ETUDE SUR LES PAROISSES
DU VAL D'ALLARMONT- suite 3

Pierre GENY (de Glacimont)


Chapitre IV


       A la fin de l'année 1597 intervint le mariage de François de Lorraine, comte de Vaudémont, et de Christine (ou Chrétienne) de Salm seule héritière de la banche des comtes d'après le testament de son oncle Jean X. Sur l'initiative de François, très probablement, il fut procédé au partage du comté jusqu'alors indivis entre les comtes et les rhingraves. Ce partage visait notamment les forêts qui, toutes, furent divisées en deux parties égales. Voici le préambule du procès-verbal rendant comtes de cette opération.

       "Déclaration des arpentages, partages et abornements par moitié des bois et forêts du comté de Salm scavoir des bois appartenant à la ville de Baudonviller, communaulx de ladicte ville avec les villages de Saincte Paule, Perxonne, Fenneviller, Pierre Percée et Celles, des bois de Champel, la Voivre, la Grange (bois situés en plaine), les lieux et Menable qui sont bois de chambre. Et des bois Sauvages et des channas ; des bois communaulx des bans dudict Salm et Plaine, du Val de Senones des bois et forêts dédiés pour le service des forges (de Framont et de Champenay) et finalement des bois de la prévosté de Saint Aille, le tout aux fins du général et absolut partage dudict comte de Salm jusques à ce jour par indivis entre illustre, hault et puissant seigneur Monseigneur le comte de Salm, baron de Vivier, Ruppe, seigneur de Pargney sur Meuse, Dom Rémy la Pucelle, Maxey, Daneviller, Bethonville, maréchal de Lorraine et Gouverneur de Nancy et Friderich, comte sauvage du Rhin et de Salm, barron de Fenestrange desquels, du premier Mai de la présente année 1598 le bon plaisir ayant esté de donner charge et commission aux sieurs Charles Villermin, conseiller d'Estat de son Altesse (le duc de Lorraine) et surintendant des affaires de mondict comte de Salm; Jean Philippe Betz, chatellain audict Fenestrange pour mondict seigneur le comte sauvage et soulsignés gruyer de Nancy et Avant Garde1 et arpenteur général du duché de Lorraine (pour le comte) et Hans Jagd, grand gruyer de Monseigneur le marquis de Hochberg (pour le rhingrave) d'exécuter au plus tost les arpentages, partages et abornements desdicts bois, auraient lesdicts soubsignés pour icelles effectuer y vacqué dès le sixième du juillet ensuyvant, le plus diligemment, justement et équitablement que faire s'est peu, avec pareil esgard des profficts, intérest, commodités ou incommodités en résultant pour ou contre, avec l'ayde des sieurs Demenge Rouyer et Claude Cuny officiers es estats de gruyer et contrerolleur desdicts bois suyvis de leurs forestiers chacun d'iceux au district de sa charge desquels sont partout esté conduitcts pour faciliter et avec assurance d'autant plus grande mettre fin à leur besogne, duquel jour pour jour et suyvant ordre et progrès d'iceluy description est faicte es feuillet sénestre."2

       Les bois ne furent pas seuls partagés; il en fut de même pour les localités principales telles que Badonviller, Celles, Senones et la Broque. Les villages et hameaux allèrent à l'une ou l'autre partie à l'exception de Luvigny dont la partie aval échut au rhingraves et la partie amont aux comtes. A partir donc de ce partage les trois villages relevèrent de trois souverainetés différentes : Raon-Les-Leau de l'abbaye de Domèvre. Raon sur Plaine et moitié de Luvigny des comtes de Salm, c'est-à-dire de la Maison de Lorraine, l'autre moitié de Luvigny des rhingraves qui recurent de l'empereur en 1621 le titre de princes de Salm. Il y a lieu de préciser que les ducs de Lorraine, souverains absolus dans leur part du comté de Salm alors que leur pouvoir était limité dans le duché par celui des Etats, se gardèrent bien d'incorporer celle là à la Lorraine. Bien au contraire, François de Vaudémont s'employa à agrandir son domaine particulier, c'est ainsi que tout au début du XVII° siècle il fit l'acquisition de la plus grande partie des baronnies de Turquestein (totalité des deuxième et troisième lot dit de Chatillon). Un peu plus tard, il se rendit maître du ban le Moine et de la Gagère. Il conserva cet ensemble jusqu'à sa mort (14 octobre 1632) où il passa aux ducs de Lorraine et d'abord à son fils Charles IV.

       La situation assez paradoxale de nos trois villages ne se modifia qu'en 1751 où Raon Sur Plaine et Luvigny firent partie de la principauté indépendante de Salm-Salm.

       Du partage de 1598 nous ne retiendrons que ce qui concerne Raon sur Plaine et Luvigny.

       Les Bois Sauvages : " les bois tant communaulx que de compagnie remis à partage, l'arpentage d'iceux faict quant à ceulx du Val de Senones, lesdicts députés assistés comme dessus reconnurent et arpentèrent une grande quantité de bois dicts les Sauvages desquels le contenu est de 16.575 arpens (1.285 hectares) qui s'étendent dès les bois communaulx de Celles bout d'en bas jusques à une tranchée qu'est l'autre bout laquelle se prend eu Hault de Corbeil en tirant par dessous les Donnons délaissés à dextre ladicte tranche faisant séparation du Han des Forges de Framont en une contrée dicte des Pasturaulx; le costé de dessus longeant les bois du val de Senones, les channes au-dessus de l'Hermitage de la Mer et le Hault de Corbeil d'une part et celuy d'en bas qui a son regard sur la rivière et les terres et preys des villages d'Allarmont, Vexaincourt, Levigny et Raon Soub Plaine d'aultre part. Le bois est partout montueux et presque inaccessible. La ligne de bornes partageant les bois sauvages partait de Comechamps, aux environs de Vexaincourt et suivait la crête qui sépare les vallons de Menombru et de la Maix pour aboutir aux chaumes près du Haut du Bon Dieu, cote 812. Les comtes recevaient la moitié amont.

       La montagne d'ardoises: C'est l'ardoisière dont on aperçoit encore les excavations et d'assez importants déblais sur l'éperon, dit alors rein du Poirier, qui sépare avant leur confluent les ruisseaux de la Crache et d'Abraye.

       "Consécutivement a esté partagé la montagne d'ardoise ayant vue sur la goutte Diot (pour Guyot) comme forme d'oval divisée d'une tranchée abornée de quatre bornes. La première posée sur le prey le Masson, la quatrième posée sur (c'est à dire en haut de) le rein du Poirier.

       Une deuxième ligne de cinq bornes partant de cette quatrième borne et perpendiculaire à la première aboutissait au pré Geffroy. Ces deux lignes de bornes délimitaient la partie de l'ardoisière appartenant aux rhingraves au milieu des Bois Sauvages des comtes. il y a lieu de remarquer qu'il s'agit ici de bornes posées, telles que nous les entendons aujourd'hui et non des rochers marqués d'un trait. il est possible que l'une ou l'autre existe encore.

       Pour ne plus y revenir, nous donnons ici ce que nous savons de l'ardoisière.

       - 1591. " Mandement pour faire travailler à l'ardoisière de Raon sur Plaine. Aux chastellains haults officiers de nostre comté de Salm et à chascun d'eux salut. Comme pour nostre proffict et de Monsieur le comte du Rhin nostre beau-frère et comparsonnier (Jean X et le rhingrave Frédéric), ensemble le bien publique, nous avons advisé et résolu de faire travailler à la montaigne d'ardoise proche de nostre village de Raon sur Plaine et de faire les descombres de ladicte montaigne par corvée de nos subjects du Val d'Allarmont et par après y employer des ouvriers experts pour tirer les ardoises promptement." L'exploitation était donc notablement antérieure à 1591 ; il s'agissait alors de faire dégager par corvées le bas de la montagne pour entreprendre ensuite une exploitation directe par les seigneurs.

       - 1601. "Au compte précédent a esté démonstré qu'à l'instance et poursuitte de Nicolas Masson demeurant à Levigny, les sieurs chastellains auraient ordonné que ladicte montaigne ou mine d'escaille fût de nouveau mise (à l'enchère) à l'estaindre de la chandelle à la condition que le preneur serait tenu d'ouvrir la montaigne par le pied ou gît ladicte escaille pour la tirer plus commodément et avec plus de proffict qu'on a faict jusques à maintenant. A faultre d'offre, le comptable aurait fixé la location annuelle à trente frans, sur laquelle mise la chandelle aurait esté allumée et aurait esté estaincte sans aulcun preneur et que peu de jours après ledict Masson aurait repris son admodiation pour trois ans consécutifs."

       Ce Nicolas Masson qui travaillait aussi au chauffour de Raon sur Plaine tout voisin a laissé son nom qui figure encore au cadastre au prés le Masson dans le vallon du ruisseau d'Abraye.

       - En 1606, la montagne d'ardoise est louée à Daniel Bertrand. En 1624, c'est Demenge Virion, de Badonviller, qui est le fermier moyennant dix francs par an.

       - 1629. " Les officiers de ceste gruerie remonstrent qu'ils auraient traité avec un certain nommé Claude Margeron demeurant à Raon sur Plaine pour faire les descombres de la montaigne d'ardoise et auraient accordé trois cents francs à charge et conditions qu'il la rendrait es estat pour y pouvoir travailler et y tirer de l'ardoise comme on a faict du passé, pour l'assurance de quoy il s'estait mesme engagé à en tirer deux cents... mais comme il ne voulait fournir caution pour l'argent qu'on lui devait avancer l'affaire a esté mise en surséance, n'y ayant eu personne qui se soit présenté pour l'admodier sinon les Pères Bénédictins de Saint-Nicolas qui l'ayant esté voir et recognoistre leur ont dict qui si Monseigneur leur voulait laisser moyennant quelque redebvance annuelle, ils en feraient le descombre à leurs frais." Il semble bien que cette offre n'ait pas eu de suite.

       - 1663. "Il ne s'est faict aulcun proffit de la montagne d'ardoise depuis les guerres." Nous ignorons ce qu'est devenue ensuite l'ardoisière. En 1794, Fachot l'aîné, auteur d'une petit ouvrage que la principauté de Salm dit avoir visité une ardoisière considérable au-dessus de Raon sur Plaine. D'après lui, on y trouverait beaucoup de pyrites cuivreuses ?.

       - Vers 1920 enfin il y eut une tentative de remise en activité avec percement d'une galerie de reconnaissance mais elle n'a pas été poursuivie.

       Montaigne du Donnon : "A esté dict dans la description des Bois Sauvages qu'ils s'estendent jusques au bout du Han des forges scavoir du Hault Donnon lequel est compris audict Han des forges dont sera traicté cy après; estant quoy a semblé bon de faire partage particulier pour la singularité, bruit et renom d'iceluy, eslevé qu'il est par dessus tous les aultres monts du comté."

       La ligne de bornes commence au-dessous de la Bruslée, sans doute sur le sentier de Grandfontaine. La quatrième borne est au plain de la Bruslée (le mot plain indique une surface sensiblement horizontale au cours d'une montée). La septième est "au lieu dict le chemin Jacquet, le chemin Jacquet est la pente qui, du col entre les deux Donons, passe au-dessus de la maison forestière et de l'hôtel Velléda. La onzième borne est " un rocher estant au dessus du Donnon et faisant teste vers les forges" : nous nous trouvons au sommet S.O. dominant la vallée de la Plaine. "La douzième posée au plain dudict Donnon proche des vestiges d'un chateau encommencé de bastir, distante de la précédente de cinquante toises." Ces vestiges sont ceux du temple de Mars alors plus important qu'aujourd'hui puisque, au XVIII° siècle, les moines antiquaires en trouvèrent les murs encore debout. La treizième est une "borne posée tirant vers la poincte la plus haulte dudict Donnon." Nous arrivons au sommet coté 1009. La ligne de bornes se dirige alors vers le col entre les deux Donons ; elle descend le rein de la Fosse, traverse le "chemin des Sarrasins" qui contourne du N.E. au S.O. le sommet. La dix neuvième borne est " au pied dudict Donnon qu'est entre les deux Donons ung rocher triangulaire eslevé de quatre pieds sur terre."

       Les commissaires indiquent à proximité le "chemin de la vieille Creuse aultrement au bout du chemin de Lafrainbole." Ce chemin devait descendre du col au tournant de la route actuelle de Cirey, gagne la Croix Gardon en coupant les détours de celle-ci, puis la Croix de Fer et rejoindre le chemin d'Allemagne au Rouleux Bacon.

       La ligne de bornes aurait du s'arrêter là ou tout au moins à la vingtième car le comté de Salm ne s'étendait pas plus avant. Néanmoins cinq bornes furent posées ou marquées le long du chemin des Botteliers jusqu'à sa rencontre avec la route actuelle d'Abreschviller : ces cinq bornes séparaient en fait les bois de l'évêché de Strasbourg de ceux de l'abbaye de Domèvre. Cette erreur dut être réparée lors du procès commencé en 1723 entre l'abbaye et les officiers de Badonviller ; elle le fut en tout cas lors du bornage de la principauté de Salm entre 1751 et 1754. Elle démontre combien les limites des propriétés étaient imprécises à cette époque.

       Ban de Salm et Han des Forges : Dans le ban de Salm le rhingrave recevait "la moitié de la Brook, Albet, Grandfontaine et Vacquenou" ; le comte devait se contenter de l'autre moitié de la Broque, de Fréconrupt et des Quevelles.

       "Reconnurent et arpentèrent particulièrement lesdicts députés le han des Forges de Frammont pour estre dédiés au service d'icelles, la totalité desdicts bois entre les bois communaux du ban de Salm, ruisseau du ban de Plaine (à l'Est et au Sud) d'une part et le Bois Sauvages d'autre part (au Nord), aboutissant aux channes du costé du Val de Senones (à l'ouest) et à l'aultre bout (au nord-est) aux bois appartenant à Monseigneur le Cardinal (de Strasbourg) Partye dudict Han des Forges charbonnée en plusieurs endroits ressentement et plusieurs années de ça, n'ayant grande apparence de réserves et signemment es environ des dictes forges, n'est (sinon) es extrémités et approchant les channes où y a quantité de vieil bois."

       Je n'insisterai pas d'avantage sur le ban de Salm, me bornant à noter quelques anciens noms de lieux :

       Les "météries" de Salm, appartenant l'une au comte, l'autre au rhingrave ; elles se trouvaient dans la partie est de la petite agglomération actuelle, contre la forêt du Banbois la Croix des channes, cote 861 de la crête des Hautes Chaumes.

       L'Abbrévoir : à l'origine de la basse des Auges, branche Sud de la basse Madeleine

       La Teste de Lamex : c'est la Maix actuelle

       La basse des la scye de Salm, maintenant basse Madeleine

       La Roche des Bipierre, nom conservé, cote 905,9

       La basse du Breux ; celle-ci s'est appelée ensuite Putte Basse ou Voite Basse; elle figure maintenant sur les cartes comme basse Voitel, du nom d'un particulier qui n'a jamais existé

       Channe du Moulin ; c'est le Rond Pertuis

       La tête de la Minière ; Tête Mathis des cartes.

       Les Channes : "Vient présentement à traicter des channes, sommets de montaignes convertis en pasturages dont malaysément en peut estre comprise la forme, par suyte de la difformité de scituation d'iceux sur distinctes montaignes lesquelles de combien semblent se précéder en hauteur, d'aultant ont donné et rendent pasturage fertil et meilleur dictes à ce moien les Haultes Channes n'ayant les basses pasturage de si grande valleur, à raison de quoy a semblé expédient partager icelles non à comparaison d'égalité d'estendue ains de la bonté et fertilité des contrées joinctes aux commodités de conduicte et de rafraichissement du bestail. Ce qu'a esté faict avec l'avis de plusieurs particuliers ayant cy devant ou y partagé la pasture qu'aultrement faict profession de hantise." Tous les experts ainsi consultés étaient du Val d'Allarmont, dont "Jean Salmon et Grand Loÿs de Raon sur Plaine et Demenge Tisserant, pastre demeurant à Louvigny."
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