table des matières, tome 3
PROBLEMES DE CLOCHERS AU PAYS DES ANCETRES



       On dit que, lorsque la cloche de l'église de Bellefosse et celle de Belmont sonnent midi ensemble, il y aura un mort dans l'une des deux communes.

       Quand la cloche de l'église de Bellefosse… il y a donc une église à Bellefosse ? Pas depuis longtemps, alors !

       Non pas depuis longtemps. Et, puisqu'elle a déjà sa légende, cela montre que la terre du Ban de la Roche est encore capable d'en produire, même au siècle du Progrès.

       A entendre cette légende, on a vraiment l'impression d'un conflit de pouvoir. Car la cloche, nous nous en souvenons, c'est le pouvoir de l'église. Et deux cloches qui sonnent en même temps, c'est deux voix qui veulent parler fort au même moment et qui se télescopent comme dans un accident de voiture.

       Donc, l'une des deux églises est de trop. Et ce n'est évidemment pas celle de Belmont.

       Qu'est-ce que les contemporains ont pu reprocher de si grave à cette pauvre église de Bellefosse ? Ce n'est pas rien de l'accuser d'être responsable de morts. Et en plus ce sont de vrais morts. Car nous sommes au 19ème siècle. Le Ban de la Roche est maintenant une région ouvrière relativement peuplée, si bien qu'il y a des morts régulièrement. Donc, le jour où, par malheur, les deux cloches sonnent ensemble, maïnté qu'on a un mort peu après, soit à Bellefosse soit à Belmont. Si elles ne sonnent pas ensemble aussi d'ailleurs. Les morts, il y en a maintenant régulièrement, comme les naissances et les mariages. C'est normal puisqu'on a une vraie population. C'est pas comme au temps de Louis XIV, où une page de registre paroissial mettait dix ans et plus à se remplir.

       C'est donc plutôt injuste d'aller culpabiliser quelqu'un ou quelque chose pour ces morts. On se demande quelle est la raison de ces insinuations.

       Bon, pour les contemporains, moi, je n'sais d'bell, mais pour les ancêtres, je vois très bien où est le problème. Ou plutôt : les problèmes, car il y en a deux, un à Belmont et un à Bellefosse.

       S'agissant de Belmont, vous savez que les Dieux qui l'habitent, quoique tolérants envers les diverses religions qu'ils ont vues et voient passer, savent tout le même poser quelques limites. Ils étaient là avant la naissance de Luther et même avant celle du Kristkind , alors, on est prié de se souvenir que l'église de Belmont a quelque chose de plus que les autres églises de la vallée. Il faut respecter ses prérogatives de capitale religieuse.

       Et côté Bellefosse, on se souvient que cette ville s'est, pendant presque toute son existence, passée d'église (on priait à Rothau ou même, au temps des Rathsamhausen, à Saint Blaise), de tribunal (il était à Waldersbach) et de logis d'apparat seigneurial (car le château de Bellefosse était purement défensif) ; et pourtant, si elle avait voulu … mais non, elle ne voulait pas ! Bellefosse n'était pas de ces guilloriouses villes qui se proclament capitale au premier mur de pierre qu'on y élève ! Elle a toujours fait profil bas. Et cela lui a bien réussi, comme on l'a vu. Alors quel besoin d'y élever une église juste maintenant ? C'est vrai que le pasteur fait attention et dit, quand il parle de Bellefosse, "la chapelle" au lieu de dire "l'église", mais quand même …

       Les ancêtres ont toutes raisons de faire potin, la haut, tant côté Bellefosse que côté Belmont.

       Les pasteurs du Ban de la Roche sont pleins de qualités, mais, parfois, ils en font trop.

       Déjà, Stouber et Oberlin avaient toujours une bonne raison de faire passer leurs paroissiens pour plus bêtes que les quatre pattes d'un cheval. Je sais bien que c'était pour leur obtenir de l'avoine, mais c'est vexant quand même.

       Alors maintenant, voilà que, sous prétexte que chaque village doit avoir si possible son église, on se met à vous les planter n'importe où, sans considération pour l'histoire de la vallée, ni pour ses dieux, ni pour l'esprit des ancêtres !



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