chien pendant la nuit". Dans le roman dont il s'agit, le bizarre incident du chien consiste en une abstention : le chien n'a pas aboyé alors qu'il aurait du le faire. Dans le même ordre d'idées, je me permets de m'étonner qu'il n'y ait pas eu davantage, au Ban de la Roche, d'histoires mettant en scène des chiens et des loups, alors que la région avait des problèmes de rage.
Les légendes de loups-garous sont inconnues au Ban de la Roche ; ou du moins elles semblent l'être. En réalité, jusqu'à l'époque moderne, il y eut, dans toute la France, une légende qui s'analyse comme une histoire de loup-garou, mais racontée avec si peu de distance qu'elle n'est même pas présentée comme une légende. On la fait passer pour réalité. Quand j'étais petite, les institutrices (bien formées, laïques et républicaines) nous racontaient qu'un sujet enragé, chien ou personne, ne pouvait pas s'empêcher de mordre d'autres personnes, et de les contaminer, si bien qu'elles allaient ensuite à leur tour mordre et contaminer (sauf, bien sur, si, dûment prévenue, la victime savait donner les bonnes informations à son médecin pour bénéficier du vaccin de Pasteur). Le sujet enragé n'était pas présenté comme quelqu'un devenu agressif, qui pouvait très éventuellement mordre ou provoquer un autre type de plaie ouverte ouvrant la voie à la contagion. Non. Il était présenté comme poussé à mordre et cela seulement. On était vraiment en plein dans le mythe. Ce qui n'était pas très grave dans ce contexte laïc et moderne : la personne suspecte de rage recevait simplement un vaccin ; mais, pour les époques où le vaccin n'existait pas, on ne peut s'empêcher de penser au proverbe "Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage".
Comment faisait-on face, dans nos campagnes où il fallait se débrouiller seul, à des maladies atroces et dangereuses pour l'entourage, comme la rage ou le feu saint Antoine (ergotisme) ? Pouvait-on maîtriser les malades assez longtemps pour qu'ils meurent d'eux-mêmes ? Et jugeait-on vraiment charitable de laisser leur agonie se dérouler sans l'abréger ?
Et, à supposer même que la soyouse se soit abstenue d'abréger volontairement une agonie, il devait y avoir beaucoup d'empoisonnements involontaires quand on pense que des substances aussi dangereuses que l'ergot de seigle étaient dosées à la cuiller de cuisine. Au Ban de la Roche, les métiers de bouche étaient très représentés parmi les victimes des procès de sorcellerie, puisque, outre deux probables soyouses, dont une est aussi meunière, nous trouvons une autre meunière et deux épouses successives de Dimanche Georges, de Neuviller, un aubergiste.
Se posait aussi la question de l'avortement, une pure et simple nécessité dans un contexte où les femmes étaient soumises à toutes sortes de violences, mais qui devrait se pratiquer en secret.
Et j'ai bien peur de deviner de quelle plante on se servait au Ban de la Roche. Mais je m'arrête là … Je ne voudrais donner des idées à personne. Je n'ai rien contre l'avortement en général, mais j'ai tout contre le fait d'utiliser cette plante là en particulier.
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ETHNOLOGIE
Enfants morts sans baptême
"Piercin et elle sont entrés dans la maison de Philippe Maréchal pour prendre l'enfant de sa femme, qui n'était pas encore baptisé, et comme on lui demandait ce qu'elle en voulait faire, elle donna pour réponse qu'elles ont de coutume de mettre de tels petits enfants en pièces, et d'en manger les quatre parties ; du reste, il en font de la graisse, avec des araignes et des bêtes jaunes venimeuses ; et dit davantage qu'elles déterrent tels peits enfants, comme ils en ont fait, passé un an, de l'enfant de Toussaint, de la Haute Goutte au cimetière de Rothau ; comme aussi passé sept semaines au cimetière de la Neufville. Elles ont pareillement déterré, au cimetière de Rothau, un enfant à Noir Hans et un à Jean Blaise, lesquels toutefois ont été baptisés." (Confession de Georgette la Neubourgeoise)
Un enfant mort sans baptême était réputé ne pouvoir aller au paradis.
Cette croyance était très répandue dans la région. Les villages catholiques voisins du Ban de la Roche comptent de nombreuses pierres à répit qui permettent, dit-on de ressusciter l'enfant quelques secondes. Il faut bien surveiller le petit cadavre. A un certain moment, il va bouger, oh ! juste une seconde. Il faut vite en profiter pour le baptiser.
Les prêtres catholiques tonnaient contre de telles "superstitions" mais n'offraient guère de consolation aux malheureux parents.
On aurait pu penser qu'avec le protestantisme, les pasteurs auraient rassuré les parents sur le sort du petit innocent.
Mais comme on peut le voir par l'extrait publié plus haut, il n'en était rien.
Il faut se replacer dans le contexte psychologique de l'époque pour comprendre quel pouvait être le désespoir de parents à qui prêtres et pasteurs, pour préserver leur pouvoir, faisaient croire que leurs enfants mort-nés allaient dans les limbes, c'est à dire qu'ils se voyaient refuser le paradis. Il faut ajouter à cela qu'en cas d'accouchement difficile, on éventrait parfois la femme dans l'espoir de pouvoir baptiser le bébé une seconde avant qu'il meure. On ne peut qu'être indigné de cette instrumentalisation du baptême, et comprendre que ce n'est peut-être pas par hasard que les mouvements de réforme les plus radicaux se sont attaqués à ce sacrement : les anabaptistes refusaient toute valeur au baptême des enfants, et ne baptisaient que les adultes.
Peut être y a-t-il là une clé de la sympathie que Saint Jean Baptiste inspirait à la population, et de l'antipathie qu'il inspirait au pasteur Marmet. En effet, Jean, et le Christ après lui, baptisait des adultes, apportant ainsi la caution de la Bible aux hérétiques mennonites. Il devait être difficile d'expliquer aux parents que leurs enfants morts sans baptême se verraient refuser le paradis, alors que ni Jean ni le Christ n'avaient vu l'intérêt de baptiser des enfants. Cet exemple montre combien pouvait être explosif le fait de donner tout à coup lecture du texte même de la Bible à une population qui ne s'était jusque là souciée que de ses saints locaux.
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