Quittons un instant l'Alsace pour aller faire un tour dans le canton de Berne, en Suisse, que plusieurs familles s'apprêtent à quitter pour le Ban de la Roche. Une grande persécution contre les Mennonites commence vers 1635 et se poursuit durant tout le 17ème siècle, avec un point culminant en 1671. Elle commence à Zurich et se développe à Berne. S'y ajoute, en 1653, l'échec d'un soulèvement de paysans dans plusieurs cantons dont celui de Berne, suivi d'une violente répression. Les Mennonites sont la branche non-violente des anabaptistes, dont le fondateur fut le hollandais Menno Simmons. Ils furent réprimés avec une barbarie toute particulière en Hollande au 16ème siècle : bûchers, personnes enterrées vivantes, etc … Puis la répression se transporte en Suisse, où il y a encore des condamnations à mort, comme celle de Haslibacher à Summiswald, mais elles sembles plus rares. La répression prend d'autres formes : emprisonnements, confiscation des biens, exil. Les Mennonites suisses tentent de se défendre par la parole et l'écrit : ils obtiennent que des conseils municipaux de plusieurs villes des Pays Bas écrivent en leur faveur à celui de Berne. Cette démarche est faite en vain, mais elle nous montre l'intense courant de communication entre les anabaptistes des Pays Bas et ceux de Suisse : l'on se connaît, l'on s'écrit, l'on voyage, l'on intervient les uns en faveur des autres ; il ne s'agit aucunement de deux communautés distinctes. En Suisse, l'heure est à la reprise en main. Les pasteurs sont informés de ce qu'il y a, dans les hameaux reculés, des paroissiens qui ont tendance à sécher le culte et même à omettre de faire baptiser leurs enfants. Ils sont invités à dresser la liste de leurs ouailles et à noter les faits qui témoignent de leur bonne ou mauvaise pratique religieuse : liste de ceux qui participent à la Sainte Cène (les anabaptistes évitent de la prendre avec les autres protestants) ; vérification du fait que les enfants sont baptisés. Les mauvais pratiquants doivent être dénoncés aux autorités. Que faire face à une telle répression quand on est résolument non violent ? Il paraît qu'il n'y a que trois réactions possibles face à la violence : la lutte, la fuite et l'acceptation de la destruction. Nous éliminerons par construction la lutte, puisque les Mennonites sont non-violents. S'agissant de l'acceptation de la destruction, elle existe dans une certaine mesure, et les Mennonites tendent à glorifier leurs martyrs. En témoigne un livre de l'époque, écrit 17ème siècle en hollandais, et traduit en anglais sous le titre The Martyr's mirror of the defenceless Christians, aujourd'hui sur internet, livre qui est une source des plus précieuses sur ce moment de l'histoire. Mais la grande méthode Mennonite, c'est la fuite. Quand ils sont persécutés, voire simplement mal à l'aise, à un endroit, ils déménagent, et l'histoire de leurs migrations les conduira partout dans le monde, en particulier aux Etats-Unis. D'où un mode de vie basé sur la séparation d'avec le reste de la société qui leur vaut, dès cette époque, l'appellation de "secte". Entendons-nous : ils ne sont pas spécialement ennemis du genre humain, et sont même généralement considérés comme travailleurs, honnêtes, bienveillants et conservateurs. Mais que faire dans la société hyperviolente de l'Ancien Régime si l'on ne veut ni déployer en retour le même degré de violence, ni se laisser dévorer ? Il ne reste plus qu'à vivre à part. Cette tendance fut renforcée par l'évolution des choses : en Suisse, d'après le Martyr's Mirror, certains anabaptistes avaient des conjoints n'appartenant pas à leur église. Ces conjoints refusèrent souvent de les suivre dans leur exil, et furent encouragés dans cet abandon par leurs pasteurs, qui les autorisèrent à se remarier. En principe, à l'époque, le divorce n'était évidemment pas autorisé, mais l'on fit exception, si bien que beaucoup d'exilés partirent non seulement sans leurs biens, mais également sans leur famille. Il y avait de quoi en conclure qu'un mariage mixte ne durait que tant que tout allait bien. Au demeurant, était-il bien raisonnable d'exiger d'un conjoint calviniste qu'il vive une vie d'errance par fidélité à une religion qui n'était pas la sienne ? Et comment devait se passer la cohabitation entre, par exemple, un mari mennonite refusant de faire baptiser ses enfants, et une femme persuadée que les enfants morts sans baptême ne pouvaient accéder au paradis ? La tendance était donc au repli sur soi. Les Mennonites prirent l'habitude de vivre en autarcie dans des fermes reculées, sous l'autorité du Pater Familias, lisant la Bible, portant un vêtement de couleur unie, dépourvu d'ornements frivoles, refusant de boire, de jurer, de participer à des divertissements |