table des matières, tome 3
LA REVOLUTION DE 1830



       1830. Théophile Wideman est maintenant l'époux de Marguerite Banzet, et les naissances ont commencé au foyer du jeune boulanger.

       On parle beaucoup politique à maison. Théophile est un homme d'ordre, et en même temps de progrès. Il désapprouve les excès du roi Charles X, qui veut rétablir la monarchie absolue. Cet été, il a même décidé de suspendre la liberté de la presse, de dissoudre la Chambre et de restreindre le suffrage censitaire. Qui peut donc s'étonner que le peuple de Paris se soit soulevé ?

       "L'excès des uns appelle l'excès des autres", dit Théophile, qui sait fort bien s'exprimer en haut français quand la haute politique le besogne.

       Les événements de 1830 le conduisent à s'engager dans la Garde Nationale, qui a grand besoin d'une reprise en mains. Du fait de son recrutement à base de volontaires, cette force est imprévisible et choisit son camp au gré des opinions localement majoritaires. On a vu des gardes nationaux participer aux "désordres", on en a vu les réprimer. C'est pourquoi, de plus en plus, les Préfets tendent à leur distribuer des fusils au compte-goutte, en les numérotant.

       Théophile Wideman reçoit le fusil n° 1664 : Monsieur le Préfet ne craint donc pas qu'il ajoute au désordre au lieu de le contenir. Le jeune homme est la vivante incarnation de la devise qui orne les boutons de son uniforme : "Liberté, Ordre public".

       Regardez, plus loin, l'état des hommes de la garde nationale ayant reçu des fusils : vous avez là toutes les notabilités de Rothau. Mais pas toute la garde nationale car, comme nous l'avons vu, il y a, parmi les gardes, ceux à qui l'autorité se garde bien de confier un fusil.

       Voici donc, comme chaque fois qu'il s'agit d'affaires intéressant la collectivité, le ban et l'arrière-ban de la tribu Wi(e)demann : Théophile, le boulanger ; Frédéric ; Adolphe, de l'entreprise de mécanique ; plus un Gustave dont je ne sais pas qui c'est … il doit me manquer un acte quelque part ; voilà encore deux probables beaux-frères Weidknecht.

       Voilà Frédéric Jacquel, ex manieur de fourche à la bataille de Rothau, maintenant directeur d'usine.

       Et voilà Jean-Baptiste Brignon, dont nous entendrons à nouveau parler puisqu'il deviendra maire de Rothau.

       Il faut croire que la garde nationale s'est acquittée de façon satisfaisante de la tâche de maintien de l'ordre, puisque l'histoire n'a pas trace d'événements dramatiques à Rothau, tels qu'une manifestation qui se terminerait dans le sang.

       En tous cas, les gardes nationaux de 1830, du moins ceux nantis de fusils, ont gagné leur ticket d'entrée pour la grande politique : Théophile est élu conseiller municipal ; puis, un arrêté du Préfet des Vosges en date du 24 11 1831 nomme comme maire Jean-Baptiste Brignon, et comme adjoint Théophile Widemann. Ils feront équipe de la sorte jusqu'en 1848 : Jean-Baptiste comme maire, Théophile comme adjoint. Ce qui ne veut pas dire, d'ailleurs, qu'ils se soient choisis : c'est le Préfet qui nomme.


Environnement intellectuel de Théophile Widemann
-    son grand père, Jean-Michel Wiedemann, signait déjà son nom d'une écriture fort cursive ; ce fut semble-t-il un des premiers Ban de la Rochois à savoir vraiment écrire
-    sa mère, Sara Claude, est liée à la grande dynastie des meuniers-instituteurs
-    Théophile a été éduqué sous la responsabilité du pasteur Oberlin lui-même, comme en atteste la mention des frais de scolarité à l'inventaire de succession de son père ; ce qui correspond à un choix de ses parents et non à la pente naturelle des choses (les Widemann habitaient Rothau ; Oberlin officiait à Waldersbach, dans l'autre vallée, et les communications étaient loin d'être faciles surtout en hiver).




Etat (en date du 19 12 1830) des hommes de la garde nationale de Rothau qui ont reçu des fusils.

Sergents :

Frédéric Claude et Jean-Michel Vonier

Caporal :

François Mon??tre

Soldats :

Joseph Wolff ; Charles Laurent ; Frédéric Widemann ; Frabçois Wibert ; Frédéric Jacquel ; Jean Hannus ; Jean Ha??y ; Charles Malaisé ; Frédéric Groshens ; Charles Gristin ; Guillaume Prebenach ; Gustave Widemann ; Jeremie Weidknecht ; Joseph Müller ; Théophile Widemann ; Chrétien-Frédéric Jung ; Jean-Baptiste Brignon ; Joseph Giraudel ; Joseph Antoine Marchal ; Frédéric Glassmann ; Charles Weidknecht




Descendance de Théophile Widemann

Génération 5 :

Théophile Wideman ;

o 18 12 1798 Rothau ; + 15 8 1864 Rothau ; x 7 5 1823 à Rothau avec Marguerite Banzet ; meunier (comme aide de son père) ; boulanger, propriétaire, aubergiste, cabaretier, cultivateur ; adjoint au maire de Rothau de 1831 à 1848 ; maire de 1848 à 1852


Génération 6

Une fille née morte


1-4-1-5-4-1 Louis ; o 26 9 1825 Rothau ; + 25 9 1857 à Ottawa (Illinois, USA) ; boulanger, voiturier ; liquidation de la succession le 13 8 1864 au notariat de Schirmeck 1 (cote 1758 W 14) ; x 22 11 1848 Neuviller avec Amélie Groshens (o 5 2 1829 Neuviller, + 6 7 1852 Rothau) dont Louis ; xx ca 1853 avec Caroline Nitschelm, (demeurant en 1874 à Ottawa, où lui est envoyée une copie de l'inventaire de succession), dont Frédéric-Louis ; avant son départ pour l'Amérique, il a, en date du 13 4 1853, par acte fait devant Maître Cament, notaire, donné procuration à son père pour la gestion de ses biens en France

1-4-1-5-4-2- Jean Frédéric ; o 25 8 1827 Rothau ; + 1856 ; x 22 11 1852 Rothau avec Julie Jacquel ; pasteur ; auteur d'une thèse, éditée chez Berger-Levrault, intitulée "Etude de quelques faits moraux relatifs au salut"

Frédérique , o 10 9 1830 Rothau ; x 20 11 1850 Rothau avec Gédéon Marchal, contremaître puis entrepreneur ; (mère de plusieurs entrepreneurs du textile ; voir la descendance de Gédéon Marchal) ;

Octavie ; o 20 9 1832 Rothau ; + 6 6 1860 Rothau ; x 15 2 1854 Rothau avec Théodore Kayser, (de Mittelgergheim, 67 ; commis, puis employé de bureau)

Adèle (1835-1838)

Marie o 4 5 1837 Rothau ; x 9 7 1857 Rothau avec David Horter (o 26 10 1832 Barr ; + 1882 ; maire de Rothau de 1872 à sa mort)

Adèle o 2 1 1840 Rothau ; + 23 8 1932 Barr ; x 8 5 1866 Rothau, avec Jonathan Specht, de Barr, tanneur ; d'où Jules-Ernest, Adèle, Jonathan, Sophie-Louise ; après la mort de son mari, elle abandonne la tannerie et prend une petite boutique de lingerie rue Neuve à Barr


Génération 7De Louis :
1-4-1-5-4-1-1 Louis ; o 25 septembre 1857 ; le 13 8 1864 (date de la liquidation de la succession de son père), il est domicilié "de droit" chez Théophile Widemann, son grand-père et tuteur

1-4-1-5-4-1-2 Frédéric-Louis ; fils de Louis Widemann et de Caroline Nitschelm, dont l'existence nous est connue par l'inventaire de succession du 13 8 1864 ; pas plus de renseignements ; semble être né en Amérique ; ses intérêts en France sont représentés par Gédéon Marchal, manufacturier à la Broque, son subrogé tuteur, et par Frédéric-Adrien Wiedemann, maître d'hôtel (probablement aux Deux Clés), à qui Caroline Nitschelm a donné procuration.

De Frédérique :

Importante descendance se confondant avec celle de Gédéon Marchal ; s'y reporter

De Marie x Horter :
???

D'Adèle :

Jules-Ernest Specht ; 1869-1946 ; célibataire ; passe toute sa vie à Barr comme vigneron

Adèle Specht ; o 1 3 1871 Barr ; + 10 7 1949 Brazey en Plaine (21) ; x 28 10 1898 à Montreux Vieux avec Théodore Senninger, qui venait d'y être nommé par les chemins de fer ; il est permis de supposer que les deux jeunes gens se sont rencontrés à l'Hôtel de la Gare à Montreux Vieux : en effet, cet hôtel était tenu par Jonathan Specht, frère d'Adèle ; il serait bien surprenant que Théodore Senninger, employé des chemins de fer, n'ait pas eu l'occasion de prendre un verre audit hôtel ; d'où Suzanne et Germaine ;

Après Montreux-Vieux, Théodore Senninger grimpe les échelons hiérarchiques jusqu'à devenir "Ladenmeister Direktor", c'est à dire chef du chargement des bagages à la gare de Mulhouse (le couple habite en banlieue, à Riedisheim, où naissent ses filles) ; la ligne Strasbourg-Mulhouse-Bâle est une ligne de grand prestige, la première ligne internationale du monde (puisque Bâle est en Suisse, quoiqu'en fait tout près de l'Alsace) ; la famille profite de cette extraordinaire occasion de jouer à saute-frontière (occasion fort rare à l'époque, où les frontières étaient normalement très étanches) pour offrir à ses filles de mémorables visites au zoo de Bâle, établissement dont la splendeur inégalée et les mérites incomparables demeurèrent une partie vivante de la tradition orale familiale aussi longtemps que vécurent les filles de Théodore et d'Adèle, bénéficiaires émerveillées des visites audit zoo.

La famille quitte l'Alsace en 1908 et va s'installer à Brazey en Plaine (21), où le cousin d'Adèle, Alfred Marchal, fils de Frédérique Widemann et de Gédéon Marchal, vient de fonder un tissage ; Adèle, théoriquement sans profession, sert d'infirmière bénévole au tissage, et gère en outre la "pension", petite maison à l'intérieur des murs de l'usine où étaient logées une dizaine d'orphelines employées par l'usine, dont une enfant trouvée pratiquement à l'état sauvage ("Maya", la mascotte de l'usine ; elle vivra jusque dans les années 1970 et obtiendra la médaille d'or du travail pour 45 ans au Tissage ; ce qui donne vraiment à penser qu'il aurait fallu faire une analyse sociologique des circonstances qui amenaient quelqu'un à être ouvrier ; on aurait eu de sacrées surprises ! mais cela n'a pas été fait à ma connaissance, et c'était peut-être impossible à faire étant donné la discrétion des ouvriers.)

Le couple Senninger a avec lui la mère de Théodore, dont les opinions pro-allemandes ne sont aucunement dissimulées ; elle dit à qui veut l'entendre : "Je suis allemande" ; si bien que Théodore, au sein de l'usine, est considéré comme "le Directeur allemand" ; ce qui est très problématique en France en 1908 et oblige Théodore à vivre reclus dans sa maison (elle-même située à l'intérieur de l'usine) ; heureusement pour lui, l'information ne franchit pas les murs de l'usine ; ce qui est d'ailleurs assez surprenant, car Brazey en Plaine était un tout petit village ; mais il faut tenir compte de la mentalité paysanne (les paysans de Brazey n'aimaient ni l'usine, ni ses patrons ni ses ouvriers, il y avait donc peu de communication) ainsi que de la mentalité ouvrière (une usine de l'époque était un bagne ; il n'était aucunement considéré comme normal, du moins dans une région sans tradition industrielle comme la Bourgogne, d'en devenir le bagnard ; donc, chaque ouvrier savait qu'il y avait, dans son existence, une rupture ou une anomalie qui l'avait mené là, et présumait qu'il en allait de même pour ses collègues ; pour les détails : motus et bouche cousue ; on ne cherchait pas à deviner les secrets des autres, et l'on comptait bien sur la réciproque).

Pendant la guerre de 14-18, Théodore est assigné à résidence à l'intérieur du Tissage, qui est "militarisé", c'est à dire qu'il produit de la gaze (que ses ouvriers appellent la "cingalette") pour les blessés des tranchées.

Pendant la seconde guerre mondiale, Brazey connaît un bref exode. On part à pied avec les bagages et les vieux sur des charrettes à bras (dans le meilleur des cas). Les plus faibles sont en fait souvent laissés en arrière, que s'en est dramatique. Tel est le cas de nombreuses familles ouvrières. Adèle et Théodore considèrent donc de leur devoir de rester sur place avec les plus vulnérables des ouvriers. Adèle les rassemble et déclare : "Si notre heure est venue, nous mourrons tous ensemble".

Les Marchal, patrons de l'usine, cachent des Alsaciens. Ce sont également des descendants de Théophile Widemann, mais par Frédérique, épouse de Gédéon Marchal.

L'usine est occupée. Théodore, qui a les réflexes et la mentalité germaniques même s'il est le contraire d'un nazi, mène les jeunes soldats à la baguette et terrorise ceux qui auraient tendance à importuner les ouvrières. Il refuse de parler allemand avec eux (bien qu'il le parle évidemment parfaitement).

Adèle soigne clandestinement les blessés de la Résistance, toujours à l'usine ( laquelle était occupée par les Allemands, je le rappelle : c'était vraiment dangereux ; Adèle et Théodore auraient fort bien pu être pris, avec pour conséquence un retour forcé au Ban de la Roche, gare de Rothau dans un premier temps, puis descente à contre-voie et fin du trajet à pied direction Natzwiller ; arrivée à l'endroit que je t'ai fait connaître, cher lecteur, en tant que cense bien sympathique habitée par d'inoffensifs fermiers neyouz ; mais, depuis ce temps, les choses ont changé et pas dans le bon sens puisque le Struthof est devenu un camp de concentration) ; l'on peut s'étonner que personne n'ait prévenu la Résistance que ses blessés étaient soignés chez "le directeur allemand" ; la vérité, c'est que les paysans n'en savaient rien (comme je l'ai dit, le Brazey du Tissage et le Brazey des paysans étaient deux mondes étanches) et que les ouvriers savaient fort bien qu'aucune dénonciation n'était à attendre de la part du couple Senninger ; l'usine ( bien qu' occupée par l'ennemi et de plus dirigée par le "Directeur allemand") , se révéla un excellent refuge pour ces blessés ; à quoi cela aurait-il servi de les terroriser en leur révélant qu'ils étaient en plein dans la gueule du loup ?

Théodore Senninger obtint la nationalité française à la libération.

Jonathan ; o 29 10 1872 Barr ; x 26 12 1900 Barr à Louise Brenner ; a longtemps tenu l'hôtel de la Gare à Montreux-Vieux (68) ; Adèle y travaille un temps comme serveuse et y rencontre son futur époux Théodore Senninger

Sophie-Louise Specht épouse Becker, o 10 7 1874 Barr ; + 6 2 1957 Strasbourg ; x 27 12 1900 Barr à Wilhelm Becker, dit "l'oncle Willi", mécanicien aux chemins de fer où il eut pour collègue et ami Théodore Senninger ; la rencontre entre Sophie-Louise et Willi s'est probablement produite elle aussi à l'Hôtel de la Gare ; ou alors par l'intermédiaire du couple Théodore-Adèle ; d'où Anna, Frédéric, Claire et Marguerite





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