Au milieu du 17ème siècle, le Ban de la Roche offre un visage fort peu riant. L'activité de fonderie a produit un important déboisement. Même si la forge n'avait pas été brûlée, il est probable que le manque de combustible aurait fini par en limiter sérieusement l'exercice. En tous cas, il est impossible de redémarrer. Au centre de Rothau, le squelette de la forge fait face au château noirci. La campagne est pelée. Entre de larges cercles noirs, qui furent autant de meules servant à fabriquer du charbon de bois, la vie reprend ses droits sous la forme de jeunes arbres. Les maisons ont souvent chadé, c'est à dire : le toit de paille et les parties boisées. Mais les murs des maisons lorraines sont solides et restent debout. En réparant, on peut s'installer assez vite, mais cela fait quand même une drôle d'impression d'habiter chez un mort, et d'avoir des maisons vides en guise de voisins. Des familles viennent de l'extérieur : au recensement de 1655, une famille Gannier a rejoint la famille Holveck à Rothau. En 1649, Jean Neuviller et sa femme Anne Ringelsbach louent la cense seigneuriale du Bas Lachamp, à Bellefosse, près de la ruine du schloss de la Roche. Ils disent venir du canton de Berne, en Suisse, mais portent des noms étrangement caractéristiques du Ban de la Roche. Ils sont marcaires, c'est à dire qu'ils élèvent tout un troupeau de vaches, pas des grébottes, mais des vraies, qui produisent lait, beurre et fromage. On les appelle des varies, car leur robe est de couleur variée, d'un blanc orné de belles taches brunes. Cela peut paraître banal, mais c'est assez nouveau, au Ban de la Roche, de demander à des vaches de produire du lait plutôt que des bœufs de trait. La disparition de la forge explique sans doute cette innovation des plus positives pour la population pauvre. Il vient aussi des familles dont l'origine suisse est plus certaine, au moins pour les générations récentes, en particulier celle de Balthazar Kommer, qui épouse Catherine Neuviller. Balthazar n'a pas du venir seul, car l'époque voit arriver plusieurs Kommer qui ne descendent pas de lui : Christine épouse d'Ulrich Sommer ; Catherine épouse de Jean Sommer ; Pierre époux de Marie Neuviller. Les familles immigrées sont-elles anabaptistes ? Rien d'indiscutable ne le montre, du moins pour celles arrivées avant 1671, année de la grande persécution anti-mennonite dans le canton de Berne. Les familles suisses du Ban de la Roche, à l'exception des Sommer, finiront par s'intégrer au reste de la population et pratiquent apparemment la même religion. Il est cependant permis de formuler l'hypothèse que certaines familles ont été anabaptistes à l'origine, et le sont restées secrètement durant une période qu'il est difficile de déterminer. Il n'y a pas de preuves à l'appui de cette hypothèse, seulement des indices, que nous observerons plus loin dans ce livre à propos de certaines familles comme les Kommer ou les Verly. En revanche, à supposer que les Krieger avaient été anabaptistes en arrivant, ils ne le sont pas restés longtemps. En effet, Didier Krieger est justicier à Bellefosse, ce qui est totalement incompatible avec les idées anabaptistes de retrait du monde. Ceux-ci refusent d'exercer toute fonction officielle, même s'ils obéissent à l'autorité. |