A peu près à l'époque du recensement de 1655, de nouveaux habitants viennent se joindre aux quelques familles restées à Belmont. Il s'agit des Claude et des Banzet, venus de Bellefosse, et des Verly, venus de Suisse. Ces trois familles, mariées et remariées entre elles au fil des générations, vont former la base de la population de Belmont. Voici donc, au tournant du 17ème siècle, Jean Verly et sa femme Chrétienne qui arrivent du Canton de Berne. Jean est marcaire, c'est à dire qu'il élève, pour produire des laitages, un vrai troupeau de plusieurs vaches. Quel luxe ! Autrefois, on ne pouvait en élever qu'une. C'est sans doute l'absence des forges qui rend les Veldenz si généreux de leurs parcours. Le Champ de Feu, au-dessus de Belmont, présente un beau tapis d'herbes vertes, et il y a tout lieu de penser que les Verly vivent sans difficulté majeure de leur troupeau, du moins aux heures ci. Mais l'impression de vivre dans un village de gens morts est palpable. Nombreuses sont les maisons vides et les chemins qui ne hayent plus nulle part. Le vieux grand père Steff, dont l'esprit hocke au temps de la fois là, parle des habitants d'avant-guerre comme si c'étaient des voisins d'aux heures-ci : le Jean Dietrich a fait ci, le Claude Dreher a dit ça ; ce sorcier de Colas Milan a eu bien de la chance de n'être pas fralé avec son fils ; la femme au Jeandon Gaillard n'est pas trop enragée à la moté. A force qu'on en parle, tous ces gens morts , dont on vous montre le champ, la maison, la mine, finissent par rester les vrais habitants du village. Même dans sa propre maison, l'on se sent comme des batiss qui se seraient installés chez d'autres comme un ver dans un fruit. Ahoudé, le Jean Verly mène ses vaches à une heure de marche, près de la source de la Chergoutte, à la Charbonnière. A l'emplacement des anciennes meules, de grands cercles noirs sont encore visibles. Le vieux Steff explique : "Les charbonniers restaient sur place, dans de petites logettes, pour surveiller la cuisson de leur meule." De temps en temps, arrivait le ban-houa qui hostlait sa ganguiolotte: "Faut mener la benne à Roth !" Il faut mener la benne à Rothau ! C'était le moment que chaque charbonnier vienne placer sa production dans la grande cherpeye d'osier, qui allait partir pour la forge. Il y avait aussi des tronces que l'on faisait flotter le long de la Chergoutte. Un étang artificiel les rassemblait à hauteur de Bambois, puis, on les faisait descendre le long de la rivière. Aux heures-ci, la ganguiolotte fait sourd, l'étang artificiel est à sec, la benne passe plus, le ban-houa est mort, les charbonniers aussi. Seuls les ouet sotrés prospèrent. Il y en a partout. Il ne faut pas prendre de nuit le chemin du Wolf, de crainte d'être suivi par le fantôme du loup qui y est mort de faim. Toujours aux alentours de l'ancienne mine d'argent, il faut prendre garde à la charrette fantôme. Celui qui la rencontre peut être contraint de la suivre au fond de la mine. Dans la bouche du vieux Steff, la mine d'argent devient gigantesque, un réseau entier de vastes galeries voûtées dans lesquelles on circulait à cheval. Voyant la taille de l'entrée, Jean Verly doute un peu. D'une façon générale, dans la mémoire des plus vieux Bémons, tout ce qui appartient au passé tend à grandir : la mine d'argent paraît gigantesque, la fortune perdue du Ban de la Roche également. Dans ce village presque vide, chacun tend l'oreille. Un bruit qui semble régulier et circulaire ? C'est un bruit de roues et, comme il n'y a plus de voiturage, c'est maïnté une charrette fantôme. Un bruit de golotte qu'on voit pas couler ? C'est la source que le dernier mineur a trouvée, puis enterrée sous du minerai : le propriétaire du champ voisin lui avait refusé un pot de vin, alors, nam qu'il hayait mie y bailler sa neuve source ! Ou bien, c'est le bach qui a jailli à l'emplacement de la cloche d'argent. Un bruit de feuilles froissées ? C'est forcément un sotré qui suit le voyageur attardé. Le sous-sol vit. Il a ses rus, que l'on entend golotter en approchant l'oreille du sol. Ses mines, dont on voit l'entrée. Sa charrette, qui ne peut trouver le repos et continue à transporter du minerai. Sa moté, où se rassemblent les bourgeois de la fois-là, appelés par le son de la cloche d'argent. Ses enfants non encore nés, que l'on entend rire si l'on pose l'oreille sur la Pierre aux Poupons. Ses trésors, car le Ban de la Roche d'en dessous est aussi riche que celui du dessus est pauvre. Le renouvellement de la population du village explique sans doute comment peuvent trouver créance des histoires qui déforment le passé au point de faire surgir un village imaginaire : on raconte qu'un village proche de Belmont, nommé Le Grand Courteau, fut entièrement détruit et ses habitants mis à mort après de terribles tortures. On situe ce village avec précision : il se trouvait entre la Hutte et Freudeneck (deux hameaux de Belmont, le second étant parfois aussi appelé Bambois, à ne pas confondre avec le Bambois de Plaine, village catholique), à un endroit que l'on nomme aujourd'hui "Outre aux prés". On le décrit : il était tout en longueur. Or, il n'existe aucune mention dans les actes d'un village nommé Le Grand Courteau. Mais un village (??? ou un hameau ???) nommé Granuso fut un temps donné à fief à un certain Jean Herlin, et fit retour à Gérothée de Rathsamhausen le 3 janvier 1489. A-t-il existé un écart ? Un hameau ? Un lieudit dont l'appellation aurait varié dans le temps ? Le Ban de la Roche est un habitat dispersé, et il n'est pas évident de s'y retrouver dans le nom des différents lieux-dits. Ajoutons que les nouveaux habitants de Belmont, souvent germanophones, doivent probablement bien déformer les mots qu'ils entendent et répètent. En tous cas, l'archéologie a mis au jour, entre Belmont et le hameau de Freudeneck, des fondations de murs très épais désormais enfouis sous la route. On dit aussi qu'un jour, on trouva un rouet enfoui sous un monceau de pierres. Quelle est la femme qui l'a enterré, et n'a pas vécu pour venir le reprendre ? Une Diétrich ? Une Schneider alias Parmentier ? Une Trommenschlagger alias Tabourin ? Une Mayer ? On n'a que l'embarras du choix : ce ne sont pas les familles disparues qui manquent … On dit encore que le village de Solbach fut entièrement détruit et que le village qui porte aujourd'hui ce nom a été construit sur un nouvel emplacement. En tous cas, la population en a été entièrement renouvelée. Pour la période 1612-1623, Denis Leypold y a relevé les noms de Arnold, Diria et Womm alors que le reconsement de 1655 y situe des Bernard, Lux, Colla, Banzet et Rochelle.
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