table des matières, tome 3
DE DROLES DE RECETTES



       "Ayez fiente de chien blanche et sèche qui semble chaux vive mise en poudre, laquelle jettera dans la bouche du malade au plus profond d'icelle avec un tuyau de plume, et lui soufflera dessus la luette, le plus avant que tu pourras, et incontinent sera guéri."

       Telles sont les recettes qui circulent à Belmont pour se soigner. Celle-ci, probablement ancienne d'après son style, sera recueillie à une époque relativement moderne par Louise-Constance Grohens, née le 25 février 1855 à Belmont, où elle a passé toute sa vie comme sage-femme.

       Louise-Constance est une femme dévouée, choisie par l'Eglise, nantie d'un certificat de bonnes vies et mœurs et d'un diplôme de sage-femme obtenu après de solides études.

       Et pourtant, elle a noté cette recette dans ses cahiers.

       Par certains côtés, Louise-Constance me fait l'effet d'une "sorcière institutionnelle", comme le fut semble-t-il Balthazar Kommer en son temps.

       Dans un village sans médecin, la sage-femme en fait office, et Louise-Constance tient en haute estime la connaissance des plantes :

       "Quand tu croises une touffe d'orties, tu devrais enlever ton chapeau, tant elles sont bénéfiques".

       Pourtant, certaines de ses recettes font peur :

       "Contre l'hémorragie : prendre de l'ergot de seigle".

       L'ergot de seigle est sans doute bénéfique à très petites doses, il facilite les contractions de l'accouchement. Mais c'est surtout un poison violent, qui donne la gangrène et entraîne la mort après de terribles hallucinations. Aujourd'hui, on en a tiré le LDS, une drogue terrible. Certes, les laboratoires pharmaceutiques en ont aussi tiré des médicaments, mais ils ont des moyens de dosage et de conditionnement qui n'étaient pas ceux d'une sage-femme de Belmont.

       Rien ne nous dit d'ailleurs que Louise-Constance a utilisé les recettes qu'elle a notées, mais il reste que celles-ci circulaient encore à Belmont au milieu du 19ème siècle.

       Ceci nous montre combien la frontière pouvait être indistincte entre une soyouse et une sorcière, entre soigner et empoisonner.

       Que faire, à Belmont, en cas d'hémorragie lors d'un accouchement ? Appeler le médecin ? Comme il vient à pied de Rothau, dans l'autre vallée, il arrivera pour constater la mort. Transfuser ? Avec quoi ? Arrêter l'hémorragie ? Si elle provient de l'intérieur du corps, cela nécessiterait une opération.

       Alors, on utilise les vieilles recettes. L'ergot de seigle, tout le monde en a dans son champ. Et, pour arrêter les écoulements de sang, il les arrête, ça on peut le dire, puisqu'il les arrête parfois jusqu'à provoquer des gangrènes. Mais, quand la parturiente se vide de son sang, la sage-femme n'a pas le choix des moyens.

       On le voit, il devait suffire de peu, aux temps anciens, pour qu'une brave femme connaissant les plantes soit cataloguée empoisonneuse et sorcière.

       Au Ban de la Roche, la façon normale de dire qu'une personne sait soigner telle maladie, c'est : "Elle a un secret contre telle maladie". Avoir un secret contre … Même Louise-Constance Grohens, à une époque relativement moderne, avait un secret contre l'érésipèle : elle s'isolait avec le malade, il revenait encore deux ou trois jours de suite et repartait guéri.

       Le pasteur Oberlin attachait beaucoup d'importance à la connaissance des plantes. Il veillait à ce que les élèves connaissent toutes celles de la région, leur nom es français, en latin et en patois, l'endroit où on les trouve et leur usage. Sage précaution …

       Un autre témoignage est apporté par Marie-Thérèse Fischer, docteur en théologie catholique et auteur de Légendes du pays de la petite Bruche. Le village de Plaine, qu'elle cite, est voisin du Ban de la Roche :

       "Chez moi, à Plaine, un soyou, c'est quelqu'un qui a le secret contre les maladies … Je n'aurais pas aimé recourir à certaines de leurs remèdes : la Caissotte, la marraine de ma mère, faisait infuser des clous dans un verre d'eau jusqu'à ce qu'ils soient bien rouillés, après quoi il fallait boire le contenu du verre (sans les clous bien sur ! ) ; ou alors, elle te faisait absorber une bonne rasade d'urine d'enfant … J'aurais préféré ceux qui s'en tenaient à "l'usage externe" : croiser des brindilles qu'on brûle dans la cheminée en murmurant une formule, par exemple. C'est peut être peu efficace, mais moins écoeurant."

       Le même auteur témoigne aussi que certains habitants de Plaine (village catholique voisin du Ban de la Roche) étaient soupçonnés de cacher le Petit Albert sur une poutre au grenier.

       Il y a là un aspect de la psychologie des campagnes anciennes qui nous devient inaccessible à nous modernes. On dirait que le fait même de soigner est indissociable de l'idée de transgression. Si le remède n'est pas pris en secret, dangereux (l'ergot de seigle), répugnant (les excréments) ou, au minimum piquant (les orties), on ne le prend pas au sérieux.

       En même temps, même une docteure en théologie catholique explique sans s'en choquer qu'on ait pu réciter des formules magiques si cela doit permettre de se soigner dans des conditions moins répugnantes. La pensée magique est omniprésente, et même si l'on redoute les sorcières, l'on ne cesse, jusqu'à l'époque moderne, d'avoir recours sans penser à mal à des pratiques qui sont bien proches de l'ancienne sorcellerie, quelque peu édulcorée tout de même.


ELEMENTS GENEALOGIQUES

La famille Grosheins-Grohens

Génération 1

Michel Groshens x Marie Christmann

Génération 2

Groshens Didier, o 1650 à Neuviller la Roche, + 8 janvier 1729 à Neuviller la Roche, x 22 mai 1677 à Neuviller la Roche avec GRANDMATHIS Elisabeth ( 1649 - 1688 ); d'où GROSHEINS Michel

Génération 3 :

Groshens Michel, o 21 décembre 1678 à Neuviller, + 17 octobre 1755 à Neuviller, x 29 juin 1704 à Rothau avec GEORGE Marguerite ( 1680 - 1751 ) ; d'où GROSHEINS Anne Elisabeth ( 1704 - 1760 ), GROSHEINS Jean Michel ( 1705 - 1783 ), GROSHENS Jean Nicolas ( 1707 - ? ), GROSHEINS Didier ( 1709 - 1789 ), GROSHEINS Jean Georges ( 1711 - ? ), GROSHEINS ? ( 1713 - ? ), GROSHEINS Jean Michel ( 1714 - ? ), GROSHEINS Jean ( 1716 - 1774 ), GROSHEINS Georges Adam ( 1718 - ? ), GROSHEINS Mathias ( 1721 - ? )






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