table des matières, Magique Pays de SALM

LE COUP D'ETAT DE 1571



Un Comte de trop

       Depuis la mort du venimeux Richer, dont la chronique se termine en 1262, il nous manque un chroniqueur, ce qui nous oblige à sauter plusieurs siècles de notre histoire, mais je tiens à te rassurer, cher lecteur : quand nous trouvons à nouveau des documents, c'est à dire à la fin du 16ème siècle, rien n'a fondamentalement changé : les Comtes de Salm et les abbés de Senones sont, comme autrefois, occupés à se disputer le pouvoir.

       Une date importante est celle du 29 décembre 1571. Il s'agit d'un véritable coup d'Etat, dont les auteurs sont Jean IX, Comte de Salm, et Frédéric, Comte sauvage du Rhin et de Salm.

       Deux Comtes de Salm, donc.

       N'y en aurait-il pas un de trop ? Certes, il n'est pas commun qu'un même Comté ait à sa tête deux Comtes, non apparentés qui plus est.

       L'origine de Jean IX de Salm nous est bien connu : il descend des Comtes de Salm dont nous venons d'étudier la généalogie.

       Quant à Monseigneur Frédéric, le Comte Sauvage, je ne sais pas trop qu'en dire. Sa généalogie est des plus confuse. Il paraît qu'il se raccroche d'une certaine façon à la maison de Salm (la vraie, celle de Jean IX), mais au prix d'acrobaties démonstratives que je n'arrive pas à suivre. Louis Schaudel, que nous avons suivi pour la généalogie des Comtes de Salm, le tient pour un usurpateur entièrement étranger à la famille.

       Quoi qu'il en soit, en ce 29 décembre 1571, il est associé à Jean IX, qui entérine par la même l'intrusion des Comtes Sauvages dans notre histoire. Sans doute avait-il grand besoin d'un allié et a-t-il consenti à en payer le prix.

       Donc, en ce jour, à l'appel des deux Comtes, les habitants de toute la seigneurie convergent vers Senones et se rassemblent dans l'abbaye. Ceux de Grandfontaine sont descendus de leur montagne, ceux de Framont sont montés de leurs mines ; les Quelles viennent du Nord de la seigneurie, Chatas du Sud, et voici encore, Albet, Fréconrupt, Vaquenoux, Plaine, Champenay, Diespach, Poutay, Saulxures, Senones, Ménil, Moussey, La Petite-Raon, Saint-Jean, Belval, Vermont, Le Puid, Le Saulcy.

       Seuls manquent les moines et les abbés, qui n'ont pas voulu assister à cette horreur.

       Les deux Comtes demandent aux habitants s'ils veulent les accepter comme leurs seigneurs, et précisent que les communautés conserveront tous leurs droits.

       Les habitants acceptèrent, levèrent la main et prêtèrent serment d'obéissance et de fidélité aux comtes.

       Les moines considérèrent le coup d'état comme nul et non avenu, et décidèrent de se pourvoir en justice auprès de l'Empereur. Finalement, l'affaire se termina par une transaction.

       Nos deux conjurés sont donc maintenant co-seigneurs du Comté de Salm.

       Ce n'est pas très confortable. Quand il est question de pouvoir, on aime bien l'exercer seul, même sur territoire plus réduit.

       En 1598, nos deux conjurés décident donc de procéder à un partage, mais il y a un problème : les biens économiques importants sont concentrés sur de faibles surfaces. Si l'on traçait une ligne à l'intérieur du Comté, et quel que soit l'endroit où on la trace, il est clair que le partage serait déséquilibré au profit de celui qui obtiendrait la Broque et surtout Framont, qui sont voisines, et même en fait collés l'une à l'autre.

       D'où ce bizarre partage, qui ne donne pas tel village à l'un et tel autre village à l'autre (Sauf pour ceux qui ne présentent aucun intérêt en termes de pouvoir) mais fait passer la ligne de partage au milieu de chaque village.

       Chaque village qui compte fait l'objet d'un décompte précis des familles qui l'habitent : les maisons des familles untel et un tel seront pour Jean, les autres pour Frédéric.

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La Broque en 1598

       Ce partage nous donne donc l'occasion d'apprendre que la Broque, la principale commune du Ban de Salm, comprend 45 familles en 1598. Voici la liste de noms qu'on y rencontre (certains sont portés par plusieurs, si bien qu'il y a un peu moins de noms que de familles) :

       Maurice le Bouchier ; Colas Boulangier ; Jean Loilier (= fabricant d'huile) ; Tisserant ; Parmentier ( = tailleur); Courdonnier ; Fayer (celui qui travaille le hétre, fagus = menuisier ) ; Roch Marchal, le maréchal-ferrand ; Jean Cherrier, ( = charretier ) ; Mercier ; Mengeon Crammer ; Séliox (3 familles) ; Demenge Bailly ;Jean Bannerot ; Blaise ; Clans ; Claudin ; Antoine ; Crétien, François, George, Henry, Michiel, Pierron (Pierre), Mathieu ; Cunin ; Genin (diminutif d'Eugène) ; Gennesson ; Cristofle ; Lienard ( = de Léonard , le saint patron des mineurs de Framont) ; Mathis ; Coichot, Armesson ; Le Gouette ; Claudon Ysard

       Cette liste est intéressante en ce qu'elle nous indique comment les noms étaient formés à l'époque : il s'agissait dans la plupart des cas soit de noms de métiers, soit de prénoms ; ces noms n'étaient pas fixes. Si bien qu'il n'est pas possible, sans registre paroissiaux remontant jusque là, de les utiliser pour tracer des tableaux généalogiques en bonne et due forme.

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Les forges

       Un autre enjeu majeur des partages est assurément le sort des mines et des forges.

       Le mieux à ce sujet est de laisser la parole à Denis Leypold, qui a étudié le sujet en détail :

       "Les forges réapparurent tardivement dans un document en 1513, dans lequel l'abbé dénonça, par l'édification de forges neuves à Grandfontaine et à Saulxures, des manœuvres entrant en contradiction avec les accords de 1261 … le contrôle des forges par l'abbaye fut ensuite sérieusement contesté avec le coup d'Etat de 1571, par lequel les Comtes de Salm s'imposèrent comme seigneurs régaliens, puis fut définitivement écarté en 1573, lorsque l'abbé Raville céda aux Comtes ses droits sur les forges et les minières de Framont-Grandfontaine et de Champenay, ne se réservant en contrepartie que la livraison annuelle de deux mille livres de fer forgé en barres.

       Les comptes mentionnent ensuite régulièrement et séparément les forges de Framont, de Grandfontaine et de Champernay,, en précisant pour chacune d'elles l'importance de la production en fer fondu et en fer forgé. En 1570, la forge de Champenay est louée pour 12 ans par le forgeron, lui même cautionné par le maire de Badonviller, pour 1200 Francs. Celles de Grandfontaine et de Framont sont, en 1565, entre les mains d'un marchand de Sélestat, Valentin Goll, son bail s'achevant en 1575.

       Les trois forges jouirent d'étendues boisées destinées à l'entretien des bâtiments et des mines (boisage, mécanisme d'exhaure des eaux) …

       Les activités métallurgiques, qui ne s'écartaient pas des productions traditionnelles, consistaient essentiellement, pour les trois forges, à produire des fourneaux de fonte, des taques de cheminée, des barres forgées de dimensions variables (selon les commandes) en quantité, des bandages et des clous de roue, des plaques de fer façonnées à la platinerie, des socs et des coutres de charrue.

       L'ouverture de ce marché est surtout lorraine : Raon sur Plaine, Allarmont, au château de Badonviller, mais aussi Commercy, et en Allemagne à Strasbourg en 1585, Schlesstadt (Sélestat), Bennfeld (Benfeld), Motzig (Mutzig), Molsheim en 1577.

       Le rythme "tranquille" des forges ne fut pas perturbé par les réformes administratives profondes que subissait le Comté, notamment par le partage de 1598 entre la descendante de la première dynastie des Salm (future épouse de François de Lorraine-Vaudémont) et les rhingraves de Salm."


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