table des matières, tome 2
MEMOIRE SORCIERE



       En reste-t-il quelque chose, de ces sorcières que l'on a si énergiquement brûlées vers 1620 ?

       Il en reste assurément de la mémoire, parfois pour les déblamer (la crainte des sorcières existe au Ban de la Roche), mais aussi pour prendre leur parti. En témoigne la légende bien connue du cheval du Comte : pour arrêter les procès, le Comte de Veldenz aurait cassé lui-même la jambe de cheval et crié au sortilège ; on lui aurait trouvé une coupable, la torture aidant ; il aurait alors dénoncé sa propre supercherie, et fait donner la question au bourreau, qui aurait avoué avoir pratiqué des tortures trop dures et fait condamner des innocents.

       Au milieu du 18ème siècle, le témoignage de Stouber est fondamental. Il conseille à Oberlin de ne pas encourager ses paroissiens à raconter des histoires de sorcières, car cela n'incite pas au pardon. Manifestement, la mémoire sur ce point le gêne. Il note également que les églises sont petites, mal tenues, et la population réticente à y entrer. Nous voilà donc fort loin de l'image traditionnelle d'un Ban de la Roche confit en dévotion, symbole et haut-lieu du protestantisme, qui dominera après les ministères de Stouber et Oberlin.

       Le parti sorcier garde donc au moins une part de son influence jusqu'à Stouber.

       A cela, plusieurs raisons.

       Tout d'abord nous avons vu que les familles sorcières, qui habitaient souvent des écarts et hameaux protégés des regards de la soldatesque, ont plutôt mieux survécu que d'autres à la guerre des Suédois.

       De plus, on dirait que les ancêtres eux-mêmes, où qu'ils soient ahoudé, aient voulu aider à ce que la mémoire sorcière soit transmise dans une sorte de clandestinité, car les lignées sorcières fleurissent avec abondance, mais sans visibilité.

       En effet, ces familles ont produit -pourquoi ? Dieu le sait peut être ; Piercin plus probablement ; moi maïnté que non- des générations entières de filles qui ont transmis leur sang et leur mémoire, mais pas leur nom.

       On pourrait presque parler d'une épidémie de naissances féminines :

- Madeleine Thon, sorcière dont nous avons publié la confession, a un seul enfant connu ; c'est une fille, Marie, épouse Neuviller ; celle-ci a six filles : Mougeotte épouse Claude ; Catherine épouse Balthazar Kommer ; Jeanne épouse Banzet ; Marie épouse Pierre Kommer ; Marguerite épouse Verly ; six noms en deux générations !
- Mougeotte Milan, née vers 1602, a vu, à l'âge de 18 ou 20 ans, brûler son frère, dont le prénom nous restera inconnu, car les autorités n'ont pas cru nécessaire de le noter dans leurs protocoles ; Mougeotte vivra jusqu'en 1692, ce qui la mettra en mesure de transmettre la mémoire presque un siècle entier ; elle a, sous le nom de son mari, bien sûr, deux enfants ; un fils, George Marchal, ou Schmitt : et une fille, Jeanne épouse Neuviller, qui a elle-même a trois filles qui auront une vaste descendance sous divers noms ; et deux garçons : Jean-Georges et Nicolas, ce dernier ayant probablement émigré car nous n'avons que sa date de naissance
- Babilon, femme de Bourtran, de la Haute Goutte (nom d'un hameau de Neuviller ainsi que d'une ferme qui s'appellera plus tard le Sommerhoff), était en instance d'exécution en 1621, sans que nous puissions dire de façon totalement affirmative si elle a chadé ; le prénom de Bertrand (Bourtran), n'est pas commun au Ban de la Roche ; nous pouvons donc, sans trop craindre de nous tromper, en faire l'épouse de cet homme de la Haute Goutte que l'on appelait indifféremment Beurtrin ou Lienard ; Beurtrin d'après le prénom de son père, comme on le faisait la fois là ; et Liénard d'après le nom de famille du même père, comme on le fait au Ban de la Roche quand on se pique de vivre avec son temps ; ce prénom et ce nom étant rares (et même, à notre connaissance, uniques) au Ban de la Roche à cette époque, nous pouvons, sans trop craindre les pièges de l'homonymie, faire de Bertrand Lienard et de sa femme Babilon les parents de ce Nicolas Beurtrin-alias-Lienard, également de Neuviller, qui naît vers 1618 ; tu me trouveras peut être intrépide, cher lecteur ! mais franchement, je sais ce que je fais ! je ne m'amuserais pas à faire le même genre de raisonnement si j'avais un Dimanche Colas à la place d'un Bertrand Liénard.
       Donc, vers 1621, un enfant de trois ans, Nicolas Beurtrin-Lienard, voit chader sa mère à La Perheux ; ce genre d'événement, ça laisse des traces dans une psychologie ; ces traces, Nicolas les gardera et les transmettra presque un siècle durant, puisqu'il mourra en 1698 ; il a quatre filles, dont Mougeotte, épouse Malaisé.

       A tout cela, ajoutons la capacité de camouflage de la famille Georges, que nous trouvons sous les noms de Ringelsbach (ce nom pouvant aussi mousser des anabaptistes Ringisprecher) ; Jorg ; Hierig ; Grandgeorges ; Christmann (ce nom pouvant également abriter des Colas). Cette famille sorcière se porte à merveille, c'est un véritable fleuve mais, à lire les registres paroissiaux, on croirait qu'il ne s'agit que d'une petite golotte.


Descendance de Bertrand Liénard, de la Hautte Goutte

Génération 1

Bertrand (en patois Beurtrin, ou Bourtran) Liénard, x Elizabeth (en patois Babilon ; en instance d'exécution en 1621 ; pas de nouvelles ensuite) ; d'où probablement Nicolas et David

Génération 2

Nicolas Beurtrin, ou Lienard ; o vers 1618 ; + 11 01 1698 à Neuviller ; x Jeanne ; d'où Salomé, Catherine, Mougeotte, Régine

David Liénard, dit Beurtrin, de la Haute Goutte ; x Catherine Babylon ; d'où Gladon, Jeanne et Barthel ; cette famille semble avoir émigré à Barr entre 1652 et 1655

Génération 3

De Nicolas
Mougeotte Beurtrin ou Liénard ; b 13 8 1652 Neuviller ; + 28 3 1717 Neuviller ; x Jean Malaisé, cabaretier ; d'où Catherine, Jeanne, Jeanne (x Groshans), Christian( x Morel, xx Morel), Benoit (x Morel, xx Nuss), Dimanche (x Morel)

De David
Gladon ; Jeanne ; Barthel






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