table des matières, Magique Pays de SALM

A VIPUCELLE - LA BROQUE



       La paroisse de Vipucelle, constituée des villages et écarts suivants: Vipucelle, La Broque, Albet, Les Quelles , Salm, Fréconrupt , Le Haut Fourneau, Framont, Grandfontaine, le Donon et Vacquenoux, était le principal lieu d'implantation humaine du pays de Salm. On y trouve le pouvoir spirituel (une paroisse en titre), politique (le château de Salm) et économique (les mines et les forges). Cet ensemble quelque peu disparate, situé dans le coin en haut à droite des cartes de géographie représentant la principauté de Salm, constituait donc, globalement, une petite capitale de fait (la capitale officielle étant cependant Senones), cependant que le reste de ce petit pays demeurait une zone forestière faiblement peuplée.

       En particulier, les mines et les forges ne sont pas à négliger :

       La population minière au sens large est estimée à plusieurs centaines de personnes ; c'est considérable, même si ce chiffre comprend des métiers périphériques (bûcherons, charbonniers …) qui s'exercent sur tout le territoire du Salm et non à proximité immédiate des forges. Une certaine prospérité règne, puisqu'en ce début le 17ème siècle, malgré la peste et les procès de sorcellerie, la population du Salm augmente.

       Sur l'ensemble de cette paroisse très étendue et très peuplée (tout étant relatif ; disons : très peuplée selon les critères salmois), nous n'avons qu'un seul procès de sorcellerie, celui de Mathiotte Zabey, exécutée à Badonviller en 1610. Ceci nous rappelle une fois de plus que les procès de sorcellerie n'eurent pas, au Salm, les mêmes dimensions qu'en Alsace et en Lorraine. Certes, la sorcellerie imprègne les mentalités, et les termes de Genost et de Genaxe sont des injures favorites. Mais on rencontre beaucoup plus d'amendes pour injures contre l'insulteur que de procès de sorcellerie contre l'insulté. Le Salm, globalement, surtout la partie dépendant des futurs princes, est en opposition avec l'Eglise et peu tenté par la persécution des hérétiques et sorciers. Les pasteurs protestants du lieu, car il y en a, invités à se joindre aux tribunaux de l'inquisition, ont décliné cet honneur. Le pasteur protestant de Luvigny a donné asile en 1613 (sans pouvoir la sauver) à Nicole Destoy (la seule "sorcière" du lieu).

       Dans les chapitres précédents, j'ai raconté quelques histoires de procès : ce sont à peu près les seules qu'il y ait à raconter, mais, à force qu'elles se suivent, l'impression globale ressentie par le lecteur est peut être que le Salm chadait avec autant d'énergie que le Ban de la Roche ou que Molsheim. Or, il n'en est rien, et il n'est pas mauvais, pour que l'impression générale du lecteur corresponde mieux à la réalité, de se placer un instant à Vipucelle pour y décrire le vide (ou plutôt le quasi-vide, car il ne s'agit pas d'oublier Mathiote Zabey)

       En ce début de 17ème siècle, les choses vont à peu près bien : les mines et les forges fonctionnent, la population augmente régulièrement, la région a trouvé un certain équilibre économique, dont les mines et les forges sont le centre. On vient y travailler de loin, à pied. Et, même si l'on n'est pas mineur ou forgeron, on travaille quand même, de près ou de loin, pour les mines. On leur fournit bois et charbon, même et surtout si l'on habite relativement loin, au fond des bois. La solitude du forestier est relative. Certes, il travaille en forêt, puisque c'est là que l'on coupe le bois et qu'on le scie. Mais ses marchés sont dans le Ban de Salm, et sa biographie montre qu'il circule, naît dans un village, se marie dans un autre. Le Salm est clairement une unité économique et humaine.

       D'où une diffusion des sujets d'inquiétude sur l'ensemble du territoire.

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La peste

       Certes, les procès de sorcellerie sont peu nombreux, et la peste, en ce tout début de siècle, reste une endémie qui couve à bas bruit au fond des forêts, touche principalement les hameaux forestiers, et n'empêche pas la population de croître. Mais ces sujets empoisonnent les mentalités. L'information sur la maladie circule.

       La peste n'est pas nouvelle, puisque, déjà, en 1589, les Comtes de Salm publient un "statut pour la police de la contagion".

       En 1609, la peste est en Alsace, mais la vie du Salm en est affectée, comme s'en rendent compte Bastien Burdoffe, Jean Bagrey, Demange Valet et Didier Ganaire, punis pour avoir "esté en Allemagne es finage des villes pestiférées, y robbé des raisins, poires et chastagnes, et apporté lesdits fruits en leur maison" ; c'est pour cette rupture de la quarantaine qu'ils sont punis, et non pour le vol lui même.

       En 1610, c'est Vipucelle qui est en quarantaine, au point que l'on diffère la saisie et la vente des biens de Bastien Burdoffe, voleur récidiviste qui vient d'être pendu à Badonviller.

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La sensibilité à la sorcellerie

       Bien que le nombre de procès pour sorcellerie soit faible, la sensibilité au problème de la population est fort. Marc Brignon en a fait une analyse magistrale dans sa série d'articles sur la sorcellerie en pays de Salm (L'Essor n° 120, 121, 122). Il nous montre combien étaient nombreuses les injures consistant à traiter ses voisins de sorciers. Ces injures, sont punies d'amendes et à ce titre portées dans les registres.

       En comparaison, Marc Brignon trouve faible le nombre de condamnations pour coups et blessures. L'agressivité des villageois prend donc essentiellement une forme verbale, ce qui ne veut pas dire qu'elle est anodine. Il est difficile de dire quand on a affaire à de simples injures, et à partir de quand ces injures deviennent accusation. En tous cas, il y a un moment où la limite est franchie. Après que, pendant des années, la justice seigneuriale ait frappé d'amende l'insulteur - accusateur, il arrive un moment, si les insultes - accusations persistent, où elles atteignent leur but : c'est alors l'insulté - accusé qui est mis en cause pour sorcellerie.

       Le cas de la famille Zabey, des Quelles, analysé en détails par Marc Brignon, en est un exemple :

       Il s'agit d'un groupes de familles de fermiers apparentées comportant plusieurs générations de ménages, dans lesquelles il est assez difficile de se repérer : selon les actes, on trouve un Claudon, sa femme Mathiotte, leurs quatre enfants ; un autre Claudon, dit le jeune et sa femme Zabey ; Jean Zabey, sa femme Jacotte, son fils Claudon et la femme de ce dernier ; un Claudon Jean Zabey le jeune ; un Claudon Barthélémy dit Zabey ; un Antoine Jandin son beau-frère ; un Claudon Simon, dit de salm ; bon, pour nous résumer, tout ce monde là s'insulte mutuellement en se traitant de sorciers, et se traîne mutuellement devant la justice, avec pour conséquences de simples amendes pour injures jusqu'au jour où les choses se terminent mal : Mathiote est brûlée en 1614.


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