table des matières, Magique Pays de SALM

LA COMTESSE AGNES



Un beau mariage

       C'est un fort beau mariage que celui qui unit Hermann II de Salm et Agnès de Montbéliard.

       Le marié est Comte de Salm, c'est à dire : de Salm en Ardenne, et il est apparenté aux Comtes de Luxembourg. Cette noble ascendance est cependant peu de chose en comparaison de celle de la mariée, qui descend d'une sœur d'Hugues Capet, premier Roi capétien de France, et qui amène de nombreuses possessions lorraines.

       A la suite de ce mariage, les terres des Salm vont du Luxembourg jusqu'en Lorraine, pas sans discontinuité cependant. Cette maison est à son apogée, elle est liée à maints rois, évêques, Papes et Empereurs. Pour le détail, cher lecteur, je te renvoie aux tableaux généalogiques publiés en annexe. Il suffit ici que je te dise, pour résumer l'affaire, qu'à l'époque qui nous occupe le Salm joue dans la cour des grands.

       Qu'on en juge : en 1121, Hermann II est chargé d'une ambassade à Rome. Il est l'envoyé de son cousin Guillaume, Comte de Luxembourg. Et le Pape auprès duquel il se rend et Calixte II, oncle de sa femme Agnès. Il s'agit de déposer une pièce d'or sur l'autel de Saint Pierre ; un an avant cela, Etienne de Montbéliard avait été nommé évêque de Metz et cardinal par son oncle le Pape, cela aide d'avoir de telles relations.

       Agnès est veuve du Comte Godefroi de Langenstein, un premier mari très aimé, dont elle continuera de porter le nom après son veuvage et son remariage. Elle en a hérité le château de Langenstein, dans lequel elle a fait creuser un puits. Après ce creusement, un exploit technologique qui impressionna fort à l'époque, le château de Langenstein devint le château de Pierre Percée, résidence favorite d'Agnès. De ce premier mariage, Agnès a trois enfants, dont le petit Guillaume, qui meurt jeune et qui est enterré à Raon les Leau.

       Il importe de parler des frères d'Agnès, qui joueront un rôle important dans cette histoire. Ils sont cinq, tous plus ambitieux les uns que les autres :
- Thierry II, Comte de Montbéliard
- Frédéric 1er, Comte de Ferrette et d'Amance
- Renaud 1er dit le Borgne, Comte de Bar, de Mousson, de Briey
- Etienne de Bar évêque de Metz
- Louis, Comte de Mousson
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Les conflits du temps

       A cette époque, de nombreux conflits agitent la noblesse et la haute Eglise, et retentissent les uns sur les autres. Sans chercher à tout démêler (on en sortirait pas), notons que nous trouvons, en gros, deux camps :
- d'un côté de duc Simon 1er de Lorraine, d'une ancienne dynastie évincée ; c'est le demi-frère du roi Lothaire
- de l'autre Albéron de Montreuil, archevêque de Trêves ; Etienne, évêque de Metz ; Renaud 1er, Comte de Bar
       Hermann II de Salm choisit le camp du duc Simon, c'est à dire celui de la famille royale, et non celui de ses propres beaux frères.

       Louis Schaudel estime que ce choix résulte d'un calcul : Hermann II aurait choisi les alliés qu'il estimait les plus à même de lui apporter de l'aide pour conquérir la couronne du Luxembourg.

       Celle-ci était aux mains de Conrad II, un jeune homme d'une vingtaine d'années, de santé fragile, dont on ne se gênait pas pour anticiper la mort et la succession. Etant donné qu'il n'avait pas d'enfants, la voie était libre, et chaque cousin faisait valoir des arguments plus ou moins valables. La plus proche parente de Conrad II était une fille, Ermenson. Ce qui permettait à Hermann II, parent moins proche mais appartenant au sexe supérieur, de rester dans la course.

       Hermann II estimait avoir de bonnes chances de la gagner, car il venait d'entrer (à peu près) dans la famille du roi Lothaire, ce qui n'est pas rien. Certes, le lien de parenté n'était pas très proche, mais quand même :

       Hermann II a pour frère Otton Comte de Rhineck et Comte palatin, l'un des tout premiers seigneurs de la cour du roi ; Otton est l'époux de Gertrude de Nordheim, elle-même sœur de Richenza, épouse du Roi Lothaire II qui devient Empereur le 4 juin 1133. Lothaire est le demi-frère de Simon de Lorraine, ce qui explique qu'Hermann II choisisse le camp de ce dernier contre ses propres beaux-frères.

       Quand on a de telles relations, cela vaut le coup de pousser ses pions. Dans les années 1128 et suivantes, Hermann II semble ne pas lâcher Lothaire d'une semelle. Schaudel le suit à la trace en une vraie quête policière, se faisant un indice des documents sur lequel il appose sa signature comme témoin. Hermann passe la Noël 1128 à Worms, où son cher Lothaire tient assemblée. Puis, il l'accompagne à Strasbourg, à Cologne, à Duisbourg ; puis à nouveau à Strasbourg l'année d'après ; puis à Liège en 1131.

       Quel événement ! Figurez vous que le roi Lothaire et la reine Richenza reçoivent le pape Innocent II !

       Le 11 avril, ils sont à Stavelot, le 19 à Trèves.

       Hermann a intérêt à ne pas lâcher le roi, car l'ennemi veille : Etienne de Metz, l'évêque, est lui aussi présent auprès du roi. Et ainsi de suite jusqu'en 1135, année où nous perdons la trace d'Hermann. On ne trouve plus sa signature sur les actes. Il y a donc lieu de penser qu'il est mort, d'autant plus qu'en 1136, quand Conrad II de Luxembourg décède, sa cousine Ermensson obtient sans difficulté le trône pour son fils Henri.

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Le siège de Pierre Percée.

       Les conflits que nous venons d'évoquer sont éloignés dans l'histoire, et le lecteur pourrait les croire anecdotiques.

       Or il n'en est rien. Il y a eu des guerres de grande envergure, avec les conséquences habituelles sur la population. A une époque, le Duc Simon s'est emparé des châteaux de Mirebaux, Fauquemont, Denoeuvre, qui sont ensuite repris par l'évêque Etienne assisté du Comte de Bar son frère.

       A quel moment de ces hostilités se situe le siège de Pierre Percée, l'histoire ne le dit pas, mais la mémoire populaire garde le souvenir de terribles événements.

       Les archives de l'Episcopat de Metz les présentent ainsi :

       "Le château de Pierre Percée, appartenant aux Comtes de Salm, était alors la terreur du pays parce qu'il servait de retraite à des brigands qui faisaient mille ravages dans les campagnes et arrêtaient les voyageurs.

       Etienne en forma le siège, dressa trois forts autour de la place pour empêcher d'y faire entrer ni vivres ni secours. Il la tint ainsi investie plus d'un an et la força de se rendre.
"

       Donc, à en croire Monseigneur l'évêque, le château de sa sœur serait un repaire de brigands … nous reconnaissons là le prétexte habituel utilisé par l'Eglise quand elle veut porter la guerre chez un seigneur.

       D'après la légende, la Comtesse Agnès fut tuée au cours du siège de Pierre Percée, peut être en 1148. Elle fut enterrée au cimetière de Raon les Leau par Isembaut, ermite de La Maix. Elle serait morte de blessures reçues dans un combat avec les gens de l'évêque de Metz sur un rocher dit "La Pierre à Cheval". Les troupes ennemies occupaient tous les environs, et, pour inhumer son corps en terre sainte, on fut obligé de traverser toutes les forêts pour arriver au village de Raon les Leau avec une bien faible escorte.

       La Comtesse Agnès serait donc enterrée là, près de son fils Guillaume.

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Dernières années de la Comtesse Agnès

       Si la Comtesse Agnès a vraiment été tuée lors du siège de Pierre Percée, je ne saurais l'affirmer, mais, ce qui est sur, c'est que les accusations de son frère l'évêque sont totalement ridicules.

       Loin d'être une seigneuresse brigande, c'était une digne et pieuse femme, qui participa à la fondation de l'abbaye de la Haute Seille, dota généreusement celle de Saint Sauveur, fit à l'Eglise d'autres dons -les archives en gardent mémoire si leur bénéficiaire les a oubliés-, et aimait à se remémorer le souvenir de son premier mari et de leur fils défunt Guillaume, auprès duquel elle voulut être enterrée.

       Elle paraît avoir peu apprécié son second mari Hermann de Salm, dont elle évitait de porter le nom et les titres. Elle resta toute sa vie Agnès de Langenstein, Agnès de Pierre Percée, voire même, simplement, la Comtesse Agnès, comme elle se dénommait volontiers dans les actes qu'elle signait. Il n'y a donc pas de raison de penser qu'elle suivait son second mari dans le conflit qui opposait ce dernier à ses frères. Si l'évêque de Metz a continué la guerre contre Agnès après son second veuvage, c'est qu'il y trouvait avantage.

       Le successeur de la Comtesse Agnès fut son fils, Henri, 1er, qui eut des démêlés avec l'Eglise, comme ses prédécesseurs et successeurs. Il mourut vers 1170 et laissa deux fils :
- Henri II, souche des Comtes de Salm en Vosges
- Ferry, souche des Salm en Ardennes.
       C'est donc environ à partir de 1170 que l'on peut parler, en Vosges, d'un pays de Salm ayant une existence propre.

Généalogie ascendante de la Comtesse Agnès

(Voir les frères de la Comtesse Agnès ; leurs ambitions entreront en rivalité avec celles de son époux Hermann II, prétendant au trône du Luxembourg et qui, pour ce faire, a besoin de l'appui d'adversaires de ses beaux-frères)

1 Agnès ; fille de 2 et 3 ; x Godefroy III Comte de Langenstein, dont Conrad, Comte de Langenstein ; Guillaume, mort prématurément ; Mathilde, épouse de Bencelin de Turquestein ; xx Hermann II de Salm dont Hermann III, mort prématurément et sans postérité ; Henri Ier, qui deviendra Comte de Salm ; Thierry, abbé de Saint Paul de Verdun

2 Thierry 1er , Comte de Monbéliard, de Bar et de Ferrette, x 3 en 1076
3 Ermentrude, fille 6 et 7 ; épouse de 2 ; mère de 1 ainsi que de Thierry II, Comte de Montbéliard ; de Frédéric 1er, Comte de Ferrette et d'Amance ; de Renaud 1er dit le Borgne, Comte de Bar, de Mousson, de Briey ; d'Etienne de Bar évêque de Metz ; de Louis, Comte de Mousson ; de Norine, épouse d'Adalbert, Comte de Moersberg ; de Gunthilde, première abbesse de Biblisheim

4 Louis, Comte de Montbéliard et de Mousson, x 5
5 Sophie, épouse de 4, fille de 10

6 Guillaume II Tête Hardie, Comte de Bourgogne , époux de 7
7 Etiennette de Vienne, épouse de 6, mère de 3 ainsi que du Pape Calixte II

10 Frédéric II, duc de Haute Lorraine; 995-1027 ; x 11
11 Marguerite de Souabe, 989-1033

20 Thierry 1er, né vers 965, + le 11 4 1027, x 21
21 Richilde de Lunéville, née vers 975

40 Frédéric 1er de Haute Lorraine, 911-978, époux de 41
41 Béatrice de France, née en 938, décédée après 957

82 Hugues le Grand de France, 895-956 x
83 Hedwige de Saxe ; dont Béatrice de France (41) ; Hugues Capet, premier Roi de France, et Emma de France

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Généalogie descendante de Gislebert, Comte de Salm et seigneur du Luxembourg

Cette généalogie explique pourquoi le trône du Luxembourg est disputé entre Hermann II de Salm d'une part, et d'autre part, Ermenson et son mari au nom de leur fils.

Ils sont rivaux par avance dans la succession de Conrad II, Comte de Luxembourg, sans enfants, de santé fragile, dont on anticipe la mort ; Ermenson a contre elle d'être une fille ; Hermann a contre lui d'être un parent plus éloigné qu'elle du défunt Conrad II ; Ermenson sortira vainqueur de la lutte par défaut, Hermann II étant mort avant l'ouverture effective de la succession.

1        Gislebert, Comte de Salm et seigneur du Luxembourg ; décédé le 18-8-1057 ; dont Conrad 1er, Comte du Luxembourg ; et Hermann 1er Comte de Salm

1-1      Conrad 1er de Luxembourg ; décédé le 8-8-1086 ;
1-2      Hermann 1er de Salm

Descendants de Conrad 1er :
Enfants:

1-1-1    Guillaume 1er ; x Luitgarde ou Mathilde de Nordheim, dont Conrad et Luitgarde
1-1-2    Ermenson (une fille)

Petits enfants :
De Guillaume :

1-1-1-1 Conrad II Comte du Luxembourg, décédé vers 1136 à l'âge de 26 ans ; sans enfants ; de santé fragile, ses cousins préparèrent sa succession plusieurs années avant sa mort
1-1-1-2 Luitgarde (une fille)
D'Ermensson :
1-1-2-1 Henri l'Aveugle, fils d'Ermenson, Comte du Luxembourg après Conrad II

Descendants d'Hermann 1er :
Enfants :

1-2-1    Hermann II de Salm, x la Comtesse Agnès ; décédé vers 1135, il laisse ainsi le champ libre au fils d'Ermenson pour la succession du Luxembourg

1-2-2    Otton Comte de Rhineck ; Comte palatin ; l'un des tout premiers seigneurs de la cour du roi Lothaire II ; époux de Gertrude de Nordheim, elle-même sœur de Richenza, épouse du Roi Lothaire II qui devient Empereur le 4 6 1133

1-2-3    Mathilde Comtesse de Hombourg

Petits enfants :
1-2-3-1 Hermann III de Salm, mentionné vivant pour la dernière fois en 1131
1-2-3-2 Henri 1er de Salm
1-2-3-3 Thierry, abbé de Saint Paul de Verdun



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