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Index Les Voyageurs de la PRINCESS AUGUSTA



LA GUERRE DES PAYSANS ET LA REFORME




Une remise en question générale du baptème


       L’opposition au baptème des enfants est dans « l’air du temps ». Il faut se souvenir que l’Eglise catholique soutient que les enfants non baptisés ne peuvent être sauvés. La révolte contre le baptème connaît une intensité qui n’a rien à envier à la révolte de Luther contre la confession et le trafic des Indulgences.

       D’où une difficulté à tracer des frontières.

       Appelerons nous anabaptiste toute personne qui se révolte contre le baptème des enfants (avec son idée corollaire: les enfants non baptisés ne peuvent être sauvés)? Alors, ça fera du monde...

       Nous prendrons nos exemples dans notre région, puisque nous avons la chance de disposer du travail de l’Abbé Nartz, qui lui même cite Nicolas Volcyr, témoin oculaire des faits.

       Laissons la parole à Nicolas :


       « Et estoit bien tard quand on arriva audit Villiers, où l’esglise éstoit occupée de femmes et d’enfants dudit lieu, sans sçavoir nouvelles (= qui n’avaient pas de nouvelles) de leurs maris, lesquels s’étaient pour la plupart, retirés es (= dans les) montagnes avec le bétail, ayant le curé dudit lieu failli mauvaisement touchant les sacrements de notre mère l’Eglise; car les matrones estantes illec (= les mères de familles présentes ici) montrèrent plusieurs enfants à l’auteur, lesquels (= qui) n’avaient aucunement reçu le sacrement de baptème...



       Donc: parmi les personnes que Volcyr désigne comme favorables à la révolte, et qu’il appelle « Luthériens » à d’autres endroits de son texte, il y a le curé du lieu, qui refuse paraît-il de baptiser les enfants. Episode surprenant, et difficile à interprêter… je renvoie à l’encadré « « Anabaptisme catholique » ».


       « « ANABAPTISME CATHOLIQUE » »

       Je souhaiterais étudier ici un étrange phénomène, difficile à saisir, difficile à interprêter, mais omniprésent en pays de Salm. Je l’ai baptisé, faute de mieux, « « Anabaptisme catholique » ». Avec quand même deux paires de guillements, il me semble qu’il faut bien ça.

       Pour tout ce qui touche au baptème, les relations entre l’Eglise et la population ne sont pas plus faciles au Pays de Salm, réputé catholique, qu’elle ne le sont avec les anabaptistes.

       Un encadrement spirituel minimal

       Deux phénomènes se combinent pour porter les relations au rouge:
-       d’une part il y a la prétention de l’Eglise catholique à ouvrir ou à fermer les portes du ciel selon qu’elle accorde ou non tel ou tel sacrement, ici le baptême; prétention d’autant plus révoltante lorsque, pour asseoir son pouvoir, elle affirme que sont exclus du ciel des enfants innocents qui n’ont commis que l’erreur de mourir avant d’avoir été baptisés ; il est vrai qu’en bonne théologie, la présence du prêtre n’est pas indispensable: tout chrétien est autorisé à administrer le baptême en cas d’urgence vitale; cependant quelle qu’en soit la raison, les autorités religieuses oublient d’insister sur ce point


-       d’autre part il y a le fait que, jusqu’à une époque qu’il est difficile de situer avec précision, l’Eglise ne se dépêchait pas du tout de baptiser les enfants; pendant tout le Moyen-Age, quand les Abbés de Senones étaient en rivalité permanente avec les Comtes de Salm pour le pouvoir temporel, la région fut, plus souvent qu’à son tour, frappée d’interdit, c’est à dire privée de sacrements; et même en période de relations plus pacifiées entre les pouvoirs, il y eut toute une période où l’Eglise ne baptisait qu’à l’occasion de grands fêtes, comme Pâques ou la Pentecôte; et tant pis pour les enfants qui naissaient et mourraient entre temps; d’une façon générale (je prends cette information dans le livre de l’Abbé Nartz, qui n’est suspect ni d’anticléricalisme, ni de sympathies pour la République), l’Eglise, dans nos régions, se structurait autour des grandes abbayes; le « curé » d’une paroisse était souvent un moine qui avait peu de gout pour l’encadrement spirituel des laïcs, et qui d’ailleurs mourait presque de faim car les hauts dignitaires des abbayes se réservaient la dîme; de plus, les églises étaient rares er dispersées, toujours dans le but d’éviter de partager la dîme; d’où une certaine tendance à assurer un « service minimum »; ces curés ne furent sans doute pas ravis quand, du fait de la pression des paroissiens, ils durent assurer des baptèmes le lendemain ou peu de jours après la naissance; cet encadrement sprirituel minimal est une donnée lourde qu’il convient d’avoir en tête quand nous cherchons à comprendre pourquoi cette population était restée si païenne sous un mince vernis chrétien.


       Non aux curés syndicalistes !

       J’en reviens à cette phrase de Volcyr :

       « Et estoit bien tard quand on arriva audit Villiers, où l’esglise éstoir occupée de femmes et d’enfants dudit lieu, sans sçavoir nouvelles de leurs maris, lesquels s’étaient pour la plupart, retirés es montagnes avec le bétail, ayant le curé dudit lieu failli mauvaisement touchant les sacrements de notre mère l’Eglise; car les matrones estantes illec montrèrent plusieurs enfants à l’auteur, lesquels n’avaient aucunement reçu le sacrement de baptème...

       ... outre plus, le curé dudit Villiers et plusieurs autres avaient aboli la confession et tous les autres mystères de perfection chrétienne... »

       Comment se fait-il que ce curé soit ou paraisse « anabaptiste »?

       Deux hypothèses:

       Soit il n’est pas le dernier à s’indigner de la façon dont on terrorise les pauvres parents en leur faisant croire que les enfants non baptisés ne peuvent aller au paradis. Il n’est pas interdit à un catholique d’avoir du cœur... Il ne cesse pas pour autant d’être le curé catholique de la paroisse... et d’ailleurs pourquoi cesserait-il? Il n’a pas de boule de cristal pour savoir que l’Eglise catholique refusera toujours d’intégrer les idées de Luther. Elle aurait pu fort bien le faire. Luther est moine. C’est de l’intérieur de l’Eglise qu’il parle, du moins au début. Et il ne manque d’autres mouvements de réformes, dans l’histoire de l’Eglise, qu’elle a décidé de traiter en les intériorisant et en les digérant, plutôt qu’en les laissant à l’extérieur et en les combattant; par exemple le mouvement des frères mineurs de Saint François d’Assises.

       Mais nous avons, nous, ce privilège de connaître la suite de l’histoire. Alors, comment le classerons nous, ce pauvre curé de Villé, s’il faut à tout pris le classer: catholique? Anabaptiste? Et ces paysans qui pillent les couvents comme on pille le château du seigneur, devons nous leur prêter une contestation intellectuelle élaborée des dogmes de l’Eglise? Reste-t-on catholique quand on pille un château et cesse-t-on de l’être quand on pille une riche abbaye?

       Mais il y a une autre hypothèse. Après tout, nous ne sommes pas forcés de les croire sur parole, ces femmes qui accusent leur curé d’anabaptisme avec tant de violence, et qui le dénoncent non pas à son abbé mais aux soldats ennemis... la mort presque assurée pour le pauvre prêtre !

       Peut-être ne refuse-t-il pas par principe le baptème des enfants. Peut-être simplement y a-t-il conflit avec les familles sur le rythme auquel les baptèmes auront lieu. J’imagine l’indignation d’un curé un peu « syndicaliste »: non seulement ont le laisse à peu près mourir de faim pendant que son abbé perçoit la dîme, mais en plus on voudrait qu’il soit toujours par monts et par vaux pour dire une messe chaque fois qu’il nait un enfant; et j’imagine, en face, l’indignation des « matrones »: non seulement l’Eglise ferme les portes du paradis aux enfants non baptisés, mais en plus elle ne se presse pas d’organiser les baptêmes.

       Il est frustrant de ne pas en savoir plus sur la façon dont a évolué de rythme des baptèmes, partant d’une ou deux cérémonies par an pour arriver à une cérémonie par naissance. En tous cas, on sent qu’il y a eu un énorme conflit, qui ne se résorba pas vraiment avant l’époque moderne.

       Répit et baptème des Anges

       Quand un enfant mourrait avant d’avoir reçu le baptème, il existait diverses pratiques pour assurer son salut malgré l’Eglise. Elles se déroulaient en général autour de « Hautes pierres », « Bonnes pierres », et autres saintes pierres.

       La pratique du répit consistait à mener le petit cadavre en un de ces endroits et à attendre. A un moment ou à un autre, on avait l’impression que le petit corps bougeait, oh ! à peine... mais cela suffisait... vite... ego te baptizo in nomine... (in nomine quoi ou qui , d’ailleurs ? pas au nom de l’Eglise, en tous cas)... bon, passons sur les détails gênants, d’ailleurs on n’a pas le temps de discutailler... vite... trois gouttes d’eau... ouf! L’enfant a été baptisé (à peu près) dans les règles juste avant de (re)mourir! Une puissance bénéfique (quoique pas celle de l’Eglise) lui a rendu la vie durant les quelques secondes necessaires.

       Une autre pratique était celle du « baptème des anges »: on laissait le petit cadavre une nuit sur une Bonne Pierre pour que les Anges puissent le baptiser pendant la nuit.

       Ces pratiques sont une façon de remettre en cause le pouvoir de l’Eglise. Elles nous disent clairement, surtout celle du baptème des Anges, que les clés du paradis sont entre les mains des puissances invisibles et non entre celles du curé.

       Alors, en y regardant de près, je trouve que la contestation du baptême des enfants n’est pas moins forte en terre catholique que chez les anabaptistes. Elle prend simplement d’autres formes.

       Baptème maléfique et marquage

       Allons prendre un autre exemple au siècle suivant :

       Dans le pays de Salm, à Chatas, les procès de sorcellerie mentionnent le cas d’un enfant qui tomba malade le lendemain qu’il fut baptisé: cela revient à sous-entendre que le baptème est une sorte de marque maléfique (voir Magique Pays de Salm). Appellerons nous anabaptistes les personnes qui ont fait ce sous entendu? Pourquoi pas... Elles sont manifestement contre le baptème... Et, si un prédicateux enflammé avait à ce moment, dans la région, appelé les foules à une grande réunion ayant pour objet de l’entendre prononcer un sermon dans lequel il dirait tout le mal qu’il pense de ce sacrement, nul doute qu’il aurait eu du succès... Cela dit, nous n’avons aucune raison de penser que cela ce soit produit effectivement.

       On le voit, il ne convient pas de séparer les gens en catégories trop tranchées, de leur apposer sur le front, comme on marque le bétail, le signe distinctif de tel maître ou de tel autre... Ils n’ont rien demandé de tel, et même, en certains endroits comme Celles, ils se révoltent sans ambiguité contre un tel marquage.

       Cela dit, ce contexte nous permet de comprendre certaines thématiques qui reviennent de façon récurrente dans les procès de sorcellerie.

       L’accusation de baptiser au nom du diable ne reposait pas sur rien: il y avait en tous cas, dans la population, des gens qui ne baptisaient pas toujours au nom de l’Eglise, car celle-ci n’a jamais approuvé ni la pratique du « répit », ni celle du « baptême des anges ». Et, comme elle appelait diable toute puissance invisible dont elle ne voulait pas...

       De même, l’accusation d’avoir reçu la « marque du Diable », au sens de la marque qu’un propriétaire appose sur son bétail. La thématique était dans l’air du temps, et pas seulement chez les inquisiteurs. C’était sans doute assez nouveau, pour les gens de l’époque, d’être ainsi divisés en catégories telles que catholiques ou protestants. Avant cela, on ne ne posait pas la question de savoir quel était le berger qui pouvait à juste titre nous revendiquer comme étant ses brebis. On était chrétien, point à la ligne. Même quand on pillait un monastère. Et même quand on organisait un baptême des Anges.





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