table des matières, Magique Pays de SALM

LA CLOCHE DE LA MAIX



       Après qu'il eut été crucifié, Jésus ressuscita. C'était rien, pour lui, étant donné qu'il était Dieu. Puis il monta au Ciel et il y tint chapitre avec son Père, qui était aussi Lui-même, je le rappelle. C'est un peu compliqué, mais il faut se souvenir que nous avons affaire à un Dieu, ou à des Dieux je ne sais pas trop s'il faut le singulier ou le pluriel. Donc ce qui est impossible pour nous ne l'est pas pour Lui, ou pour Eux.

       Jésus dit à son Père :

       "Même si les hommes sont méchants, je suis d'avis de leur donner leur part de paradis, car j'ai vu combien ils souffrent."

       Son Père répondit :

       "Si tu le dis, je ne puis être contre, puisque je suis toi et que tu es moi ; mais il y a un petit problème : les hommes sont si méchants que, si on leur donne à tous leur part de paradis, ils s'y battront. Alors, ce ne sera plus du tout le paradis. Il ne seront pas plus avancés d'y être, et nous, nous y perdrons notre tranquillité et nous y vivrons comme en enfer."

       Mais Jésus était obstiné. Depuis qu'il était descendu sur terre, il se mettait à la place des hommes, et il était bien décidé à ne pas lâcher la part de paradis qu'il avait si durement gagnée pour eux. Il dit à son Père :

       "Pour les rendre meilleurs, il nous faudrait entrer à l'intérieur d'eux et leur parler du dedans de leur cœur. Ainsi, prenant notre voix pour la leur, ils nous écouteraient, se repentiraient et se mettraient à pratiquer le bien. Du moins, quelques uns.

       Il suffirait, au fond, que nous fassions comme le feu, qui se divise en autant d'étincelles qu'on veut tout en restant le même feu. Ce que le feu réussit à faire, nous devrions le réussir aussi. Nous ne sommes pas plus bêtes que lui puisque c'est nous qui l'avons créé.

       Du coup, au lieu d'être deux, nous serions trois, une Trinité, le Père, le Fils et l'Esprit"
.

       Comme l'idée n'était pas facile à réaliser, Dieu, ou les Dieux, en parla, ou en parlèrent, aux Hautes Pierres. Elles étaient concernées car, parmi les hommes menacés d'être privés de leur part de paradis, il y avait des habitants du Pays de Salm, qui ne s'appelait pas encore le Pays de Salm. Elles tinrent donc chapitre au Lac de la Maix pour délibérer du problème.

       "Il me semble, dit l'Aînée des Pierres, que cela ne nous dérangerait guère de permettre la construction d'une petite chapelle sur les bords du lac de la Maix, qu'un saint ermite desservirait. Tous les ans, à la fête de la Trinité, (fête qui n'existe pas encore mais que l'on pourrait inventer), il sonnerait la petite cloche de la chapelle. Le son pourrait de la sorte s'insinuer dans les oreilles des habitants du Pays de Salm (qui ne s'appelle pas encore le Pays de Salm mais cela n'a pas d'importance) et la voix de Dieu arriverait ainsi jusque dans leur cœur."

       Les Hautes Pierres en furent d'avis, et c'est ainsi que démarra le pèlerinage de la Trinité au lac de la Maix.

       Aucune cloche ne vaut celle de la chapelle de la Maix. Quand bien même elles se mettraient à sonner toutes ensemble, cela ne ferait jamais rien d'autre que du bruit, ou, au mieux, de la musique, si le sonneur a du talent. Pour dire aux hommes l'heure qu'il est, cela suffit, bien sur.

       Mais pour leur gagner leur part de paradis, seule la petite cloche de la Maix peut le faire, au jour de la Trinité, car elle seule porte avec elle la voix de Dieu jusqu'au plus profond du cœur de l'homme.

CONFLITS D'AUTORITE ET PRESAGES DE MORT

Marie Klein Adam raconte à légende suivante à propos du siège de Pierre Percée :

Elle nous raconte qu'à un moment du siège de Pierre Percée, Renaud est fait prisonnier et enfermé dans la tour du château.

"La Comtesse Gisèle, sa femme, est venue se jeter aux pieds d'Herman:
- Beau Neveu, rendez moi Renaud mon époux. Par Jésus et sa Sainte Mère, ayez pitié de moi qui ne vous ai rien fait.

Berthe de Blâmont, fiancée d'Herman intervint. Herman ne sait rien lui refuser, mais cette fois il veut mettre une condition."

La condition qu'Hermann III a posée consiste en ceci : on enfermera Renaud dans le souterrain le plus profond du château, et l'on postera un gardien à côté de lui. Puis l'on fera sonner les cloches. S'il les entend, il sera libre.

Or aucune cloche ne parvient à se faire entendre dans le souterrain où Renaud est enfermé. C'est en vain que sa fiancée Berthe fait fondre tout le bronze du pays pour confectionner une cloche gigantesque. C'est également en vain qu'elle ordonne que toutes les églises du pays sonnent ensemble.

Mais Renaud sera finalement libéré, car Berthe découvre la seule cloche qui peut se faire entendre aussi profond dans les ténèbres du mal : c'est la petite cloche du Lac de la Maix.

L'ermite Isembart, ami de la Comtesse Agnès, tuée selon la légende, au cours du siège, ne consent pas facilement à dire la messe avec la petite cloche, mais finalement il accepte. Et alors :

"La messe commença. La comtesse Gisèle sonna elle-même à l'élévation, et pendant que chacun priait avec ferveur, le geôlier descendit vers Renaud. Ô surprise, le son argentin descendait avec lui si bien que Renaud l'entendit et s'écria:

- Qu'entends-je? C'est comme la petite cloche d'un ermitage. Elle me dit : "Bienheureux celui qui se repent, car il sera pardonné." Ah ! si je retrouve un jour la liberté ce sera pour prendre la croix. Je partirai avec mon frère Etienne, nous irons à Jérusalem prier sur le tombeau du Christ, nous irons jusqu'au Jourdain et à Tortosa".
- Ainsi soit-il
, dit le geôlier."

Le thème de la compétition entre cloches est très répandu dans le folklore de la région, où il symbolise le conflit d'autorité et peut même devenir présage de mort.

Ainsi, dans le Ban de la Roche voisin, ont dit que, si les cloches de Belmont et Bellefosse sonnent midi au même instant, il y aura un mort dans l'un ou l'autre des deux villages.

Ce thème peut être rapproché de celui qui veut que, si la poule se met à chanter (usurpant par là les prérogatives du coq), c'est présage de mort au Vermont. A Vieux Moulin, on tue l'arrogante femelle.

Dans l'ancien Pays de Salm et au Ban de la Roche voisin, les cloches représentent l'autorité de l'Eglise au sens fort, ne serait-ce que parce que, en cette époque où montres et horloges n'existaient pas pour le petit peuple, elles commandent les geste de la journée : lever, retour des champs, messe le Dimanche, tocsin en cas de danger ou de malheur, glas en cas de mort.

Quand les cloches sont absentes (c'est le cas du jeudi saint jusqu'au jour de Pâques : elles sont parties à Rome), il faut les remplacer. Les enfants de cœur défilent dans les villages en agitant des crécelles aux principaux moments de la journée que marquaient les cloches.

Il y a des hiérarchies entre les cloches : à Belmont, avant la guerre de Trente Ans, la cloche ordinaire sonnait les occasions ordinaires, et la Cloche d'argent sonnait la Pentecôte.

D'une façon générale, chaque village estime que sa cloche produit un son incomparable.



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