Ce dix octobre 1796, à la brune du soir, c'est à dire presque à la nuit, le pasteur Oberlin se trouve à La Perheux, et il est victime de ce qu'il appelle un "accident singulier". Il nous le décrit en peu de mots : "Je fus ébloui, absolument, et égaré sur la Perheux, et en danger." Nous ne saurons rien de plus, si ce n'est que, par un étrange pressentiment, une Mme Kautz "avait été pressée de prier pour ma conservation." Que dirons nous de cet incident ? Tout d'abord qu'il n'est évidemment pas question de mettre en doute la parole du pasteur Oberlin : il s'est bien passé quelque chose, ce soir là, à la Perheux. Et ce n'était pas un rêve. Oberlin marchait, puisqu'il s'est perdu. Toutefois, il est instructif de se référer à la façon dont les psychanalystes jungiens interprètent les rêves d'éblouissement. Ils les considèrent comme liés à un refus de prise de conscience. C'est l'excès de lumière qui empêche de voir. C'est à dire que l'événement gênant n'est pas dans l'ombre ni situé hors du champ de conscience, bien au contraire, il est en plein milieu, il est énorme, et c'est bien cela le problème. C'est une chose si déplaisante que nous ne souhaitons pas la voir, mais en même temps si énorme qu'on ne devrait, en théorie, pas la manquer. D'où l'image de la lumière qui éblouit. Cela se produit, pour Oberlin, à la Perheux, là où les sorcières ont été brûlées. Voilà donc le pasteur qui erre sur le champ de supplice, ébloui, aveuglé, non par le manque de lumière mais par son excès. Il se perd sur le col, il se sent en danger, sans toutefois nous dire la nature de la menace. Mais les fantômes des sorcières ne sont pas si sauvages qu'on le dit, ou alors il y aurait eu bien d'autres pasteurs qui auraient eu des ennuis à la Perheux. Ce soir là, il semblerait qu'ils aient simplement voulu rappeler leur existence à une Eglise qui a tendance à les oublier un peu, et à monter des échafaudages théoriques d'envergure planétaire pour expliquer le fait que ses pasteurs aient longtemps échoué, au Ban de la Roche, dans la tâche de conquête des coeurs. Comme s'il n'y avait pas de motifs locaux. |