table des matières, tome 2
DRAME A LA PILE



       Une pile, c'est le petit nom familier que l'on donne à une huilerie.

       Les femmes s'y rendent souvent au ragain avec la récolte de faines qu'elles ont recueillies dans les buos, et dont on peut tirer, en les pressant, une huile comestible.

       Mais, en ce 18 novembre 1738, c'est du chanvre que veut piler la Catherine Morel, servante du pasteur Reinbold.

       La jeune femme a du insister plusieurs fois auprès de son maître pour obtenir la permission de se rendre à la pile du bas Waldersbach.

       Savoir sa servante à la pile, le pasteur n'aime pas cela. Et comme on le comprend !

       Une pile, c'est quand même un moulin, malgré ce drôle de mot patois qui a l'air d'un diminutif. Cela donne l'impression d'une sorte de petit moulin pour dames. Or, tous les meuniers vous le diront : un moulin, c'est un moulin. Il y en des plus gros ou des plus petits, mais il faut toujours un mécanisme assez important pour entraîner les meules. Ce n'est pas un joujou pour dames (bien sur, si un jour elles apprennent l'art du meunier et celui du forgeron, on pourra en reparler, mais restons, s'il vous plait en 1738 ; c'est déjà assez compliqué de raconter une histoire à la fois).

       Voici donc Catherine qui quitte le presbytère de Waldersbach et qui descend jusqu'au moulin au bas du village.

       Le pasteur Rheinbold est contrarié. Non pas qu'il ait eu vraiment des mots durs pour Catherine, mais enfin, il lui a clairement fait comprendre qu'elle lui tannait le cuir. Et pourtant, la brave fille voulait bien faire. Après tout, c'est pour lui qu'elle pile.

       Il faudra se réconcilier. Le pasteur, dans sa tête, cherche le mot gentil qu'il pourrait dire à Catherine. Il faudra, bien sur que se soit à propos de son travail, mais surtout pas à propos de ses activités de meunière improvisée. Cela, décidément, le pasteur ne veut pas l'encourager. C'est trop dangereux.

       Peut être pourra-t-il lui faire un compliment sur la cuisine, ou sur la couture … les neurones du pasteur s'activent, cherchant à faire surgir la meilleure occasion, celle qui présentera le plus d'avantages et le moins d'inconvénients.

       Le pasteur Rheinbold n'aura pas l'occasion de se réconcilier avec Catherine. C'est un cadavre que l'on ramène au presbytère. La jeune femme, happée par le mécanisme, est morte la tête écrasée.

       Elle avait 28 ans.

       Longtemps encore, et même au temps du pasteur Oberlin, on entendra gémir son fantôme à la pile du bas Waldersbach.


Spectra
(écrit par le pasteur Oberlin en 1774 ; publié dans l'Essor n° 174)

"Une autre fois, la même Anne-Catherine Gannière, se trouvant à la même pile avec une autre fille, elle entendit pleurer avec une voix de femme, longtemps, de sorte qu'elle craignit beaucoup que sa camarade, la venant aussi à entendre, ne quittât le travail en s'enfuyant. Pour cette raison, elle se tint continuellement du côté de la pierre où elle entendit les pleurs, et eut soin de faire rester l'autre fille de l'autre côté.

NB : L'année 1738, le 18 novembre, Catherine-Marguerite Morel, fille de Jean de Foudai et sœur de Madeleine et de Suzanne, avait demandé à Monsieur le ministre Reinbold où elle servit, d'oser aller piler du chanvre, et, en ayant enfin, à force de prières, obtenu la permission, elle s'embarrassa dans les roues, et eut la tête écrasée dans la même pile. Elle était âgée de 28 ans."






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