table des matières, Magique Pays de SALM

LA REGION DE SALM EN 1860, OBSERVEE PAR MICHIELS ET PAR VAN DER SMISSEN



       

       Sauf mention contraire, les extraits sont de Michiels

       Le plateau de Salm

       "C'était sur un plateau depuis longtemps défriché, que l'on nomme le Salm, une de ces oasis formées ça et là par une intelligente culture au milieu des bois et des pentes indociles. Nous venions justement de traverser d'épais massifs, quand nos regards, jusque là resserrés autour de nous, purent s'étendre à loisir et embrasser la clairière.

       Huit maisons y dessinaient leur toiture par dessus les arbres fruitiers. Celle où nous entrâmes avait l'extérieur le plus avenant. Elle se composait de deux étages que surmontait un grenier : un encadrement de grès rose décorait les fenêtres et la porte ; les montants et le linteau de celles-ci offraient même de légères sculptures. Des tuiles couvraient solidement la demeure … L'extrême propreté de l'intérieur donnait envie d'y établir son séjour …"

       (Il s'agit de la maison de l'Ancien Nicolas Augsburger)

       ...

       "Le plateau du Salm, habité exclusivement par des anabaptistes, a 500 arpents de terre labourable, que cultivent les fermiers de huit métairies. L'orge, l'avoine, le seigle, les pommes de terre, les navets et les choux, forment les productions habituelles du sol. Autour des maisons, seulement quelques arbres fruitiers groupent leurs têtes arrondies : les merisiers s'y mêlent à une espèce de prunier, qui porte un fruit ovale, nommé zwetsche en allemand ( = quetsche) ; il mûrit dans l'automne et ne craint même pas les premières gelées blanches. Parmi les arbres dont nous peuplons nos jardins, ce sont les seuls qui prospèrent si loin des plaines."

       Le cimetière anabaptiste de Salm
       (d'après Van der Smissen)

       "Au pied de la pente de ces ruines (note : celles du château de Salm), s'étend le petit hameau du même nom. Pendant de nombreuses années, ce hameau a été aussi le centre de l'Assemblée jusqu'à la mort de l'Ancien Nicolas Augsburger.

       Nous avons visité la tombe de ce dernier dans le cimetière qu'il avait lui même créé. Situé au sommet de la pente, au dessus des fermes, entouré d'une simple barrière de pierre et de gazon, il ressemble de loin, à l'ombre drue de ces jeunes arbres, à une petite forêt de sapins. En y pénétrant, le visiteur accoutumé au style des cimetières officiels, se demanderait sans doute s'il se trouve bien dans un champ de morts. Seuls les tertres bombés, couverts de mousse, sans encadrement, sans fleurs ni couronnes, sortent de terre les uns près des autres, à l'exception du coin où notre Augsburger dort de son dernier sommeil. Là s'élève une petite stèle badigeonnée de blanc, qui porte son nom, ses dates de naissance et de mort, ainsi que, selon la coutume du pays, le nom de sa femme qui a élevé cette stèle."

       Les Quelles

       "Il" (Monsieur Augsburger) "s'achemina vers sa maison, pendant que mon guide et moi nous dirigions vers Les Quelles, autre bourgade mennonite.

       Une demi-heure de marche nous suffit pour l'atteindre. Le hameau est protégé contre le vent du Nord Ouest par deux golfes creusés dans la montagne, qui forment un cadre merveilleux ; le site a une autre physionomie que le plateau du Salm, quelque chose de plus enfermé, de plus encaissé, mais il n'est pas choisi avec moins de bonheur, il n'inspire pas moins le goût du calme et de la retraite."

       Le lac de la Maix et le cimetière des Innocents

       "Bientôt, en effet, nous arrivâmes sur les bords de la pièce d'eau. Ce n'est qu'un étang, et encore, de faibles dimensions. Les montagnes, qui décrivent alentour un demi cercle, lui communiquent cet air sombre, mystérieux, qu'offrent en général les bassins étroits des hautes terres, et que contribue à leur donner la profondeur excessive de leurs eaux. Leur lit en forme d'entonnoir plonge dans les flancs de la montagne. Au centre, nulle herbe ne peut croître ; aussi, la renouée, la salicaire, dessinent elles près des bords une couronne de fleurs roses et blanches, qui étonne par sa régularité.

       A droite du lac, l'ancien prieuré achève de tomber en ruines sous l'action du temps, de la pluie et des hivers. Les ronces, les herbes des montagnes y croissent à l'envi, dans le plus pittoresque désordre ….

       J'examinai curieusement, on peut le croire, la voûte qui subsiste encore mais croulera bientôt, car elle menace déjà les visiteurs, et n'oubliai point les restes du cimetière des Innocents. Ni le lac ni les ruines n'ont perdu le prestige dont la superstition entourait jadis ces lieux déserts. Les villageois des communes les moins éloignées y montent en foule, un certain jour de l'année ; on y dit la messe sur un bloc de grès, autel rustique que les arbres toujours verts couronnent d'un noir baldaquin ; puis, on fait processionnellement le tour des rives, bannières déployées, au chant des psaumes et des cantiques. La cérémonie a pour but de demander à la Vierge de la sécheresse ou de la pluie, selon le besoin de la campagne."

       D'après ce que Nicolas Augsburger a dit à Michiels :

       "Sous une voûte qui subsiste encore, vous remarquerez parmi les gravois les restes d'un autel. On y venait pendant tout le Moyen Age, et l'on y vient encore, déposer les cadavres des enfants morts sans avoir vécu. La foule croit qu'un ange descend la nuit pour leur administrer le baptême. Le lendemain, on les ensevelissait dans un clos voisin, nommé le cimetière des Innocents ; on les porte de nos jours au cimetière de la commune que leurs parents habitent."

       La ferme anabaptiste du Hang, chez M. Mosiman

       "Au bout de trois quarts d'heure, nous arrivions sur la lisière du Hang. C'est un bassin environné de montagnes, qui semblent protéger contre le bruit et la curiosité les modestes sectaires. Deux hauteurs principales dominent les moindres sommets, le Climont à gauche, en forme de selle, et le Heumont à droite, en forme de cône ; plus loin, l'Ormont dresse sa tête majestueuse. Des bords de ce petit amphithéâtre, nous apercevions, dans la lumière dorée du soir, Colroy la Roche, Saulxures, la ville de Saales, à l'aspect romanesque, et Provenchères, et Colroy la Grande. Une douzaine de métairies s'éparpillaient au fond du cirque, terre froide où les ruisseaux qui descendent des collines entretiennent une humidité perpétuelle …

       Les romanciers, les poètes et les peintres sont toujours à la recherche d'intérieurs curieux, afin d'y placer leurs personnages, que le nouveauté du décor rend plus intéressants. Ils eussent donc été ravis de la pièce où me mena une brave femme après que j'eus soupé d'une omelette, d'une salade et d'un verre de vin. …

       Trois grandes fenêtres, légèrement cintrées vers le haut, éclairaient la salle, deux de face et une sur le côté. Jusqu'à trois pieds de hauteur, un lambris de sapin couvrait les murs, et des bancs du même bois, avec des dossiers à la manière allemande, longeaient deux parois. Au dessus, pendaient un van, un boisseau, un crible et un thermomètre. Un grand sac de blé occupait sans façons le milieu du parquet ; des haricots secs, non dépouillés de leur gousse, étaient empilés contre un lambris ; dans un coin, sur une grande table de chêne, du miel s'égouttait.

       Vis à vis l'une de l'autre, deux armoires spacieuses, avec des gonds en cuivre et de brillantes ferrures, semblaient faire sentinelle devant deux lits dressés au fond de la pièce comme d'antiques monuments. C'étaient de grandes et profondes caisses en chêne, surmontées d'un dais et environnées de courtines. Sur l'entablement, tout un escadron de vaisselle était rangé en bataille. Il y avait six soupières aux teintes éclatantes, une foule de tasses, de chopes, de carafes et de chandeliers … nous terminerons à la hâte notre inventaire en mentionnant un fauteuil revêtu de cuir noir, une table ronde articulée, une table de nuit, des chaises en bois de hêtre, avec le siège de même matière, une Bible in folio, munie de fermoirs, dormant comme une vénérable matrone sur l'appui de la croisée.

       Hé bien tant d'objets divers n'encombraient pas la pièce, où l'on aurait pu tenir un concile. Ce fut dans une des caisses profondes, sous une corniche festonnée de soupières, que j'installai ma personne et me préparai à dormir …

       Le lendemain, je fis la connaissance de Monsieur Mosiman, le maître du logis, absent la veille et rentré pendant que je dormais. Ce grand vieillard, au collier de barbe blanche, était le premier serviteur de la commune, le premier des ministres en fonction … Monsieur Mosiman avait la douceur et la bienveillance qui caractérisent la secte, et, comme elle, s'intéressait uniquement à la vie religieuse et à la vie pratique. Au delà, il ne voyait que des choses inutiles …"


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