table des matières, Magique Pays de SALM

CHATAS ET LA GRANDE FOSSE, VILLAGES MAUDITS



       Les dimensions du village de Chatas ont peu à voir avec celles de Rome.

       Un recensement opéré en 1634 y dénombra quinze "habitants" (= familles) ; les chiffres de la population étaient probablement peu différents en 1616 et 1618, dates des procès de sorcellerie qui nous occupent, car aucun phénomène démographique majeur ne s'est produit entre ces deux dates.

       Chatas, pour son malheur, n'appartient pas, à l'époque, au futur prince de Salm (pour l'heure toujours protestant et simple Comte Sauvage du Rhin) mais pour moitié aux Comtes de Salm et pour moitié à l'abbaye de Moyenmoutier ; ces autorités vont se débrouiller pour y trouver une sorcière (Catherine Herry) et un sorcier (Nicolas Claudon), et pour y placer l'un des principaux lieux de sabbat de la région, le lieudit Belfays, ainsi qu'un autre lieu maudit, le pré Hennequin. Sans compter Simone Sterbel, de la Grande Fosse, dont l'histoire est liée à celle de Chatas. Ni Mathiatte Parmentier, dont nous ignorons si elle a été condamnée.

       Tout cela fait beaucoup pour un village de quinze familles, même si nous y ajoutons la Grande Fosse.

*
* * *
*

Catherine Herry

       La première accusée, est la Grande Catherine, née Catherine Herry à Chatas et femme de Bernard Mathieu à la Grande Fosse (à quelques kilomètres de Chatas ; ce village n'appartient pas non plus au Comte Sauvage).

       L'information contre Catherine est ouverte le 3 juin 1616 ; elle est interrogée le 6 ; torturée le 6 juin et le 6 juillet ; condamnée le 11 juillet ; brûlée le 20 octobre. Elle avait été accusée par Simone, femme de Mathis Sterbel, pâtre à la Grande Fosse.

       Catherine a rencontré le diable Maître Percin qui lui a remis de la poudre noire, pour faire mourir les gens, ainsi que de la grise et de la bleue, pour les bêtes ; Catherine trouve que ces poudre ressemblent à des semences ; elle reçoit deux marques de la part du Diable et assiste au sabbat à Belfays.

       On y danse à rondeau, on y mange et on s'y adonne à la débauche. Catherine n'apprécie ni le menu ("On y a manger de la Chair de beste qui nestoit guère bonne adcause quelle nestoit cuitte ny salée et n'y avoit point de pain"), ni les performances sexuelles de Maître Percin ("sa nature estoit fort froide et sans Volupté") ni l'argent de ce dernier, qui se transforme en fiente de cheval.

       Elle ne l'envoie pas dire, car elle est moins douce que la pauvre Gargantine, donc nous parlerons plus loin.

       Et, avant de mourir, elle n'oublie pas de dénoncer, comme sa complice, son accusatrice Simone Sterbel.

       Un probable parent de Catherine, le jeune Dedion Herry, de Chatas, accuse Mathiatte, femme à Colin Parmentier, d'avoir empoisonné son fils au moyen d'une tartine de graisse.

       Simone Sterbel n'a pas affaire immédiatement à la justice, qui n'avait sans doute pas accordé grand crédit aux accusations de Catherine. Elle ne fait pas davantage l'objet d'une information judiciaire en 1624, date supposée des faits qu'on va lui reprocher. Ce n'est qu'en 1627 que la justice s'intéresse à elle, et là on exhume tout : les accusations de la Grande Catherine, vieilles maintenant de plus de dix ans, et les accusations de villageois qui se rappellent tout soudain, en 1627, des événements de 1624 que je vais maintenant vous relater :

       En 1624, donc, à la Grande Fosse, le fils de Dimanche Mathieu devint jaune comme cire le lendemain qu'il fut baptisé. Sur les conseils de ses voisins, son père consulta un devin assez connu, qui demeurait à Thanvillé ; il conseilla de brûler des plantes et de faire passer l'enfant dans la fumée. Si la maladie provenait d'un maléfice, celle qui l'avait lancé entrerait à l'instant dans la maison.

       La première à passer la porte fut Simone Sterbel, qui se trouva accusée.

*
* * *
*

Nicolas Claudon

       Il ne faudrait jamais se mettre en colère, pas même contre son bétail.

       C'est comme il injuriait ses bestiaux que Nicolas Claudon rencontra le Diable, qu'il décrit comme un homme habillé de noir et de moyenne stature. Il est vrai que Nicolas se trouvait sur le chemin de Belfays, ce qui n'est sans doute pas neutre, s'agissant du lieu de sabbat par excellence de la contrée.

       Nicolas est fils de Claudon Jean Clavelin ; c'est à dire : de Claudon fils de Jean, lui même fils de Claulin, selon la coutume de l'époque qui donnait souvent au fils, pour nom de famille, le prénom du père.

       Le Diable propose à Claudon de renoncer à Dieu et de l'adorer lui - il s'appelle Nidiriti.

       Il lui imprime une légère marque au front, sans lui faire mal. Il s'agit simplement d'effacer la marque du baptême.

       Un jeudi, Niriditi invite son nouveau sujet au sabbat. Claudon monte sur les épaules du Diable et hop ! En route, par la voie des airs, en direction de Belfays. On mange et on danse, mais, surtout, on s'ennuie :

       "et comme il recongnent et prévoyait la pauvreté que c'était, et qu'il estoit ainsy abusé, il ny Voulut demeurer davantage, Sen retourna et quicta la Compagnie." ; le Diable apprécie peu ce mouvement de révolte ; finalement, il est conclu que Claudon lui donnera une poule vers la Saint Jean pour prix de la dispense d'assister au sabbat.

       Le Diable lui donne deux sortes de poudre : de la noire pour faire mourir gens et bêtes, de la blanche pour guérir. Il lui recommande cependant d'utiliser plutôt la noire.

       Nicolas Claudon, veuf depuis deux ans, laisse une fille, Marion, qui sera élevée par Jean Jardelle, du Ban de Sapt.

*
* * *
*

Le pré l'Hannequin

       Il existe encore aujourd'hui à Chatas deux endroits maudits : le bois de Belfays, lieu de sabbat dont nous avons parlé, et le pré l'Hannequin, qui fait référence à la chasse infernale de la Menée Hennequin.

       Dans l'histoire qui suit, recueillie par Marc Brignon, les histoires de sorcières et celles de chasse maudite ont convergé ; la Menée Hennequin n'est plus une troupe de maudits mais s'est réduite à une seule sorcière, nommée la Menné Hennki.

       Laissons la parole à Marc Brignon :

       "Ça se passait avant la guerre de 14-18. Un habitant de Chatas s'en revenait de la foire de Senones, où il avait acheté un van. Soudain, il entendit de la musique. La Menné Hennki s'annonçait en effet par de la musique et des chants, d'abord lointains puis de plus en plus proches. Le pauvre homme épouvanté se dit : "Lé Menné hennki ! ouoss queu je vas m'moté ? Kask je vyeu fer ?"(La Menée Hennequin ? Où est-ce que je vais me mettre ? Qu'est-ce que je peux faire ?).

       Une idée lui traversa alors l'esprit. Il quitta la route, se coucha dans le fossé et se mit le van sur le corps. Mais le van ne le cachait malheureusement pas en entier, puisque lé Menné Hennki è v'neu kott lu é pi el déheu : jné jma vu di pi di jan dzo i van (La Menée Hennequin est venue près de lui et elle a dit : "Je n'ai jamais vu des pieds humains dessous un van").


page suivante