Quand les premiers métiers à tisser sont ils apparus au Ban de la Roche ? Il est difficile de répondre avec précision, mais nous avons au moins remarqué que Stouber, à son arrivée, s'est plaint de devoir faire l'école dans des maisons encombrées, entre autres, d'un métier à tisser. Donc, dès les années 1750 au moins, il y avait quelque chose. Peut-être tissait-on déjà pour Sainte-Marie aux Mines. En tous cas, il y avait une circulation de population entre Le Ban de la Roche et Sainte Marie : l'on se souvient que les immigrants suisses de religion réformée, ou supposée telle, allaient une fois par mois prendre la Sainte Cène à Sainte Marie. Six heures de trajet, à pied, à craouer des rains de montagne, avec la chaîne et la trame sur le dos. Cela n'empêche pas le pasteur Oberlin de se plaindre à Stouber de la nonchalance de ses paroissiens. C'est un des rares points de divergence entre les pasteurs Stouber et Oberlin. Autant le premier est méfiant vis à vis des projets trop grands et des industriels trop avides, autant le second ne jure que par l'industrie comme moyen d'améliorer le bien être de ses paroissiens. Stouber le met en garde en ces termes : "Vouloir mettre les Ban de la Rochois au travail est certes une noble entreprise, celle qui, par excellence, mérite des éloges. Mais elle dépasse pratiquement toutes nos forces. Nous n'en avons ni les moyens ni l'autorité, et eux n'en ont pas envie et n'y croient pas. Dans ces conditions, comment espérer un résultat ? Le mieux est de nous préoccuper d'abord de leurs âmes. S'ils deviennent chrétiens, ils deviendront tout naturellement un peu plus raisonnables, plus actifs et plus prévoyants. En tous cas, il ne serait pas souhaitable qu'ils deviennent aussi avides et aussi échauffés des choses temporelles que les Allemands." En matière industrielle, les idées de Stouber sont fort bien résumées dans la suite de sa lettre : "Continuons le filage du lin, discutons du tricotage quand nous nous verrons." Non par manque d'ambition mais pour être certain de maîtriser les projets entrepris. Il a observé la rapacité des industriels "allemands" (germanophones). En revanche, Oberlin reste persuadé que le développement industriel est indispensable. Il convainc l'industriel Jean-Georges Reber, de Sainte Marie aux mines, d'installer une filature à Waldersbach. Probablement ne faut-il pas imaginer une usine au sens moderne du terme, mais plutôt une réunion de fileuses dans un même petit local. Reste à convaincre les Ban de la Rochoises qu'une femme honnête peut occuper un emploi salarié. Pour ce faire, Madame Oberlin s'embauche elle-même à la filature. Nous avons vu aussi que l'institution des "conductrices de la tendre enfance" a un double objectif : enseigner les enfants, certes, mais aussi permettre à leurs mères de travailler à l'extérieur. Cette importance accordée au travail est une caractéristique du mouvement piétiste, pour qui la religion est affaire de vie intérieure. On doit travailler sur soi, et aussi travailler extérieurement. Pour Oberlin, le travail peut être matériel, intellectuel ou spirituel, mais aucune seconde ne doit être perdue. Des pensées pieuses sont inscrites jusque sur le dos des cartes à jouer. Et c'est mieux encore si l'on peut faire coup double, comme en tricotant, exercice qui permet d'étudier le calcul (puisqu'il faut compter les mailles) tout en réalisant un objet. Les pasteurs Stouber et Oberlin restent en contact. Stouber a été obligé de quitter le Ban de la Roche pour des raisons de santé, mais son cœur y est demeuré, d'autant plus qu'à Strasbourg, les choses vont mal pour lui. Sa proximité (géographique) avec les autorités de l'Eglise est difficile à vivre. Il se trouve même au bord de la commission disciplinaire pour avoir rédigé une traduction personnelle de certains chapitres de la Bible. Cependant, il garde assez d'amis pour trouver de l'argent pour le Ban de la Roche. Il y a bien sur parfois quelques tensions entre Stouber et Oberlin. Qui ne le comprendrait, alors que le premier persiste à se comporter en "pasteur bis" du Ban de la Roche, dont le second a la charge. Mais, globalement, les deux hommes restent amis et les tensions ne dépassent pas un certain point. Miracle de l'éducation d'alors ! On prenait vraiment sur soi pour excuser les petites faiblesses des autres !
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